Fyctia
Vaguement humain.
Nous gravissons l’escalier et sur le palier du haut, se présente un long couloir qui dessert une série de portes de part et d’autre. Nous visitons chacune des pièces, presque toutes vides. Sur les murs, les parements de bois ont été parfois arrachés. Les vieilles tapisseries d’un autre temps sont d’un motif chargé à l’exception de l’une d’entre elles dont le dessin semble dilué avec une teinte d’aquarelle et ses fleurs printanières.
Parfois sur les murs, des zones plus foncées font comprendre qu’un tableau est demeuré à sa place pendant bien longtemps. Dans une des pièces, il y a un lit d’enfant avec sa tête de lit en métal blanc, une vieille poupée avec un seul œil, semble dormir là depuis toujours.
Le vent se lève doucement, l’air s’engouffre à travers les carreaux cassés de la fenêtre. C’est le vent maudit qui rugit, j’ai l’impression qu’il est en colère, il laisse se balancer de vieilles cantonnières cramoisies, usées qui se mettent alors à danser lorsqu’il prend de l’ampleur et mugit de plus belle. Le temps change tout à coup, les nuages gris tournoient, ils s’épaississent, et s’affaissent sur le sol. Nous décidons de redescendre précipitamment au rez-de-chaussée, au vestibule, les deux gendarmes ne sont pas revenus. Karl et moi nous nous regardons d’un air entendu et interrogateur. À l’extérieur, la nuit est tombée, alors qu’il n’est que onze heures du matin. Karl s’inquiète, il accélère son rythme, en se précipitant dans chaque pièce, sans les apercevoir. Je l’entends maugréer.
— Putain Rachel, mais où sont-ils passés. Hé ! Les gars ! Vous êtes où ?
— Calme-toi Karl, ils doivent-êtres quelque part, la demeure est grande.
— Oh les gars ? Vous allez nous répondre ?
— Peut-être sont-ils dans la cave ?
— J’y vais.
— Sois prudent tout de même.
— De quoi ?
— Fait attention, c’est tout.
Karl s’éloigne de moi. Je reste figée à le regarder se diriger vers la porte sous l’escalier. Je me tourne, je fixe ma vue au-delà de la porte d’entrée. J’observe le perron et la descente de la courbe des escaliers. Dans la cour abandonnée, la 404 qui a conservé ses phares allumés ; c’est bizarre, je ne l’avais pas remarqué, la nuit est tombée, seuls leurs lumières éclairent l’intérieur, elles se prolongent le long du couloir.
***
Tout à coup, le bruit du vent s’atténue et disparaît. Son souffle cesse instantanément. Un bourdonnement ambiant fait place, c’est celui du lourd silence. Là, je sais qu’il y a quelque chose d’anormal. Mais que s’est-il passé ? Je n’ai pas remarqué le changement avant cet instant. Celui du temps qui cesse d’être, qui interrompt son déroulement. La peur monte lentement en moi, l’angoisse m’étreint à la gorge, j’ai du mal à déglutir. Par instinct de protection, je recule lentement sans bruit et je me plaque dos au mur. Je sors mon arme de son étui et ma lampe de poche de mon imperméable, je l’éclaire et je dirige de toute part le faisceau de ma lampe de droite et de gauche.
La maison se met à bouger, du moins ses murs, le dallage du sol se reconstitue, les parements muraux en bois se fixent, les tapisseries déchirées, usées, se recollent, se plaquent, les tableaux, les meubles naissent de débris, pour se recomposer, se fixer, tout cela se produit dans un craquement, celui des matériaux qui se reforment, se renouvellent, se réparent. Je reste figée, comme paralysée et c’est le GONG de la pendule de la pièce voisine qui me sort de mon état de catalepsie. Je glisse le dos contre le mur de bois jusqu’à l’entrée de la cave. Je suis parvenue tout à côté, j’entends des gémissements de souffrance, des voix de jeunes femmes qui supplient de les épargner. Puis c’est un terrible cri qui déchire l’atmosphère. Je me décide à franchir le seuil de la porte de la cave et descendre les marches d’escalier en pierre qui s’enfoncent dans les profondeurs de l’antre du Diable !
Je prends les premières marches lorsque je distingue une lueur jaunâtre. Je fais tout mon possible pour descendre à pas feutrés. Les gémissements continuent toujours ponctués de terribles cris de douleur. J’atteins le milieu de l’escalier au niveau où il se courbe, je vois les murs suinter d’une gangue poisseuse, noire à l’odeur âcre.
Mais où est donc passé Karl ? Putain, ce n’est pas bon tout ça. Après la courbe de l’escalier, se découvrent à moi des tables chirurgicales sur lesquelles sont allongées, ligotées des jeunes filles. Penché sur elles, un homme de grande taille, tout habillé de noir avec de longs doigts. Je l’entends, il dégage un bruit mêlé de chuchotements et de crissements, comme si… comme le ferait un grillon, un criquet ou une sauterelle. Je m’approche de lui. Je suis à dix pas, mais que trafique-t-il ? La fille se contorsionne et lâche des cris à chaque fois qu’il applique quelque chose. Je me décide de lancer la sommation d’usage.
— Oh les mains enfoiré, c’est terminé ton petit jeu. Eh l’ami, je te cause. Si tu ne te retournes pas, je vais te loger une balle en plein crâne, c’est à toi de voir.
Il cesse de s’affairer et se redresse. Il se tourne lentement dans ma direction. Je tiens la crosse de mon pistolet automatique des deux mains, je tremble. Mon index est prêt à appuyer sur la détente. Je vois face à moi, un être vaguement humain, bossu, de longs doigts griffus et sa bouche s’ouvre en quatre segments, elle laisse découvrir des mandibules rétractées, elles se déploient telle une multitude de crochets venimeux. Je suis saisie par l’horreur et mon index ne m’obéit plus. Il presse la gâchette qui déclenche un tir automatique de huit balles. J’ai vidé mon chargeur. L’impact des balles fait éclater son crâne qui se recompose presque immédiatement. Les jeunes femmes se trouvant dans leur cellule, ayant vu la scène me crient de faire attention. Je pressens une présence derrière moi, je me tourne subitement tout en injectant l’ancien chargeur et j’en enclenche un second. Je n’en crois pas mes yeux, j’ai face à moi, la même créature, il porte un haut de forme, et ses yeux pervers me scrutent avidement pendant qu’il lâche un rictus de sourire narquois. Je tire à nouveau, je suis presque à bout portant, il évite toutes mes balles en inclinant sa tête successivement à droite et à gauche. Sa gueule s’écarte à son tour et laisse découvrir des mandibules qui se frottent, elles font le bruit du crissement d’un criquet. Je ressens tout à coup une terrible douleur dans mon dos, quelque chose vient de me pénétrer. Je pousse un cri, la souffrance est atroce. La sueur provoquée par l’insupportable dégouline le long de mon dos, mes cheveux se collent à mes joues, mais je continue à hurler de toutes mes forces. Je m’effondre mes paumes de mains posées sur le sol.
22 commentaires
mikaou
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Gottesmann Pascal
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans