Jean-Marc-Nicolas.G À la découverte des Anachorètes. La compréhension humaine.

La compréhension humaine.

Je me remémore la scène de départ lorsque j’ai dû abandonner Antoine. J’ai dans mon esprit, devant mes yeux, sa petite frimousse en larmes, ses lèvres déformées par la douleur et les pleurs. Je ferme les yeux et tout me revient, ce monde dans lequel je me retrouve depuis plusieurs semaines et ces derniers jours où ça s’est intensifié. Je n’ai pas de troubles psychiques, ce sont des conneries. Mais je n’ai toujours pas de réponses, pas toutes. Je commence néanmoins à entrevoir la réalité des choses qui m’habitent. Non, je comprends, c’est moi qui habite dans ces choses. Je ressens subitement des tremblements dans tout mon corps. Je regarde mes mains, la couleur de ma peau se modifie, mes doigts se déforment, ils s’allongent et mes ongles deviennent des griffes. Je sens les os de mon crâne craquer, mais je ne ressens aucune douleur, ça fait juste bizarre. Je titube, je recule, je me heurte à la porte des toilettes. Je me tourne vers les lavabos et malgré la pénombre, je perçois sur le large miroir, l’image horrible d’une créature hideuse, la gueule déformée remplie de dents effilées. Je sursaute, mon cœur reçoit un électrochoc. Putain ! C’est l’une de celles que j’ai vues sur les remparts et puis au bout de l’impasse, celles qui m’ont parlé. Mais que fait cette Sœur Damnée ici, comment a-t-elle pu franchir le passage en sens inverse ? J’entends Karl, il m’appelle du haut de l’escalier qui mène au sous-sol.


— Rachel ? Qu’est-ce que tu fous bon sang ? Rachel ?


Merde, je l’entends descendre les marches, je vais me rincer le visage, mais lorsque je m’apprête à le faire, l’image du miroir fait de même. Je comprends alors que c’est moi.

Je suis paniquée. Il arrive, vite, je dois pénétrer dans le box. Je referme la porte avec le verrou. Il éclaire la pièce.


— Rachel ?

— Oui Karl.

— Ça ne va pas ?

— Je suis un peu remuée, mais ça va aller Karl, remonte dans la salle. Je vais te rejoindre.

— Très bien. Tu aurais dû rester dans ta chambre. Nous nous serions vus demain matin.

— Ça va aller. Je t’en prie, remonte dans la salle à manger, je vais te rejoindre très vite.


Mes bras ont repris leur couleur et mes mains qui s’étaient déformées sont redevenues normales. Une vague d’images me submerge, elles défilent à grande vitesse, tout se précise, ce qu’elles m’ont dit est vrai. Mais alors pour quelle raison, ai-je les souvenirs de ma vie ? Mon enfance, ma mère, son suicide, lorsque je l’ai découverte dans la baignoire, les poignets ouverts. Mon adolescence, la famille Romain, l’internat et le reste jusqu’à aujourd’hui…


Tout à coup alors que j’ouvre et que je pousse la porte des toilettes, tout devient noir, il n’y a plus de bruits, mais encore quelques craquements. Puis plus de sons, plus d’images, plus rien. Il règne alors une atmosphère lourde, étouffante. Je tâtonne, j’avance à petits pas. Il me semble entendre des chuchotements. Je cesse de bouger, je tends l’oreille. J’attends, je traîne doucement mes pas, en gardant mes bras en avant de peur de heurter quelque chose qui me blesserait. J’ai l’impression que le temps s’est arrêté ici, d’ailleurs, j’ai la sensation d’être nulle part. Une angoisse m’étreint, j’ai perdu tout sens d’orientation, ma respiration s’accélère, mon cœur bat la chamade, je n’entends que lui. Les chuchotements recommencent, mais je ne perçois rien du tout. Ici de nulle part est si noir, si intense de cette laque opaque d’une noirceur qui n’existe pas ailleurs. Les chuchotements recommencent. Je me décide à parler :


— Il y a quelqu’un ? Où êtes-vous, je ne vous vois pas. C’est où ici ? C’est quand ?

— Voici quelqu’un de judicieux, il demande quand nous sommes. Je vous l’avais dit qu’il lui restait quelques bribes d’instincts primaires provenant de sa lignée. Tu ne serais pas parvenu à tout lui effacer Kāchān.

— Qui êtes-vous ? Où suis-je ?

— Comme te l’a annoncé l’une de tes Sœurs, fondamentalement, de ton point de vue, tu es nulle part. On nous appelle les Émissaires de nos maîtres les Anachorètes.

— L’une de mes Sœurs ?

— Tu le sais, tu l’as compris, tu fais partie en vérité de leur communauté. Je t’ai extraite de notre réalité pour te transporter dans celle des humains. Tu l’avais tout simplement oublié. Mais il s’est produit dans ton esprit une fracture dès tes douze années. Dans une autre réalité, tu es morte après avoir perdu ton frère. Ta rage t’a fait glisser parmi celles qui existent que par la volonté de se venger. C’est votre nature qui est ainsi et qui vous regroupe sous la même fureur, une forme de déchaînement, une exaltation, un emportement vers l’idée de punition, de châtiment. Ainsi, c’est la réalité que vous avez créée.

— Mais qui sont ces hommes et femmes scarifiés, monstrueusement difformes pour certains d’entre eux ?

— Ce sont ceux provenant de votre planète, mais également d’autres planètes de votre système de plan physique. Ils représentent tout ce qui est pervers, malsain, corrompu, débauché.

— Le mal ?

— Le mal n’est qu’un concept construit par votre civilisation, c’est un point de vue, mais qui ne correspond à rien fondamentalement.

— Mais alors quoi ? Vous m’avez énuméré tout ce qui était de plus vil dans la nature humaine.

— De notre point de vue, ces natures portent préjudice au développement de vos civilisations, elles les entravent. De ce fait, rien ne peut se construire sainement.

— Mais si je suis morte, pour quelle raison suis-je bien vivante dans mon monde ?


La voix change à peine, mais c’est une intonation différente qui me fait comprendre que c’est un autre d’entre eux qui s’adresse à moi.


— Nous te l’avons dit, c’est dans une autre probabilité, une existence parallèle si tu préfères.

— Vous voulez dire qu’il y a d’autres moi-même de ma personne ?

— Il y a dans le fonctionnement fondamental de la nature des choses qui dépassent la compréhension humaine. Imagine que nous évoluons dans ce que nous appelons la réalité multidimensionnelle. Nous la modelons, comme vous le feriez avec de l’argile au gré de notre inspiration. Ainsi, nous maîtrisons les événements.

— Vous voulez dire que vous modelez le temps ?


Un autre d’entre eux intervient à son tour.


— Nous pouvons te répondre dans l’affirmative, bien que de notre point de vue, le temps n’existe pas fondamentalement. Passé, présent et avenir se produisent en même temps, pour vous c’est un concept sans lequel vous ne pourriez fonctionner. Votre esprit serait désorienté si vous vous connectiez dans le champ des probabilités.

— Qui étaient ces êtres sans visage ou sans une partie de celui-ci ?

— Une abstraction de nous, une image de notre idée. Tu dois comprendre le terme image différemment de ton concept habituel. Tu peux considérer que tu es une image tout comme nous.

— Tout comme les Écorcheurs, l’une des Sœurs Damnées m’a tenu le même propos.

— Tout comme te l’a dit Vanda. Elle est très intelligente et elle fait partie tout comme toi d’un avatar de l’un d’entre nous.

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19 commentaires

Léoneplomb

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Il y a 4 ans

En plus de la séparation forcée avec son frère et vaincre ses propres démons,elle subit les assauts des anachorètes, leurs emprises.

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Ces anachorètes sont aussi effrayants que fascinants. Comme si Rachel n'avait pas assez de ses propres démons et de sa séparation d'avec son frère, il lui fallait, en plus, les mystérieux anachorètes.

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

A qui le dis-tu, tu as bien raison, cette femme vit une véritable descente aux enfers, le rendez-vous avec elle même. Avec sa propre nature, sa colère et ses peurs.
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