Fyctia
L'affaire sous pression.
— Rachel, tu enquêtes sur les frères Pendru, crois-tu que nous l’ignorions ? Ton contact avec nous, dans notre monde, n’est pas un hasard. Ces salopards sont parvenus à nous échapper en créant une barrière entre leur tanière et le reste du Monde Noir en érigeant un rempart sous la forme d’un labyrinthe.
— C’est celui qui nous est apparu lors de notre rencontre ? J’ai visité leur manoir dans ma réalité. C’est désormais une ruine.
— Nous le savons, mais ici, il est intact. Il a même été amélioré grâce à la protection que ces fumiers se sont créée.
— Mais j’ai été témoin d’un transfert lors de mon investigation avec d’autres policiers ce matin. Ils étaient là, je les ai vus, j’ai même été blessée.
— Ils arrivent à passer de notre plan de réalité au tien et produisent le transfert inverse sans que cela les affecte. Nous avons connu dans le passé d’autres personnalités capables d’un tel phénomène. En principe, les gardiens du seuil veillent à ce que cela ne se produise pas. Mais il y a parfois des failles dans le système.
— Oui, mais c’est bien pour cela qu’ils sèment la pagaille dans notre monde, ils ont enlevé six jeunes filles et les ont emportées dans leur repère.
— Au début, dès leurs premières incursions, nous avons tenté de les arrêter, mais ils sont parvenus à se soustraire à chaque fois à nos traques en créant ce labyrinthe par lequel ils se réfugiaient après chacune de leur forfaiture. Plusieurs de nos sœurs ont été prises au piège, nous ne les avons jamais revues, prisonnières de ces dédales de confusions psychiques.
— Mais je t’ai vue l’autre nuit.
— Nous autres, nous ne sommes pas stupides, nous demeurons à la périphérie. Nous ne nous en éloignons jamais. Et puis, nous devons ressortir avant que le labyrinthe change de configuration. Car si jamais nous ne le faisons pas, même à ses abords cela ne changera rien, nous resterons prisonnières à jamais.
— Sont-elles toujours vivantes ?
— Vivantes ? Ici, dans ce monde, le concept de vie et de mort n’existe pas. Pas comme tu l’entends. La loi de cette réalité est différente.
— En tous les cas, l’un de ces enfoirés m’a planté son dard, ou plutôt une sorte de rostre, ou je ne sais trop quoi, là, dans le dos. La douleur a été atroce, je n’aimerais pas être à nouveau confrontée à cette expérience.
— Ils ne chercheront pas à t’importuner si tu ne viens pas fourrer ton nez dans leurs affaires. Ils ne souhaitent pas à leur tour être confrontés à nous.
— À vous ? Quelle est la relation entre vous et moi.
— Elle est plus étroite que tu ne peux l’imaginer Rachel. Pour en revenir à ces chasseurs, ils se sentiront invulnérables tant qu’ils pourront se réfugier derrière leur rempart labyrinthique fait de dédales et de lacis sans débuts ni fins.
— C’est ce que j’ai vu s’ériger la nuit dernière ?
— Oui, je veux parler exactement de cela. Considère que c’est une barrière mentale créée par leur psyché. Elle s’enfonce ou s’érige au gré de leur humeur.
— Mais il n’y a aucun moyen pour en venir à bout ? Nous devrions pouvoir les maîtriser ? Mon arme à feu n’a visiblement aucun impact sur eux.
— Ils sont comme nous, ils maîtrisent le temps, ils peuvent appréhender tes mouvements, anticiper tes actes. En l’occurrence, ils sont capables de percevoir la trajectoire d’une balle au ralenti. Vos armes à feu n’ont aucun pouvoir de destruction sur les êtres de notre monde. Ici, fondamentalement rien n’est fait de chair et de sang. Tout n’est qu’apparence physique. Celle que nous pensons être.
— J’ai pu néanmoins toucher l’un d’entre eux.
— Parce qu’il ne t’a pas vu arriver, mais sa structure n’est qu’une composante d’idées, de ressentis. Une conception qu’ils ont d’eux-mêmes comme tous les êtres de ce plan de conscience. Par conséquent, tes balles n’ont fait en quelque sorte que déformer son image, comprends-tu ?
— Pas très bien, mais j’appréhende à peu près dans les grandes lignes ce que tu veux me faire comprendre.
— Rentre chez toi maintenant. Autrefois, tu as fait partie de notre fratrie, tu ne perçois pas encore ce que cela signifie vraiment, mais un jour viendra où tu comprendras. Allez, va maintenant. Tu as des choses à faire, je crois.
Le paysage s’efface peu à peu autour de moi, les murs, l’impasse, l’amoncellement des cadavres et les sœurs damnées. À la place apparaissent et prennent forme les murs et les meubles de ma chambre.
***
Il est presque 19 heures, j’ai dormi comme un loir. Je me sens apaisée, reposée, malgré les événements que j’ai vécus ces dernières heures. Je vais devoir appeler ma psy, j’ai besoin de lui raconter les phénomènes dont j’ai été le témoin ces dernières vingt-quatre heures. Elle va certainement me demander de passer à son cabinet le plus tôt possible. Mais avec la pression de cette affaire, ça semble un peu compromis. Je descends dans la salle à manger de l’hôtel-restaurant, tout est calme, quelques personnes sont accoudées au comptoir. À droite, isolé dans un coin, Karl, mon équipier, assis, en train de rédiger le rapport.
C’est un brave gars finalement, j’avais un peu l’appréhension de travailler avec lui, mais notre relation s’est améliorée. C’est con, je ne lui ai pas demandé s’il était avec quelqu’un ? S’il était marié ? A-t-il des enfants ? Je ne connais rien ou pas grand-chose de ce type. Il lève la tête et m’aperçoit, il me fait un signe, je lui fais comprendre que je dois avoir une communication téléphonique. Je m’introduis dans la cabine du sous-sol à côté des toilettes, je referme prudemment la porte pour ne pas que l’on puisse entendre ma conversation avec ma psychiatre. Ma main tremble, je dois manipuler le combiné, je pénètre mon index dans chacun des trous pour faire pivoter le cadran, son bruit caractéristique fixe mon attention. Le bip-bip s’enclenche, ma psy va décrocher.
— Docteur Clément, j’écoute.
— Bonsoir docteur, c’est Rachel.
Un silence de trois secondes qui semblent une éternité.
— Rachel ? Bon sang, mais vous deviez m’appeler hier soir, vous connaissez nos accords ? Je veux pouvoir vous suivre de près, c’est la seule condition pour laquelle j’ai accepté de ne pas vous faire interner et pour vous permettre également de pratiquer votre profession. Vous portez une arme Rachel, je dois donc m’assurer que vous alliez bien.
— Oui je sais docteur, mais hier soir, je n’ai vraiment pas pu vous appeler. J’ai été engagée pour une enquête en Sologne, au sujet d’enlèvements de jeunes filles qui…
— Oh mon Dieu ! Vous voulez parler de ces enlèvements qui défraient la chronique depuis une semaine ?
Je n’aurais sans doute pas dû lui en parler. Merde, j’ai déconné.
— Non, docteur, pas une semaine, mais depuis deux semaines…
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Fred Leiwa
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Sand Canavaggia
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Sand Canavaggia
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