Jean-Marc-Nicolas.G À la découverte des Anachorètes. Fichons le camp.

Fichons le camp.

Cette douleur est insupportable, jailli au plus profond de moi, une fureur sauvage, quelque chose à la fois d’étranger et de familier. Mes mains se transforment, elles s’allongent, mes griffes raclent le sol à en graver des sillons, ma peau devient vert-de-gris, ma vue se trouble, puis elle devient plus nette que jamais. Je sens en moi une force, une puissance m’habiter. Je vois, j’entends au-delà de tout ce qui est. Je me redresse alors que le rostre reste empalé en moi. Ils me regardent, effrayés. Je ne comprends pas ce qu’il se passe, eux non plus, j’observe l’énorme crochet qui m’a traversée. Je le saisis et je l’arrache, il hurle de douleur, ses yeux rouge me fixent de colère. Il regarde son membre amputé dont une partie git au sol, il recule, l’autre aussi. Je n'ai pas besoin de me tourner, je vois sur un angle de 360 degrés. Tout recommence à se métamorphoser autour de moi, et alors que l’environnement se désagrège, j’ai juste le temps d’entendre l’un d’eux dire à l’autre :


— Tu as vu ? C’en est une.

— Mais ce n’est pas possible, comment aurait-elle fait pour arriver jusqu’à nous ?


***


Puis tout l’environnement disparaît, la maison redevient salle, délabrée, abandonnée des hommes comme nous la connaissons dans la réalité de ce monde. Je redeviens moi, la souffrance rejaillit, je suis sur le point de perdre connaissance, j’ai encore la force de crier que l’on vienne à mon secours.


J’appelle mon co-équipier. Je m’effondre à genoux, quelque chose de proéminent sur le sol me blesse. Mes yeux enfiévrés ne voient presque plus rien, mais à travers les larmes de douleur, au moment où je pense que ma dernière heure est arrivée, j’entrevois encore les deux masques d’horreur, et leur sourire sarcastique qui s’évanouissent pour disparaître complétement.


— Rachel ! Eh Rachel ! Maréchal des logis Grosjean, éclairez-moi plus dans cette direction s’il vous plaît. Rachel ?

— Pour quelle raison a-t-elle hurlée ainsi inspecteur ? Crespau et moi en avons eu des frissons. Nous avons compris que ça venait de la cave, nous avons accouru immédiatement.

— Fort heureusement, nous ne nous sommes pas tirés dessus messieurs. Bon, aidez-moi à la mettre debout, je vais la hisser sur mon épaule.

— Crespau ? Que fais-tu ? Tu comptes prendre le thé dans cet endroit sordide ?

— Non maréchal des logis chef, j’ai eu juste l’impression que quelque chose…

— Quoi donc ?

— Là-bas au fond dans cette cellule, vous voyez ? J’ai eu l’impression d’un mouvement.

— Bon, qu’est-ce que vous foutez tous les deux ? Éclairez-moi cet escalier, je n’ai pas envie de faire une chute avec ma co-équipière sur l’épaule.

— Oh pardonnez-nous inspecteur Roland. Nous arrivons, d’ailleurs, nous n’avons plus rien à faire ici.


Je reprends connaissance, j’ai un réflexe de défense, je lève mon coude pour me protéger, mais c’est le visage de Karl que je vois. Je passe ma main sur le bas de mon dos, je n’ai rien, aucune blessure, néanmoins un point sensible. Mon co-équipier relève mon pull et regarde ce qui me provoque une douleur.


— Montrez-moi, Rachel. Vous avez un gros bleu, une ecchymose si vous préférez. Vous avez dû vous faire ça en tombant. Levez-vous. Ça va aller, vous arrivez à marcher ?

— Oui, ça va aller, je vous remercie. Bon fichons le camp, nous n’avons plus rien à faire ici, aujourd’hui.

— Mais que s’est-il passé ? Vous nous avez fait peur, nous avons cru que vous vous faisiez agresser.

— Je ne sais pas ce qu'il s’est passé, j’ai dû faire une chute et la douleur m’a fait réagir ainsi.


Nous sortons du manoir, pénétrons dans la 404, en nous éloignant, je jette un dernier coup d’œil furtif sur l’imposante façade délabrée. Je crois voir à l’une des nombreuses fenêtres éventrées, une silhouette sombre aux yeux rouges de cruauté, je cligne des yeux, il n’y a plus rien. Je suis assez secouée. Karl s’en rend compte et demande aux gendarmes de nous ramener à l’hôtel. Il est plus de quatorze heures. Je dois appeler ma psychiatre.

Tout le long du parcours de retour, je suis songeuse, ces phénomènes sont revenus aussi forts qu’il y a quelques années. Je pensais qu’ils avaient disparu à jamais. J’avais bien eu quelques signes le mois dernier, mais pas aussi fort que depuis ces vingt-quatre dernières heures.


— Je pensais que vous étiez dans la cave tout comme moi. Je vous ai vu y descendre, je vous ai juste suivi, mais arrivée en bas, je ne vous y ai pas trouvé.

— Mais j’y étais Rachel, cette cave est immense. Elle recèle de nombreux couloirs et des renfoncements, probablement d’anciennes cellules comme l’a évoqué le vieux Gustave. Lorsque vous avez crié, j’étais tout près. J’ai accouru dès que je vous ai entendu.

— Et vous n’avez rien vu Karl ?

— Non, qu’aurais-je dû voir ?

— Rien... Laissez tomber...

— On ne se tutoie plus Rachel ?

— Oui bien sûr Karl, pardon, je suis un peu secouée.

— Oui, c’est ce que je constate. Vous allez vous reposer, moi pendant ce temps, je vais rédiger le rapport d’aujourd’hui.


Nous arrivons à l’hôtel, je descends du véhicule et je me dirige vers le bâtiment. Je récupère ma clef et je monte les escaliers pour me rendre dans ma chambre comme un automate. Je m’effondre sur le lit. Je regarde la fenêtre, les carreaux de vitre sont frappés par les gouttes de pluie, je cligne des yeux puis je m’endors.


***


Je me retrouve instantanément dans un lieu sombre, le ciel est lourd, des orages de feu traversent la voûte céleste. Au loin, j’aperçois l’habituelle cité tentaculaire. La silhouette titanesque qui s’en détache, c’est l’imposant et inquiétant édifice qui touche presque les nuages noirs. Je m’avance, je regarde le sol, il est recouvert comme toujours d’une cendre noire. Autour de moi, des maisons en ruine. Le long de l’avenue défoncée, des débris, des décombres, des automobiles de toutes les époques dont il ne reste plus qu’une carcasse rouillée.


Les reliefs des choses semblent plus accentués, les couleurs à dominante noire et grise, donnent parfois l’apparence d’une pellicule en négatif. J’avance, il semble n’y avoir personne quand tout à coup, sortant des ruines de toute part, des humains nus et scarifiés. Il se dégage d’eux, toute la débauche du monde, tous les vices, la dépravation, toute la haine et la dégénérescence que l’humanité ait engendrés dans toute son histoire. Leurs regards sur moi ne sont pas amicaux. Ils s’approchent en se précipitant, je comprends qu’ils sont hostiles. Je recule, je me mets à courir à l’opposé, mais il en sort de plus en plus provenant de toutes les bâtisses qui longent l’avenue.


Je m’échappe, je fuis, je tente de m’extraire de ce guet-apens, une femme est à deux doigts de se saisir de mon bras, mais je parviens de justesse à l’éviter. Je gravis les monticules de gravats pour les dévaler de l’autre côté. J’entends le son d’un cor, il semble qu’ils sonnent la curée, et je suis le gibier.

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27 commentaires

Ashley Moon

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Il y a 4 ans

Notre imagination nous emmène parfois dans des lieux sombres et même si l'on pense que cela n'est pas réaliste, une part de nous même se dit ' et si ? ' Tu retranscris vraiment bien cette sensation et c'est un plaisir à lire, car on s'identifie et on ressent, je dirai même qu'on perçoit nous aussi ces silhouettes

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Bonjour Ashley, c'est un commentaire très juste, provenant d'une analyse empreint de maturité. Je retrouve chez toi quelque chose d'identique chez certains de mes lecteurs. Globalement, je dirais que les lecteurs qui sont devenus mes potes, aiment ce que l'on voit a un premier degré. Les images si tu préfère qui se dégagent de ce texte. Une forme d'effets spéciaux, les garçons en sont friands. Et puis il y a les lectrices, elles sont différentes, ayant chacune leur personnalité, certe, mais toute fois, un point commun, une analyse issue d'une autre sensibilité, je pense "féminine" elles ressentent à un deuxième degré cette histoire, quelque chose de plus profond. Tu le démontres une fois de plus (il faut lire les autres commentaires pour que tu t'en rendes compte, si tu ne l'a pas déjà fais) Cette histoire comme d'autres est a deux vitesses, il y a deux façons (au moins) de la comprendre. Je note qu'il y a la façon masculine et la façon féminine. A cela tu ajoute le fait que beaucoups d'entre elles me suivent depuis le début, qu'elles ont lu le premier volet, elles sont donc déjà empreints de cet univers, c'est donc pour elles quelque chose de familier. Tu a cette faculté de ressentir, de plus tu es comme moi, écrivaine, donc une partie imaginaire vit en toi. Alors c'est un plus, tu n'as pas besoin de visualiser cette histoire sur un écran tu le fais dans ton esprit, c'est un pouvoir que nous avons, nous, qui aimons lire. Bonne continuité de lecture Ashley. Et puis il suffit de te lire pour comprendre un peu, je dis bien un peu qui tu es.

Ashley Moon

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Il y a 4 ans

Je suis complètement d'accord avec toi, nous n'avons pas besoin de voir des images pour y coller un texte. Cela se déroule tout seul dans notre esprit. Je pense que tu es comme moi quand tu écris, tu vois la scène dans ta tête et tu la couches sur papier, c'est ce qui la rend vivante. Faire vivre un passage, une histoire comme celle-ci est assez compliquée. Je pense que tu as raison, la vision masculine et féminine est parfois différente. On voit les choses à un autre niveau. Je te remercie aussi pour ces compliments :D, nous avons tous les deux, comme les autres écrivains, une imagination fluide et créative, ce qui permet de se plonger dans l'histoire et d'y voir sans difficulté ce que tu veux nous faire comprendre. Je dévore par petits bouts ton histoire sinon je vais la finir en une heure :)

chocotean

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Il y a 4 ans

Le commentaire est parti trop vite, je n'ai pas eu le temps de finir!! Bref, je voulais te redire encore que ton histoire résonne très fort en ces temps troublés où règne la sinistrose, la peur des gens qui ne réfléchissent plus devant leur tv, les équipes médicales surchargées. J'ai un peu l'impression que ces jours nous sommes dans un de tes mondes incertains. Il nous faut trouver la force de résister à quelque chose que nous ne maitrisons pas. Nous sommes en parfaite harmonie avec ce que Rachel vit. Merci en tout cas, de nous entrainer avec toi dans une autre dimension qui nous permet un peu d'évasion

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Oui, c'est le but, je dois vous emporter juste un instant dans un autre monde que celui dans lequel nous évoluons. En général, la plus part du temps, en particulier en ce moment.

chocotean

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Il y a 4 ans

Bonjour Cher Jmng, j'adore moi aussi ta fin de chapitre, magnifique. D'une seule phrase tu campes le futur, tu nous enchaines à la lecture. Je sais que je suis moins présente ces jours ci, mais quelques obligations me tiennent loin des choses qui ne sont pas "essentielles" au quotidien, j'en suis désolée. Car j'aime te lire et commenter et là, je suis un peu dépassée par les évènements. Néanmoins, même si je ne commente pas, je prends comme ce matin, le temps de lire, vite fait, du boulot, ta prose inimitable et ton monde noir, si noir qu'il réflète un peu de mon désespoir et de cette ambiance pourrie dans laquelle nous vivons ces derniers temps.

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Mais c'est déjà généreux de ta part d'offrir un peu de ton temps pour venir ma lire. Règle tes affaires, après ça ira mieux, tu auras à nouveau des moments sereins, ça revient toujours les instants calmes et paisibles, toujours. Il y a dans l'existence des hommes, une sorte d'horloge, naturelle.

Gottesmann Pascal

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Il y a 4 ans

Ils sonnent la curée et je suis le gibier. Qu'elle tension. La scène de chasse promet d'être horrible.

Jean-Marc-Nicolas.G

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Il y a 4 ans

Je constate que tu aimes, et moi, j'aime quand on aime.
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