Jean-Marc-Nicolas.G À la découverte des Anachorètes. Vous n'auriez pas dû.

Vous n'auriez pas dû.

— Rachel, je ne suis pas certaine que cette enquête soit bénéfique pour vous.

— Pas bénéfique ? Mais docteur, c’est là mon métier. Pensiez-vous que j’ai dû endurer trois années d’école de police pour finir par faire la circulation ?

— Non Rachel, mais enfin, il y avait des postes de bureau ou je ne sais pas moi. Vous auriez pu travailler aux archives ou encore analyser les profils des criminels, vous aviez d’autres options que d’aller sur le terrain.

— Mais docteur, je me suis tapé un entraînement digne des commandos, j’en ai chié des ronds de cuir. J’étais la seule femme au milieu d’hommes endurcis. Et ce serait pour me confiner dans un bureau ?

— Rachel, vous ne pourrez pas supporter la vision de ces scènes de crimes surtout de forme sordide. Je traite depuis des années certains de vos collègues qui n’ont pas supporté toutes ces visions d’horreur. Et ils n’ont pas vos antécédents.

— Docteur, je fais ce que j’aime, je l’ai souhaité ardemment pendant toutes ces années, ce n’est pas pour y renoncer aujourd’hui.

— Rachel, vous allez encore perdre pied, et ce sera une catastrophe. Ceux que je traite ont une pathologie semblable aux traumatismes de guerre. Vous comprenez ce que cela implique ?

— J’en suis consciente docteur, mais je dois affronter mes démons. C’est à ce prix que j’en serais libérée… docteur ? Allo ? Vous êtes toujours là docteur ?

— Oui Rachel, je suis toujours là. Dites-moi Rachel ? Est-ce que vos visions sont revenues ? Sont-elles revenues, Rachel ?

— Oui docteur, depuis avant-hier soir à Paris, la veille de mon départ. Enfin plus intenses que les jours précédents.

— Vous devez arrêter tout de suite votre mission Rachel. Je vous prescris du repos, vos chefs comprendront.

— Il n’en est pas question, je me sens très bien, ce n’est pas l’enquête qui m’a provoqué cet état, ça avait commencé bien avant et vous le savez docteur.

— Oui, mais la découverte de scènes de crimes risque d’accentuer vos pathologies. Vous savez que ces jeunes filles sont victimes d’un psychopathe, pervers narcissique à l’extrême, le même profil que le type qui vous a violé.

— Non docteur, ce type de criminel est d’un tout autre niveau. Le père Romain était un monstre je vous l’accorde, mais il aurait été incapable de torturer ou de tuer, ce n’est pas le cas de ceux-là.

— De ceux-là, avez-vous dit ? Ils seraient plusieurs ?

— Deux docteur, ils seraient deux. Sans doute des frères, je n’en sais pas plus pour le moment. Mais il est vital que je puisse continuer cette enquête pour le bien de tout le monde.

— Prenez-vous toujours votre traitement Rachel ?

— Oui, bien entendu docteur.

— Si quelque chose venait à se dérégler, que vous perdiez pied comme votre mère et votre frère, arrêtez instantanément vos investigations et rentrez de suite à paris, je…

— Qu’avez-vous dit docteur ?

— À quel sujet ?

— Vous avez dit à l’instant « si je perdais pied tout comme ma mère et mon jeune frère ». Qu’est-il arrivé à mon jeune frère ?

— Écoutez Rachel, je ne voulais pas vous en parler. Je ne souhaitais pas ajouter à votre dépression le poids supplémentaire de l’état de santé de votre frère.

— Mais docteur, je vous parle de mon jeune frère depuis le début de nos entretiens, cela va faire cinq ans, vous saviez que je l’avais recherché désespérément, que j’espérais le retrouver, je vous avais fait part de mes remords de l’avoir abandonné. C’est précisément ça qui me rendait malade docteur. Antoine était ma seule famille, il était tout ce qui me restait et vous, vous m’avez laissé mourir à petit feu…

— Rachel, essayez de comprendre, je l’ai fait pour votre bien.

— Oh ! Je vous en prie docteur, arrêtez vos salades, vous saviez que j’irais mieux si mon frère était revenu près de moi. Aujourd’hui, il est où ? Dites-le-moi. Qu’est-il devenu ?

— Il est dans un hôpital psychiatrique Rachel, depuis cinq ans.

— Quoi ? Et vous ne m’avez rien dit ? Mais c’est mon frère et de plus j’avais la primauté sur sa tutelle, vous avez outrepassé vos droits, docteur, en décidant à ma place.

— Mais je n’ai rien décidé à votre place Rachel et ce n’est pas moi qui l’ai interné, il se trouve qu’il a été placé dans l’hôpital où je consultais précisément à cette époque. Je n’y professe plus depuis l’année dernière. C’était une coïncidence, voilà tout.

— Oui, mais vous auriez dû m’en parler docteur !

— Non, Rachel, je n’en étais pas obligée et je dirais même que je n’en avais pas le droit.

— Mais docteur, vous n’avez aucune empathie ? Pendant toutes ces années, vous m’avez regardée souffrir sans m’envoyer une bouée ! Vous m’avez laissée me noyer, alors que nous étions amies.

— Non Rachel, nous ne sommes pas amies, je suis votre médecin, voilà tout. Mon but est de vous soigner, de vous aider, de vous montrer le chemin, mais l’empathie n’a pas sa place dans ma fonction.

— C’est très bien docteur, de mieux en mieux…, c’est une chouette vie que j’ai. Bon, où est mon frère ?

— Je ne peux pas vous le dire Rachel, ce n’est pas ma fonction.

— Peu importe docteur, je connais l’établissement où vous travailliez l’année dernière.

— Il n’y est plus Rachel.

— Où est-il docteur ? Dites-le-moi. Vous n’avez pas le droit de le tenir enfermé malgré lui.

— Votre frère est incapable de se responsabiliser, nous devons le protéger.

— Non docteur, je suis sa sœur aînée et sa seule famille. J’ai le droit de tutelle et curatelle pour Antoine.

— Je vous l’accorde Rachel, mais je n’en ai pas la responsabilité. C’est un confrère qui en a la charge.

— Où est-il docteur ?

— À l’hôpital de la Maison-Blanche, d’ailleurs c’est une clinique. C’est le docteur Brandt qui s’en occupe. Voilà, vous savez tout.

— Qu’a-t-il docteur ? Dites-le-moi.

— Votre frère Antoine est atteint d’une profonde catalepsie, il n’est plus là si vous préférez. Il est nourri par perfusion, car il refusait la nourriture qu’on lui donnait, il n’ingurgitait plus. Son regard demeure dans le vide, il ne parle plus. Au début encore, il délirait, il parlait de choses incompréhensibles. Mais aujourd’hui, depuis deux ans, plus rien.

— Comment le savez-vous docteur, puisque vous ne le soignez pas ?

— Qu’est-ce que vous croyez Rachel, j’ai un cœur comme tout le monde. Je prends régulièrement des nouvelles de votre frère.

— Oui, mais sans m’en donner, alors à quoi bon ?

— Mon soucis est avant tout de vous protéger Rachel. C’est vous ma patiente pas votre frère.

— Très bien docteur, je dois boucler cette affaire avant tout, puis je m’occuperai de mon frère une fois que tout ça sera terminé. Je dois y aller docteur, mon confrère me fait signe. Je vous quitte.

— Prenez soin de vous Rachel… Rachel ? Allo, allo ? TUT… TUT… TUT…


Putain, pendant tout ce temps, elle savait et elle ne m’a rien dit. Je suis en fureur, des larmes de rage remplissent ma vision. Je serre les poings, je me mords la lèvre inférieure, j’ai toujours fait cela lorsqu’une puissante colère remontait en moi. Je dois me contrôler. Il faut que je me reprenne, je vais remonter à la salle du restaurant.

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17 commentaires

Léoneplomb

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Il y a 4 ans

Intéressant cet entretien téléphonique de Rachel avec sa psy.Sa psy lui a cachė pendant des annees qu'elle connaissait son frère,qu'elle s'en est occupée en hôpital psychiatrique, et la laissant parler de lui, éplorée, désemparée de ne pas le retrouver alors qu'elle lui avait promis qu'un jour ils seraient de nouveau ensembles. Trop, c'est trop pour Rachel.

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Et encore tu ne connais pas la suite! Si tu savais.

Lyaminh

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Il y a 4 ans

Antoine n'est certainement pas malade sans raison, peut-être visite-t-il régulièrement le monde noir lui aussi et y joue un rôle... Je m'emballe 😉

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Tu t'emballes parce que tu es emballée, je comprend ue tu ais envie de connaitre la suite c'est humain.🙄

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Cet affrontement téléphonique entre Rachel est la psychiatre est absolument passionnant. La policière tient bon grâce à son caractère affirmé mais combien de temps cela va t'il encore durer ?

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Bonne réflexion, continuons à descendre avec Rachel dans l'enfer psychologique, glissons avec elle dans l'antre de la folie des hommes et des plans de réalité parallèles.
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