Fyctia
Les Sœurs Damnées.
Ils m’ont dit que je n’étais pas seule, jamais. Alors un sentiment d’espoir remonte en moi, quelque chose d’étranger, quelque chose d’étrange, les larmes me montent, une émotion m’envahit c’est celle des terres brûlées de ma « terre noire ». Désormais, je sais, je comprends. Ici, j’observe la dureté de l’existence, là-bas je vois des hommes d’ailleurs, mais aussi mes sœurs, tout se révèle.
Tout ce que je suis, Rachel née dans ce monde le 8 juin 1934 à Paris, fille de Louis Benvenuti ouvrier chez Renault et de Marguerite fille Massarelli. Tous deux exilés d’Italie d’une autre terre, aussi aride et fripé que la peau du visage de monsieur Domingos le papa de Liotta, aussi buriné que le visage de mon père. Lui qui ne m’a laissé que quelques photos en noir et blanc jaunies et un réveil, de ce sud ingrat comme cette Sologne. Là-bas, c’est parce qu’il n’y a jamais assez d’eau et ici, c’est parce qu’il y en a trop. Je me dis que…
— Ça va Rachel ? Tu es pensive, tu veux m’en parler ?
— Non tout va bien Karl.
Il est décidément gentil ce type. Merde ! Il vient de poser à nouveau sa main sur la mienne, elle est chaude, mais ça n’a rien de provoquant, juste compatissant. Cette fois-ci, je décide de garder ma main recouverte par la chaleur de la sienne. Cela me rappelle toi maman, lorsque les hivers, tu nous couchais puis tu nous couvrais avant de nous donner ton baiser réconfortant sur le front. La chaleur de la couverture était semblable à la main de Karl. Rachel ne craque pas, cet homme te touche, ce n’est pas comme avec les autres, il te trouble. Il faut dire que tu n’as pas l’habitude de recevoir de la tendresse de la part des hommes. D’habitude, ils font leur affaire et puis c’est terminé. Les autres commencent avec les mêmes paroles, une drague à deux balles, mais pour le lit, ils ne sont pas nombreux ceux qui sont parvenus à me dérider les fesses. Il retire sa main, le froid se pose sur la mienne pourtant encore chaude. Pour quelle raison n’as-tu pas gardé ta pelote chaude sur ma petite menotte fragile ?
Oui, je pensais à quoi donc lorsqu’il m’a interrompu ? Ah oui à mon identité de ce monde. Mais moi je sais aussi que je viens de l’autre côté, l’arrière-Monde, c’est comme cela que mes sœurs et moi-même l’appelons. Le Monde Noir dans lequel je suis chez moi depuis plus longtemps qu’ici. Inondée d’une terre brûlée, saupoudrée d’une cendre grise, des nuages noirs qui colorent mon Monde transcendé par un ciel rougeoyant. Là-bas, il n’y a que folie, c’est un peu l’enfer pour l’éternité de ceux qui n’ont pas le repos de l’âme. Mais c’est mon Monde dans lequel au milieu de ce décor, je fusionne avec mes sœurs. Je chasse, oui, je chasse et je tue pour que nos victimes se restructurent afin que nous puissions à nouveau les traquer, les harceler, les pourchasser et les achever dans le sang et la chair dévorée.
Merde, mes mains ! Elles se transforment, je me tourne subitement vers Karl, il regarde de son côté par la vitre, je les joins pour les placer entre mes cuisses. Je sens mes os craquer, je souffle doucement, je ferme les yeux, ma mâchoire et mes dents craquent et raisonnent dans ma tête, je sens une forme de joie, celle de tuer, celle de baiser. Concentre-toi Rachel, inspire profondément, je t’en prie. Tout à coup, le temps ralentit pour que tout devienne figé, l’automobile n’avance plus, les gouttes d’eau se sont immobilisées tout comme le paysage, les branches des arbres qui flottaient dans le vent ne sont plus que des formes pétrifiées. Les hommes dans cette voiture sont immobiles. La bouche des deux gendarmes demeure entre ouvertes interrompues par les paroles qu’elles étaient en train de prononcer.
J’entrevois par le rétroviseur un horrible visage et je sursaute de terreur ! Putain Rachel, c’est toi. J’ouvre la portière, puis je pose mes pieds sur le sol couvert de cendres, ils se sont allongés, je me déplace, les gouttes figées que je heurte s’écrasent contre mon visage puis dégoulinent. Il n’y a pas de bruit, le monde s’est fossilisé. Je regarde le ciel, je le reconnais, il m’est familier, il est noir teinté d’éclairs rouges. Le paysage se transforme encore, les étangs disparaissent. Comme sorties de derrière des écrans invisibles surgissent mes sœurs, elles me sourient. Elles s’approchent et les premières me prennent dans leur bras, je ressens un apaisement, un soulagement, une consolation dans leur étreinte. L’une d’entre elles dit aux autres :
— Elle n’a plus l’habitude de se contenir, reprends-toi Rachel.
Elle me saisit à son tour par les bras et m’enlace pour me consoler.
— Là, ça va aller, tu n’en as plus pour très longtemps.
— C’est toi Ava ?
— Oui mon amour, c’est moi
— Oh, Ava, tu me manques tant, je n’en puis plus, je veux repartir de là-bas, je me sens si seule.
— Rachel mon trésor, je t’en supplie, fais ce qu’ils t’ont demandé, et puis certaines de nos sœurs sont prisonnières du labyrinthe.
— Mais pourquoi moi ?
— Elle ne se rappelle plus, elle a oublié Ava. reprend une autre de mes sœurs.
Je la reconnais, c’est comme un rideau qui se déchire par lambeaux et qui dévoile mon Monde.
— Maëva ? C’est toi ? elle se met à rire.
— Mais bien sûr mon amour, qui voulais-tu que ce soit. Nous nous serrons l’une contre l’autre.
Je les regarde. Tout est devenu clair à présent.
— Clara, Symphonia, Tristana, Gloria et… c’est toi ma Magda ?
— Oui mon Amour, c’est moi.
Nous nous embrassons, nos langues aux multiples lanières s’entortillent lorsque nos bouches se collent. Nous nous caressons, frottant nos corps lascivement les unes contre les autres, je suis heureuse, je suis bien. Nos caresses nous entraînent dans un orgasme électrique et une fusion qui se termine en un feu d’artifice coloré. Nos ébats terminés, Tristana s’approche de la voiture, elle regarde à travers les vitres.
— C’est lui ? me demande-t-elle.
Je réponds d’un hochement de la tête.
— Il est mignon, eh mon chéri regarde mon minou.
Tristana relève son léger pagne, elle se cabre et écarte son vagin avec ses index.
— Ça suffit Tristana, lui rétorque Maëva, ne t’amuse pas avec lui, il est à Rachel.
— Non, mais, on peut rire et plaisanter.
— Non Tristana.
Les filles s’approchent de Karl et l’observent comme une bête curieuse, elles le convoitent telle une victime à consommer. Mon pauvre Karl, si tu savais.
— Pour quelle raison êtes-vous là ?
— Mais c’est toi qui as produit le phénomène, et tout s’est transformé, le monde humain s’est contracté quant au nôtre, il s’est distendu, il a pris son extension sur celui-ci.
Vanda fait un hochement de la tête en m’indiquant ce qu’il en reste. Mais soudain, dans le vide de rien, de nulle part, apparaît Kāchān, les sœurs damnées se reculent. Elles se prosternent gardant leur tête baissée. La silhouette noire au visage lisse et androgyne, aux yeux d’un noir profond, d’une grande majesté se présente à nous. Il m’observe un court moment avant de prendre la parole.
20 commentaires
Véronique Rivat
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans