Jean-Marc-Nicolas.G À la découverte des Anachorètes. La crémone.

La crémone.

— Monsieur, je vous en prie, cessez de vous comporter ainsi, c’est indigne d’un chef de famille, vous inquiétez vos enfants. reprend Karl.


Je tourne ma tête vers ma gauche deux enfants en pyjama, un garçon et une fille nous observent sur le seuil de leur chambre, l’air inquiet. Leurs petits visages doux comme mon Antoine me frappent, je leur souris.


— J’aimerais que vous répondiez à quelques questions. Votre fille a disparu il y a huit jours, c’était donc un lundi, en 6 ?

— Oui c’est cela, Monsieur le commissaire. lui répond la dame.

— Je ne suis pas commissaire Madame, mais inspecteur. Ce jour-là, vous n’avez rien remarqué d’anormal ?

— Non, Émilie avait travaillé tard dans la nuit, elle bûche dur, vous savez. Elle passera son baccalauréat l’année prochaine.

— Comment savez-vous qu’elle a travaillé tard ?

— Mais parce que je voyais la lumière par le dessous de la porte.

— Oui bon et le matin ?

— Non rien. Comme tous les matins, elle a fait sa toilette dans la salle de bain, la première avant son frère et sa sœur. Elle doit être prête pour 7 h 30, c’est le moment du passage du minibus.

— Et ce mini bus, il s’arrête devant la maison ?

— Non, plus loin, là-bas. Vous voyez le grand chêne ?

— Oui, je le vois, et vos deux petits ?

— C’est moi qui les emmène, mais un peu plus tard.

— Très bien. Ce lundi matin là, vous n’avez rien remarqué ?

— Ce matin-là, Émilie nous a dit « au revoir à ce soir », comme d’habitude et elle a refermé la porte, voilà tout.


J’interromps Karl :


— Mais vous ne l’avez pas regardé s’éloigner ? Je ne sais pas moi, pour surveiller s’il ne lui arrivait rien.


Le père reprend d’un air hautain :


— La surveiller de quoi, madame l’inspectrice ? Cela fait des années qu’Émilie prend ce putain de minibus devant ce putain de chêne ! Il ne s’était jusque-là jamais rien produit de semblable. Alors c’est facile aujourd’hui de venir nous faire une leçon de morale.


Grosjean intervient :


— Mais Christian, l’inspecteur ne veut pas te faire de leçons, elle essaye de comprendre, voilà tout !

— Quoi ! Ils viennent avec leur grand air de la ville.

— Monsieur, j’essaye de faire mon travail c’est tout. Ce jour-là, il y avait déjà eu trois filles qui avaient été enlevées, alors je me pose la question, vous ne vous êtes pas plus inquiétés que cela ?


Madame Saint Pierre, me répond :


— Mais Madame l’inspectrice, j’ai mes deux petits à préparer puis je dois les faire déjeuner, et tout ça, en une demi-heure. Je n’ai pas le temps de regarder Émilie s’éloigner de chez nous jusqu’au chêne.

— Bon, nous concluons que votre fille a disparu entre chez vous et l’arrêt de bus soit cent mètres, c’est-à-dire en marchant le temps de deux minutes. Et puis ensuite ?

— Quoi ensuite ? Eh bein rien.

— Comment rien Monsieur Saint Pierre, racontez-moi en détail ce que vous avez remarqué ou entendu.

— Mais rien je vous dis, à part Raphaël qui est passé comme un matin sur deux.

— C’est qui Raphaël, le facteur ?

— Mais non, le facteur passe sur les coups de midi et c’est tous les jours. Non, Raphaël c’est l’épicier.

— Mais non Christian, il n’est pas passé ce jour-là. Il était passé la veille, rappelle-toi.

— C’est pourtant vrai, mais j’étais dans l’appentis derrière la maison et pourtant j’aurai juré l’avoir entendu passer. Enfin sa camionnette, elle a un bruit caractéristique. Je me rappelle m’être dit « tiens donc, voilà le Raphaël qui repasse aujourd’hui ». Normalement le lundi, il fait la tournée de l’autre côté du grand étang de l’Heaulme.

— C’est quoi son véhicule ?

— Quoi ? Vous n’allez tout de même pas soupçonner le pauvre Raphaël.

— Monsieur, à l’heure qui l’est nous soupçonnons tout le monde.


Crespau qui était resté silencieux jusqu’à présent, il regardait l’extérieur par les carreaux de la fenêtre. Il me répond avant Monsieur Saint pierre.


— C’est un fourgon Peugeot de couleur noire de type D3. Vous savez, ceux avec le museau devant la cabine en guise de radiateur.

— Et c’est quoi son activité ?

— Il vous l’a dit, il vend des fruits des légumes, des pâtes, des conserves, un peu de charcuterie, il distribue aussi le pain. Il fait un peu de tout quoi ! me répond Crespau.

— Et le facteur ?

— Émile ? Ça fait trente ans qu’il fait le service. Si cela continue, il sera à la retraite.


Je réfléchis, Karl et moi nous croisons nos regards. Il me fait un mouvement de tête comme pour me dire « tu as encore des questions ? », je lui fais signe que non.


— Bon très bien, j’aimerais jeter un coup d’œil dans la chambre d’Émilie si cela ne vous dérange pas.


Madame Saint Pierre, nous précède pour éclairer la pièce.


— Non bien sûr madame l’inspectrice, venez donc, suivez-moi, c’est par là.


Nous pénétrons dans la chambre, je scrute les moindres recoins. Un détail m’interpelle. Je fixe un moment ma vue sur la fenêtre. Madame Saint Pierre l’a remarqué et me demande :


— Qui y a-t-il Madame l’inspectrice ?

— La crémone ? Cette fenêtre n’a pas de crémone.

— Ah oui, c’est que, enfin mon mari l’avait retiré un jour parce qu’Émilie nous avait suppliés de le faire, mais il y a un moment maintenant… je crois qu’elle avait 14 ans.

— Vous savez pour quelle raison elle vous avait demandé de le faire ?

— Oh c’est vieux maintenant, il y a quatre ans. Je ne me souviens pas exactement.

— Même si vous ne vous en souvenez pas exactement, ce n’est pas grave, dites-moi ce dont vous vous souvenez.

— Elle faisait des cauchemars horribles, elle criait en plein sommeil, elle nous disait que les messieurs en noir tentaient de pénétrer dans sa chambre. Nous avions beau sévir, mais rien n’y faisait. Un soir, son père l’a puni, mais rien à faire. Les nuits, elle ne voulait plus aller s'y coucher. Elle réclamait que son père retire la crémone, de cette façon les battants de fenêtre seraient bloqués.

— C’est curieux Madame que vous me fassiez part de cette histoire, parce que figurez-vous que les enfants Domingos m’ont rapporté la même chose. Il se trouve que leur père a également retiré la crémone.

— Que me dites-vous là ?

— Eh oui Madame, je ne serais pas étonnée que le type ou les deux hommes, puisque votre fille en aurait vu deux aient tenté de s’introduire chez vous déjà depuis plusieurs années. Peut-être que tout simplement, ils observaient votre fille par les carreaux de la fenêtre.

— Mais quel genre d’homme pourrait s’en prendre à un enfant ?

— Un pervers, un satyre, un malade quoi ?

— Mais ce n’est qu’une enfant !

— N’exagérons rien, Madame, votre fille n’est plus une enfant, elle a 18 ans.

— Non, elle ne les a pas encore.

— Oui bon 17 ans, mais ce n’est plus une enfant que diable ! Ce qui ne réduit pas la gravité de l’acte, en France l’enlèvement d’un mineur et sa séquestration sont passibles de vingt ans de prison aux assises, croyez-moi.

— Inspecteur.

— Oui ?

— Vous pensez que mon Émilie est encore vivante ?

— Je n’en sais fichtrement rien, mais je le souhaite de tout mon cœur Madame.


Elle sanglote à nouveau, je la prends dans mes bras.

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20 commentaires

Léoneplomb

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Il y a 4 ans

Les 2 jeunes filles ont fait des cauchemars terrifiants et ont voulu que leurs fenêtres de chambre ne puissent plus s'ouvrir pour ne pas être enlevées par les 2 hommes en noir

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Exactement Léone,

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Belle scène de témoignage très vivante. On partage le stress et le désespoir de ces parents qui ont perdu leur fille.

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

D'autant qu'ils n'ont aucune nouvelle de leurs enfants et la situation est par concéquent cruelle.

Lyaminh

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Il y a 4 ans

Les victimes sont visiblement visitées et choisies plusieurs années auparavant avant d'être enlevées. Un récit toujours très troublant et une tension qui ne faiblit pas 👍😀

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Oui, c'est vrais, tu ne peux même pas t'imaginer à quel point mais tu tapes dans le mille. Oui mais alors comment ce fait-il que les victimes soient déjà visées des années avant? Est-ce un ou deux individus qui enlèvent ces jeunes filles ou bien quelque chose de plus organisé?
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