Fyctia
Fichons le camp.
Cette douleur est insupportable, jailli au plus profond de moi, une fureur sauvage, quelque chose à la fois d’étranger et de familier. Mes mains se transforment, elles s’allongent, mes griffes raclent le sol à en graver des sillons, ma peau devient vert-de-gris, ma vue se trouble, puis elle devient plus nette que jamais. Je sens en moi une force, une puissance m’habiter. Je vois, j’entends au-delà de tout ce qui est. Je me redresse alors que le rostre reste empalé en moi. Ils me regardent, effrayés. Je ne comprends pas ce qu’il se passe, eux non plus, j’observe l’énorme crochet qui m’a traversée. Je le saisis et je l’arrache, il hurle de douleur, ses yeux rouge me fixent de colère. Il regarde son membre amputé dont une partie git au sol, il recule, l’autre aussi. Je n'ai pas besoin de me tourner, je vois sur un angle de 360 degrés. Tout recommence à se métamorphoser autour de moi, et alors que l’environnement se désagrège, j’ai juste le temps d’entendre l’un d’eux dire à l’autre :
— Tu as vu ? C’en est une.
— Mais ce n’est pas possible, comment aurait-elle fait pour arriver jusqu’à nous ?
***
Puis tout l’environnement disparaît, la maison redevient salle, délabrée, abandonnée des hommes comme nous la connaissons dans la réalité de ce monde. Je redeviens moi, la souffrance rejaillit, je suis sur le point de perdre connaissance, j’ai encore la force de crier que l’on vienne à mon secours.
J’appelle mon co-équipier. Je m’effondre à genoux, quelque chose de proéminent sur le sol me blesse. Mes yeux enfiévrés ne voient presque plus rien, mais à travers les larmes de douleur, au moment où je pense que ma dernière heure est arrivée, j’entrevois encore les deux masques d’horreur, et leur sourire sarcastique qui s’évanouissent pour disparaître complétement.
— Rachel ! Eh Rachel ! Maréchal des logis Grosjean, éclairez-moi plus dans cette direction s’il vous plaît. Rachel ?
— Pour quelle raison a-t-elle hurlée ainsi inspecteur ? Crespau et moi en avons eu des frissons. Nous avons compris que ça venait de la cave, nous avons accouru immédiatement.
— Fort heureusement, nous ne nous sommes pas tirés dessus messieurs. Bon, aidez-moi à la mettre debout, je vais la hisser sur mon épaule.
— Crespau ? Que fais-tu ? Tu comptes prendre le thé dans cet endroit sordide ?
— Non maréchal des logis chef, j’ai eu juste l’impression que quelque chose…
— Quoi donc ?
— Là-bas au fond dans cette cellule, vous voyez ? J’ai eu l’impression d’un mouvement.
— Bon, qu’est-ce que vous foutez tous les deux ? Éclairez-moi cet escalier, je n’ai pas envie de faire une chute avec ma co-équipière sur l’épaule.
— Oh pardonnez-nous inspecteur Roland. Nous arrivons, d’ailleurs, nous n’avons plus rien à faire ici.
Je reprends connaissance, j’ai un réflexe de défense, je lève mon coude pour me protéger, mais c’est le visage de Karl que je vois. Je passe ma main sur le bas de mon dos, je n’ai rien, aucune blessure, néanmoins un point sensible. Mon co-équipier relève mon pull et regarde ce qui me provoque une douleur.
— Montrez-moi, Rachel. Vous avez un gros bleu, une ecchymose si vous préférez. Vous avez dû vous faire ça en tombant. Levez-vous. Ça va aller, vous arrivez à marcher ?
— Oui, ça va aller, je vous remercie. Bon fichons le camp, nous n’avons plus rien à faire ici, aujourd’hui.
— Mais que s’est-il passé ? Vous nous avez fait peur, nous avons cru que vous vous faisiez agresser.
— Je ne sais pas ce qu'il s’est passé, j’ai dû faire une chute et la douleur m’a fait réagir ainsi.
Nous sortons du manoir, pénétrons dans la 404, en nous éloignant, je jette un dernier coup d’œil furtif sur l’imposante façade délabrée. Je crois voir à l’une des nombreuses fenêtres éventrées, une silhouette sombre aux yeux rouges de cruauté, je cligne des yeux, il n’y a plus rien. Je suis assez secouée. Karl s’en rend compte et demande aux gendarmes de nous ramener à l’hôtel. Il est plus de quatorze heures. Je dois appeler ma psychiatre.
Tout le long du parcours de retour, je suis songeuse, ces phénomènes sont revenus aussi forts qu’il y a quelques années. Je pensais qu’ils avaient disparu à jamais. J’avais bien eu quelques signes le mois dernier, mais pas aussi fort que depuis ces vingt-quatre dernières heures.
— Je pensais que vous étiez dans la cave tout comme moi. Je vous ai vu y descendre, je vous ai juste suivi, mais arrivée en bas, je ne vous y ai pas trouvé.
— Mais j’y étais Rachel, cette cave est immense. Elle recèle de nombreux couloirs et des renfoncements, probablement d’anciennes cellules comme l’a évoqué le vieux Gustave. Lorsque vous avez crié, j’étais tout près. J’ai accouru dès que je vous ai entendu.
— Et vous n’avez rien vu Karl ?
— Non, qu’aurais-je dû voir ?
— Rien... Laissez tomber...
— On ne se tutoie plus Rachel ?
— Oui bien sûr Karl, pardon, je suis un peu secouée.
— Oui, c’est ce que je constate. Vous allez vous reposer, moi pendant ce temps, je vais rédiger le rapport d’aujourd’hui.
Nous arrivons à l’hôtel, je descends du véhicule et je me dirige vers le bâtiment. Je récupère ma clef et je monte les escaliers pour me rendre dans ma chambre comme un automate. Je m’effondre sur le lit. Je regarde la fenêtre, les carreaux de vitre sont frappés par les gouttes de pluie, je cligne des yeux puis je m’endors.
***
Je me retrouve instantanément dans un lieu sombre, le ciel est lourd, des orages de feu traversent la voûte céleste. Au loin, j’aperçois l’habituelle cité tentaculaire. La silhouette titanesque qui s’en détache, c’est l’imposant et inquiétant édifice qui touche presque les nuages noirs. Je m’avance, je regarde le sol, il est recouvert comme toujours d’une cendre noire. Autour de moi, des maisons en ruine. Le long de l’avenue défoncée, des débris, des décombres, des automobiles de toutes les époques dont il ne reste plus qu’une carcasse rouillée.
Les reliefs des choses semblent plus accentués, les couleurs à dominante noire et grise, donnent parfois l’apparence d’une pellicule en négatif. J’avance, il semble n’y avoir personne quand tout à coup, sortant des ruines de toute part, des humains nus et scarifiés. Il se dégage d’eux, toute la débauche du monde, tous les vices, la dépravation, toute la haine et la dégénérescence que l’humanité ait engendrés dans toute son histoire. Leurs regards sur moi ne sont pas amicaux. Ils s’approchent en se précipitant, je comprends qu’ils sont hostiles. Je recule, je me mets à courir à l’opposé, mais il en sort de plus en plus provenant de toutes les bâtisses qui longent l’avenue.
Je m’échappe, je fuis, je tente de m’extraire de ce guet-apens, une femme est à deux doigts de se saisir de mon bras, mais je parviens de justesse à l’éviter. Je gravis les monticules de gravats pour les dévaler de l’autre côté. J’entends le son d’un cor, il semble qu’ils sonnent la curée, et je suis le gibier.
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Ashley Moon
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Jean-Marc-Nicolas.G
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chocotean
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Gottesmann Pascal
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