Fyctia
Du souvenir aux chuchotements.
Des gloussements d’un autre monde apparaissent, ça grimpe sur l’armoire, puis ça s’agrippe sur les rideaux. Tout à coup, des clameurs lointaines se font entendre, eh merde, ça recommence !
Je pensais qu’avec le temps ces expériences auraient disparu. Ça s’agrippe sur le lit, j’entends des jacassements à voix basse, elles proviennent de toute part, le lit se déforme. C’est là, ça a envahi toute la pièce. Je veux crier, mais je n’y parviens pas.
Cela a commencé quand j’avais douze ans, lorsque ça arrivait, il me suffisait de garder les yeux clos, et puis ça finissait par s’estomper.
Il m’a fallu longtemps avant d’en parler à une psy, car je craignais que cela me porte préjudice pour ma carrière dans la police. Elle m’a expliquée que tout ce qui se passerait dans son cabinet resterait confidentiel. Elle m’a dit que tant que je prendrais mon traitement tout irait bien, je le croyais également, mais c’est revenu insidieusement, se produisait toujours lorsque je m’endormais. Elle m'a dit que si ce phénomène reprenait, je devais prendre conscience de ma schizophrénie paranoïde. Ce que je voyais et entendais n’était qu’une vue de mon esprit, de cette manière je pourrais mieux gérer les phénomènes lorsqu’ils se produiraient.
Et là, il semble que je traverse à nouveau une crise, or, je ne peux le permettre. Si à tout hasard mon chef de brigade l’apprenait, je serais bonne pour la réforme. Non il suffisait de patienter, et ça finirait par passer, ça passe à chaque fois.
Je sursaute, mon cœur ne fait qu’un bon par une décharge d’adrénaline. Putain ! Je ne suis pas seule, ou alors ma crise de paranoïa est bien forte. Je les entends respirer, c’est guttural, abject, c’est un râle gras, ça renifle. Elles sont plusieurs, je les entends distinctement maintenant.
L’une d’entre elles tente de retirer la couverture, mais je m’agrippe, elle tire, mais je résiste. Je dois garder les yeux clos, ne pas regarder, les ignorer et elles finiront par disparaître. Oui c’est ça, j’ai le sentiment que si je les regarde, elles deviennent réelles. Mais que je suis conne, j’agis comme quand j’étais une enfant. Rachel réagit putain ! Tu as 26 ans et tu es officier de police que diable ! J’en ai bavé avec cet entraînement commando, on ne m’a pas fait de cadeaux ! Et voilà que je tremble de peur comme une petite fille fragile.
— Tu crois qu’elle nous ressent ?
— Je ne sais pas, peut être dort-t ’elle ?
— Moi, je vous dis que cette gourgandine fait semblant de dormir comme lorsqu’elle était enfant.
— Elle ne veut pas regarder la vérité en face tout simplement.
— Elle ferme les yeux comme lorsqu’elle devait subir les agressions sexuelles de son éducateur. Elle ne voulait pas regarder la vérité en face !
— Laissez-moi, vous n’existez pas ! Cessez de m’importuner, vous ne me faites pas peur.
— Ah oui ? Alors, retire ta couverture que tu retiens sur ta tête. Regarde-nous enfin une fois, une seule toute petite fois.
— Lâchez-moi, vous n’existez pas, vous êtes le fruit de mon imagination. Vous êtes une création de mon esprit, le docteur Clément m’a expliqué le processus. C’est une crise de schizophrénie paranoïde. Oui une crise, voilà c’est ça. Vous ne m’aurez pas ! Vous avez poussé ma mère au suicide, mais avec moi ça ne marchera pas, car je sais que mon esprit est malade tout simplement malade.
C’est tout à coup un silence total qui s’installe, il se pose telle une chappe de plomb, une forme de black-out, une pression ambiante inquiétante.
Je n’entends plus l’orage et les choses qui me parlaient semblent s’être retirées. Mon cœur martèle ma poitrine, ma respiration est forte, je suis en sueur. Je me décide à descendre la couverture qui recouvrait ma tête et d’entrouvrir les paupières, ce que je vois me paralyse. Je cligne des yeux comme pour tenter de faire disparaître ce qui se présente à ma vue. Ma chambre a disparu, mon lit est posé sur une plate-forme surélevée. Je crois voir des formes noires qui s’éclipsent furtivement, glissant sur le sol et disparaissant de l’esplanade où je me trouve. Au-dessus, un ciel noir d’encre, des nuages lourds qui laissent entrevoir entre eux des luminescences de couleur rouge. Je me décide, il faut que je sorte de mon lit. Mes pieds se posent sur une couche de cendres grise, je me lève, je suis sidérée. Au loin, une ville tentaculaire dont je perçois nettement la silhouette des bâtiments, au centre un édifice colossal qui semble presque toucher les nuages les plus bas. Sa masse semble écraser la cité qui pourtant est immense. Il n’y a pas de doute, je suis retournée dans le Monde Noir. Le monde de mes cauchemars, celui de mes peurs. Ce salopard m’a détruite, ces viols depuis mon enfance ont fracturé mon esprit.
Je me dis malgré tout que c’est un rêve, que ça va passer comme toujours, ça finit toujours par passer. Mais quand même, il semble réel ce rêve, ça en est terrible de réalité. Je me regarde, je suis toujours accoutrée de mon long tricot en coton que je tire machinalement vers le bas. Je cherche ma culotte par un reflex pudique, mais je me souviens l’avoir retirée dans la salle d’eau or, il n’y a plus de salle d’eau, il n’y a plus de chambre, il n’y a plus d’hôtel. Mon lit est comme aspiré à travers un long couloir sombre et humide, vers le fond de cette galerie.
Je débouche dans une immense salle dont je ne perçois pas les limites. Je ne vois dans ce vaste espace que souffrance, c’est une multitude de poteaux plantés sur un sol pavé, entrecoupé de caniveaux dans lesquels s’écoulent du sang et des organes. À chaque poteau est attachée une personne pendue par les bras et la gorge. Elles sont entrelacées par des câbles torsadés, ce sont des fils de fer barbelés entremêlés qui se croisent et s’entrecroisent pénétrant à vif dans les chairs ; certains ressortant par la bouche, les narines, les yeux, mais aussi par l’abdomen, l’anus ou l’orifice vaginal. C’est une vision abominable, ici Dieu ne semble pas avoir posé son regard.
Ce sont d’atroces cris de souffrance qui s’échappent de la bouche de ces martyrisés. Des créatures de corpulence massive à l’aspect grossier, leurs orbites enfoncées et une mâchoire massive et proéminente s’en prennent à ces pauvres bougres suppliciés, ils les fouettent avec des lanières multiples en métal terminées par des crochets. Une odeur mélangée de sang, de boyaux et de matières fécales remonte jusqu’à moi. Les créatures puissantes et redoutables, qui sont en mouvement autour, ne cessent de se réjouir du spectacle qui s’offre à mes yeux.
Je contemple une salle de torture dans laquelle ces gens semblent subir leur chemin de croix. Mais alors qui sont-ils ? Que font-ils dans ce lieu ? C’est quoi tout ça ? Pour quelle raison subissent-ils pareil courroux ? Est-ce ça l’enfer ? Celui décrit par Dante ?
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Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Rose Lb
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Lyaminh
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Sissy Batzy
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Il y a 4 ans
Sissy Batzy
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Il y a 4 ans