Fyctia
Les événements.
Le maréchal des logis Grosjean soupire et nous observe sans un mot, puis il reprend :
— Alors inspecteur ? Vous nous avez fait une belle peur hier dans la cave de cette maison.
— Oui, je sais, j’en suis désolée, mais voyez vous, je suis en pleine forme ce matin.
— Oui, c’est ce que je constate, tant mieux… tant mieux. Bon où souhaitez-vous que nous nous rendions aujourd’hui ?
— Chez les Saint Pierre ensuite chez les Chabaud, chez les Duchêne et…
— Attendez inspecteur Roland, après les Saint Pierre, il est préférable de nous rendre chez la famille Gervais, ils sont tout prés. Ensuite, nous pourrons nous rendre chez les Chabaud. Et nous terminerons chez les… voyons… chez les Duchêne. Oh fait ! Je tiens à vous avertir, les journalistes rôdent autour des familles que nous allons voir.
— Et pour quelle raison n’en avons-nous pas croisé chez les Bonnieux ?
— Chez les Bonnieux ? Mais parce que le vieux Gustave a dû les faire détaler comme des lapins, à coup de fusil. Quant aux Domingo, leur masure n’est pas facile à trouver. Mais ça ne va pas tarder à arriver.
Grosjean boit son café d’un seul trait, il exerce un sens rotatif à sa tasse puis termine ce qui reste dans le fond de celle-ci. Nous partons, Karl regarde le ciel et dit qu’aujourd’hui, il n’y aura pas de pluie. Grosjean lui répond de ne pas se fier au ciel. Dans cette région, le climat est comme les femmes « capricieux », je le regarde du coin de l’œil. Il le remarque et esquisse un petit sourire sous sa grosse moustache blonde.
— Sans vouloir vous offenser inspecteur.
Nous nous rendons chez la famille Saint Pierre, nous sortons du bourg et nous nous dirigeons vers le nord. Le paysage est le même, une route droite qui s’étire entre les marécages et les étangs. Parfois, un arbre au bord de la route au tronc épais et ridé qui semble avoir été pétrifié par le temps. Je me dis que sans doute, certains de ces feuillus ont vu passer autrefois les frères Pendru pendant qu’ils accomplissaient leurs forfaitures. J’aperçois au loin la masure des Domingos auxquels nous avons rendu visite hier. Ici, c’est un endroit perdu, je me demande comment des gens ont pu choisir de vivre dans ces lieux, encore qu’aujourd’hui, la région est desservie par des routes asphaltées et l’électricité. Des poteaux en bois hérissés de cloches de verre sur lesquels courent des câbles noirs longent la route. Crépeau fait une remarque tout en conduisant :
— Tiens donc, le ciel se couvre à nouveau, il va pleuvoir.
— Ah bon, parce que jusqu’à présent vous trouviez qu’il y avait eu une éclaircie ? lui répond Karl.
— Bein, le ciel était gris, mais regardez les nuages noirs qui arrivent.
Karl et moi, nous nous regardons d’un air complice. Nous esquissons un petit fou rire, Grosjean se tourne, il comprend et se met à sourire à son tour, puis il reprend :
— Oui, ce que veut dire mon collègue, c’est qu’il y avait une accalmie. C’est toujours mieux que la pluie battante d’hier…
— Mais maréchal des logis, c’est toujours comme cela ici ?
— Bein en général, il pleut toujours plus souvent en Sologne qu’en Provence ! Mais je dois avouer que cette année c’est particulier, inspecteur.
— Que voulez-vous dire ? Que cette année, il pleut plus souvent qu’à l’habitude ?
— À vrai dire, on n’avait jamais vu ça, hein Crespau ? Il pleut pratiquement sans interruption depuis trois semaines. Et puis, l’ambiance est différente.
— Qu’entendez-vous par là ?
— Oh rien… ne faites pas attention inspecteur Roland, ce n’est qu’une impression, un sentiment. Vous savez avec ces six enlèvements, les gens ne sont pas tranquilles, une méfiance s’est installée.
— Nous devons nous mettre à leur place, je les comprends. Ils doivent vivre le martyre à ne pas savoir.
— Les familles victimes de ces enlèvements ne dorment plus, ne vivent plus. L’ambiance anxiogène est latente. On la ressent comme une tristesse mélangée d’angoisse qui flotte dans l’air. À y penser, ça me rappelle l’année 1938 lorsque les mêmes événements se sont produits, lorsque j’ai perdu Catherine. Du jour au lendemain, je ne l’ai plus jamais revu. Vous rendez vous compte ? Et ce fut ainsi pour d’autres familles, enfin Auguste vous l’a relaté.
— Oui, je vous comprends maréchal des logis. Je sais ce que c’est de perdre quelqu’un que l’on aime.
J’entrevois du coin de l’œil, Karl qui me fixe subitement puis il baisse les yeux, l’air désolé.
— Enfin, à cette époque régnait la même atmosphère lourde, angoissante. C’était bizarre, incompréhensible.
Nous approchons d’une maison, en pierre, sa toiture est faite de chaume, quelques poules picorent çà et là. Nous arrivons chez les Saint Pierre. Grosjean tape sur le carreau de la vitre. Une dame nous ouvre, elle a cet air grave qui imprègne son visage. Elle a pleuré, un mouchoir à la main, elle renifle et se mouche dedans. Elle nous invite à entrer, un homme taciturne, est assis devant une table encombrée de bols, d’une cafetière et d’une miche de pain.
— Salut Christian, je te présente les deux inspecteurs de la criminelle, ils arrivent de Paris. Ils vont te poser des questions sur ta fille.
Il nous regarde sans même lever la tête, mais madame Saint Pierre prend la parole d’une voix tremblante.
— Alors, vous avez des nouvelles de notre petite Émilie ?
Karl se tourne dans sa direction.
— Non madame, hélas ! Pour le moment, nous en sommes à des investigations, nous cherchons.
Madame Saint Pierre sanglote, Grosjean, ému, les yeux rougis, la console. Elle pose sa tête sur sa poitrine.
— Retrouvez ma petite Émilie, je vous en supplie. Ici, tout s’est arrêté depuis sa disparition. Retrouvez -là, je vous en prie, elle est dehors je ne sais où entre les mains d’un malade.
Je prends la parole. Je m’adresse à cette dame éplorée, d’une voix douce.
— Madame Saint Pierre, calmez-vous, nous allons tout faire pour la retrouver, votre Émilie.
— Mais comment allez-vous faire ? Elles ont disparu là, comme ça, sans laisser de traces. me répond Monsieur Saint Pierre.
— Nous nous y attelons Monsieur, nous sommes sur une piste.
Il me fixe avec son regard enfiévré et prend une cigarette, puis il l’allume. Il inhale d’une puissante aspiration pour rejeter une fumée épaisse au point que son visage disparaît presque derrière cet écran opaque. Puis il reprend :
— Vous n’avez rien, nada, nib ! Parce que ce qui se passe n’est pas naturel, les phénomènes s’étaient déjà produits il y a plus de vingt ans. La police n’avait rien trouvé. Toutes les filles qui avaient disparu n’ont jamais été retrouvées. Il peut vous en dire quelque chose lui.
Monsieur Saint Pierre hausse la tête en direction du maréchal des logis Grosjean qui baisse les yeux.
— Dis-lui toi que ta Catherine a disparu comme les autres et que tu n’as rien pu faire.
— Cette fois-ci, c’est différent Christian, les choses ont évolué, nous sommes en 1960.
— Mouai, qu’avez-vous, dites-le-moi ? Tu vois Hélène, ils n’ont rien.
Madame Saint Pierre se perd à nouveau dans un sanglot de désespoir.
36 commentaires
Léoneplomb
-
Il y a 4 ans
Olive
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans
Olive
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans
Véronique Rivat
-
Il y a 4 ans
Olive
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans
Ashley Moon
-
Il y a 4 ans