Fyctia
L'échelle des temps.
Je me mets à sa place, je lui ai décrit exactement la maison après avoir défini le type de lieux d’où les enlèvements devaient se produire. Il a bien constaté la présence des tables chirurgicales ainsi que les cellules, mais tout avait été abandonné depuis bien des années, il y avait de quoi le déconcerter. Demain, nous verrons bien ce que les familles peuvent nous en dire.
Je me déshabille, je me lave les dents en me regardant à la glace, je me rince la bouche. Je scrute mon visage, je repère deux points noirs que je pince pour les vider de leur sébum, j’ai horreur de ça. Plus jeune, je torturais mon jeune frère puis mon amie Clara en traquant ces horribles pustules gavées de jus jaune. J’examine le bout de mon nez, j’écarte mes lèvres pour regarder mes dents, je fume beaucoup, mais mes dents sont blanches, je les brosse matin, midi et soir. Je suis encore jolie, j’aime regarder mon petit nez incurvé en trompette comme disait ma mère. J’aime bien aussi ma bouche, je fais différentes mimiques, je la déforme, je finis par des grimaces et il me prend un fou rire. J’écarquille les paupières, je gonfle mes joues. Puis je fais une mimique lascive, les lèvres mi-ouvertes comme si j’attendais un baiser, comme le fait Marylin ou BB. Je me trouve jolie, je recule pour regarder ma poitrine, elle est petite, mais bien ferme et large. Je pince mes seins, je me lorgne.
— Ma chère Rachel, tu as de la chance que je ne sois pas un homme, sinon je t’aurais dévorée de baisers avec gloutonnerie !
Je m’assois sur la cuvette, j’urine, je m’essuie avec du papier toilette, puis je sens ma main qui conserve cette odeur doucereuse de mon vagin. J’ai toujours aimé me sentir l’entrecuisse, comme l’odeur de mes aisselles. C’est dingue, peut-être est-ce les restes de mon instinct sauvage de Sœur Damnée ? Je me mets à rire doucement. Ma pauvre Rachel, tu es complètement ravagée. Il n’empêche que ce Karl est mignon, j’aime son regard et puis il a de puissantes cuisses et ses épaules sont larges. J’aime aussi ses cheveux drus et ses pattes qu’il laisse pousser à la nouvelle mode rockers. J’ai apprécié la chaleur et la douceur de sa main posée sur la mienne. Il doit porter un caleçon, je discerne derrière son pantalon son « machin » pendre vers sa cuisse. Je sais, je suis une salope, c’est ce que me disait Clara. Je regarde toujours à cet endroit, c’est plus fort que moi, je ne peux pas m’en empêcher et lui, semble en être bien pourvu. Je réalise que je suis encore devant le miroir, je me suis perdue dans des pensées complètement saugrenues. Tu es complètement obsédée par la chose ma pauvre fille. J’éteins la salle de bain, je me couche dans ce lit froid et les draps sont toujours rêches.
Je me languis de retourner dans mon petit deux pièces, j’y suis bien et mon lit est plus confortable. Ici, il n’y a pas la télévision, chez moi, je m’en suis achetée une cette année. C’est cher, mais je l’ai payé à tempérament. Vendredi, il y aura l’émission de Roger Lanzac celle du cirque Pinder, j’aime le cirque. Je m’endors doucement, j’ai l’impression de flotter, je me sens légère, sereine. Gageons que cette nuit je fasse des rêves et non des cauchemars.
*
Je suis dans mon rêve, je sais que je rêve, c’est ce que je me dis sur l’instant. Les images et le ressenti sont très nets, tout comme mon expérience dans le Monde Noir, l’émotion de cet arrière-monde est aussi claire, aussi intense. Je comprends ce que voulait me dire la Sœur Damnée lorsqu’elle me disait que sa réalité était aussi valable que la mienne. Je vole au-dessus d’une cité aux murs blancs et scintillants. En bas, ça grouille de monde, il y a une circulation dense, l’architecture de ces édifices est un mélange de baroque, de néo-classiques, d’art déco et d’art nouveau, mais rien n’évoque ce qui existe dans ma réalité. Il y règne une atmosphère feutrée, une ambiance sereine. Je ressens comme un sentiment d’épanouissement, d’insouciance. Je n’ai plus peur, je ne ressens plus de haine, plus de craintes. Je me pose sur le trottoir d’une de ces avenues. Dans ce lieu, tout est beau, les bâtiments sont somptueux. Les gens sont heureux, j’observe de la bienveillance dans leur visage. Le ciel est d’un rose tendre, les couleurs sont inconnues, lumineuses, je ne connais pas ces accoutrements fastueux. D’ailleurs ici, tout semble luxueux. Des musiques douces que je n’ai de ma vie jamais entendues occupent l’espace. C’est dans ce lieu que je veux vivre à jamais. Je ne souhaite pas retourner dans mon monde. Des effluves doux, agréables pénètrent dans mes narines. J’exhale ces odeurs qui ressemblent à des fragrances encore inconnues. S’il y a un paradis, c’est là qu’il se trouve. Je comprends qu’ici, il n’y a pas de douleurs, la souffrance n’existe pas, mais pour quelle raison suis-je là ?
J’arrive dans un lieu, où se trouve un magnifique monument qui ressemble à un temple gréco-romain. Il est fait d’un marbre blanc lumineux, plus haut après les marches, sur son esplanade, des gens sont attroupés, un homme vêtu simplement d’une sorte de toge blanche s’adresse à eux. Les autres l’écoutent avec beaucoup d’attention. Je gravis lentement les marches de ce monumental escalier. Lorsque j’arrive sur l’esplanade, la foule s’écarte, elle m’ouvre un espace, j’hésite un peu. Mais l’homme qui ressemble à un prédicateur me fait signe d’approcher.
Son puissant regard est pénétrant, impressionnant. Il semble qu’il connaisse toutes mes pensées. Je m’avance, je regarde la foule, les hommes et les femmes me sourient affectueusement. J’arrive devant lui, je me rends subitement compte d'être nue. J’ai honte, je tente de cacher mon pubis. Je me demande pour quelle raison je me retrouve dans le plus simple appareil, alors que j’étais habillée à l’instant encore.
— Bonjour Rachel, as-tu une question à me poser ?
— Je ne sais pas, j’ignore pour quelle raison je me retrouve ici. Je suis nue, je suis gênée Monsieur.
— Ta nudité est une illusion Rachel, c’est ton âme qui se met à nu. Ici, tout est symbole, comme dans ta réalité d’ailleurs, mais tu n’en as pas conscience. J’écoute ta question.
— Je suis en train de mener une enquête, des jeunes filles sont enlevées dans une région de mon pays et je ne sais plus où j’en suis. Je n’ai aucun indice et elles ont disparu sans laisser de traces. Je ne sais plus.
— Tu ne cherches pas au bon endroit, tu te perds dans les méandres de ta conscience. Elle te guide dans de mauvais chemins, elle te fait croire à une réalité qui n’est pas la bonne.
— Mais elles m’ont dit qu’il n’y avait pas de fausses réalités, que la leur était aussi valable que la mienne.
— Je ne t’ai pas dit que leur réalité n’était pas réelle, mais que ce n’était pas dans celle-ci que tu trouverais ta réponse. Tu es juste connectée à leur réalité de souffrance, alors tu captes des événements vils et cruels de ceux qui ont perpétré les mêmes actes que celui qui les produit à l’échelle de ton temps.
18 commentaires
Gottesmann Pascal
-
Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
-
Il y a 4 ans