Jean-Marc-Nicolas.G À la découverte des Anachorètes. Le manoir maudit.

Le manoir maudit.

Grosjean reprend sa discussion. Je m’enhardis à poser ma question, je demande si ces gens connaissent l’existence d’une grande maison bourgeoise ou d’un château dans les environs à une dizaine de kilomètres à la ronde. Un lourd silence se pose, les dames répondent en même temps qu’il n’y a pas ce genre de bâtisse. Il faut pousser plus loin pour en trouver ici, dans la commune, il n’y a que des fermes. Mais le vieux intervient en parlant en patois, sa femme lui répond agacée et nous observons pendant un moment les échanges dans une langue que nous ne comprenons pas.


— Que disent-ils maréchal des logis ?

— Oh, rien de très intéressant pour votre enquête, le vieux Gustave se fait remonter les bretelles par sa femme et sa fille parce qu’il raconte des histoires sans fondements, des élucubrations de vieux monsieur.

— J’aimerais néanmoins savoir ce qu’ils se disent.


Le vieux Gustave s’interrompt dans son patois pour s’adresser directement à moi en français.


— Il y a ma p’tite dame qu’il y a eu une grande demeure. Un manoir comme vous l’appelez à Paris. Après la mort d’son dernier propriétaire, la bâtisse a été reprise, mais jamais vraiment occupée. On racontait qu’elle était maudite, tous les propriétaires qui se sont succédés, sont morts subitement peu de temps après l’avoir habitée ou sont partis précipitamment. Elle est restée finalement inhabitée puis abandonnée, elle est tombée en ruine. Ça se passait entre les deux guerres.

— Papa, la jeune dame demande si c’est une maison habitée qui se situe dans la commune pas une ruine et en plus tu nous racontes des vieilles histoires qui n’ont aucun intérêt pour les policiers.

— Ça, c’est toi qui l’dit ma fille, tu n’as pas connu la maison ni ses habitants. Tu es née plusieurs années après l’occupation du dernier propriétaire.

— Mais je la connaissais bien cette maison papa. Nous allions nous y amuser enfants, tu avais beau nous recommander de ne pas y aller, nous nous y rendions quand même.

— Oui, mais elle était déjà plus habitée depuis plus de trente ans ma fille. Tu ne l’as pas connue occupée.

— Si papa, ça devait se passer dans le courant de l’année voyons voir...1938, j’avais huit ans papa, souviens-toi je jouais avec la petite Eurydice, la fille de ses derniers occupants.

— Oui, j’m’en souviens très bien, c’étaient les Morel, lui, était un industriel, mais ils sont arrivés en Mars et ont quittés la maison en Septembre.

— Pour quelle raison sont-ils partis au bout de quelques mois ?

— Eh bien M’dame, le monsieur est mort subitement d’une crise cardiaque et son épouse n’a pas souhaité rester dans cette demeure. D’ailleurs, curieusement tous les décès qui se produisirent à la suite de la mort du comte en 1922, furent soit provoqués par des crises cardiaque, soit par des suicides. J’en ai compté au moins douze. Et puis la disparition des jumelles Berton en 1923 et de la petite Sylvia en 1926. Et beaucoup d’autres jusqu’en 31,32, j’dirais. Aujourd’hui, plus personne n’en parle, avec les événements qui suivirent. L’occupation, la peur d’la milice, les privations, toutes ces histoires sont tombées dans l’oubli.

— Vous voulez dire que les disparitions de jeunes filles se sont déjà produites et ce, avant la guerre ?

— Ah bein pour sûr, j’ai 85 ans m’dame, alors vous savez, j’en ai vu quand même plus que vous tous. C’est pour cte'raison que j’vous disais à l’instant que ce Manoir passait pour une maison maudite. Mais personne ne m’écoute, je passe pour un vieux qui radote.


Je me tourne vers les deux gendarmes, l’air interrogateur.


— Mais ça personne ne m’en avait parlé ?


Les deux Maréchaux des logis me fixent d’un air ahuri.


— Nous inspecteur, on n’en savait rien de tout ça, on n’y était pas.

— Si toi tu y étais.

— Mais non pas du tout, ne raconte donc pas de conneries ! J’ai intégré la brigade en 1945, bien après tous ces événements !

— Oui je suis d’accord avec toi, mais tu es du cru. Tu as grandi pendant ces événements.

— Mais je ne m’en occupais pas de ces choses-là.

— Très bien, ne vous chamaillez pas, mais Maréchal des logis chef Grosjean, il n’en est pas moins vrai que vous auriez dû nous en parler de ces enlèvements.

— Inspecteur Benvenuti, je n’avais pas fait le rapprochement voilà tout.

— Vous n’aviez pas fait le rapprochement ? Mais enfin, cela ne vous a pas troublé ?

— Mais enfin ça s’est produit il y a plus de vingt ans !

— On en a cure maréchal des logis, vous auriez dû nous en parler. Bon, monsieur, vous nous dites que cette maison est en ruine, ce qui signifie qu’elle et encore visible ?

— C’qu’est bizarre m’dame c’est que les Morel laissèrent toutes leurs affaires et ils emportèrent à peine trois valises. J’le sais c’est mon grand et moi qui les avons chargés dans la camionnette. Plus tard, avec les gens de la commune on s’est décidés de faire une petite visite. Il y avait plus d’un an qu’elle n’était plus occupée. Il y avait encore tous les meubles même ceux qui avaient appartenus au comte et il était mort depuis 1922. C’est vous dire ! les armoires étaient pleines des affaires des différents propriétaires qui s’étaient succédés depuis cet époque. Le grenier était rempli d’un fatras, j’vous dis même pas, avec des albums photos de l’époque. Celui qui succéda à monsieur le Comte, l’Auguste Pendru, eh bein c’est à partir de l’époque où il habita c’te demeure que ça a commencé. J’men souviens bien, c’tait en 23. On était allés voir si à tout hasard on n’pouvait pas s’faire un peu d’argent en revendant quelques vieilles breloques.

— Vous voulez parler des enlèvements ?

— Oh pas seul'ment ! Les suicides et les crises cardiaques. Après le Pendru qui y est resté le plus longtemps en dehors de monsieur le Comte, j’dirais jusqu’en 1930...1931, c’est après qu’il a eu cet' succession de propriétaires.

— Et vous vous êtes servis ? Ça c’est pas bien Gustave, tu sais que c’est passible de…

— Oh ! La ferme maréchal des logis, on s’en moque ! Bon reprenez monsieur.

— Bein qu’en visitant la maison, on n’avait pas vu le plus terrible, dans les caves, une salle qu’avait été murée, dans laquelle se trouvait des cages, des cellules com' en prison, vous voyez ? Et deux tab'es à opérer com’ dans les hôpitaux. On en a frissonné l’grand, mes collègues et moi. On n’a pas demandé not’reste et on est partis aussi sec, pour sûr.

— Tu m’l'as jamais raconté ch't' hichtoire Guch ?

— Non femme, jamais. J’voulais plus jamais parler de cette maison. Et mes copains non plus. On s’était dit d’garder pour nous c’que nous avions vu.

— Bon très bien, et cette maison, où-est-elle ? S’il en reste encore quelque chose.

— Oh ! Mais elle est encore là, bien visible. Le temps n’a pas eu encore le dessus sur cette saloperie.

— Que dites-vous maréchal des logis Grosjean ? Expliquez-moi ?


Tu as aimé ce chapitre ?

25 commentaires

Léoneplomb

-

Il y a 4 ans

En fin de compte, j'apprécie beaucoup ton roman. C'est pour cela lorsque je n'accroche pas tout de suite à un livre, je persévère dans la lecture et très souvent je termine le roman.

Gottesmann Pascal

-

Il y a 4 ans

Voila une masse d'information colossale pour les policiers. Ce manoir abandonné après avoir été la plus belle demeure a de quoi susciter la curiosité de tout le monde.Un tel lieu serait parfait pour l'individu qui enlève toutes ces jeunes femmes. Quand au maréchal des logis du coin, je le soupçonnerai de jouer les surpris d'avoir gardé pour lui des informations qu'il connaissait très bien.

Jean-Marc-Nicolas.G

-

Il y a 4 ans

Tu as entièrement raison, le maréchal des logis chef Grosjean a un rapport avec cette maison, un mauvais souvenir, qui l'a marqué. Bonne intuition, bravo Pascal
Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.