Fyctia
Le labyrinthe.
Je reprends ma course, surtout, je dois distancer les deux redoutables chasseuses à la mâchoire dardée d’épines. C’est désormais sur le sommet de ces épaisses murailles que je fonce au plus vite, j’ai un léger avantage. Je surplombe de plusieurs dizaines de mètres les dédales labyrinthiques en contrebas, c’est moins oppressant. Mais quelle direction prendre ? Les murs partent de tous côtés à perte d’horizon, qu’importe, je dois fuir. Les monstres sinistres s’approchent, ils entament la dernière montée, dans un petit instant ils se jetteront sur moi. Je reprends ma course, le processus continue. Je choisis de me diriger vers des lueurs rouges qui flottent au loin. Mais plus je cours vite, plus je m’avance vers ce point lumineux, plus il semble que cette lueur qui rougit l’horizon demeure fixe, je ne m’en rapproche jamais ! Mais je ne me décourage pas. Je me retourne, elles sont à une cinquantaine de mètres, dans deux, peut être trois minutes elles pourront bondir sur moi. J’entends le crissement qui sort de leur trachée proéminente ! C’est un bruit très caractéristique qui n’existe nulle part ailleurs dans la nature. Je pensais l’avoir oubliée avec les années qui sont passées, mais il n’en est rien. Le crissement se transforme en hurlement mi- humain, mi-animal. C’est comme un gloussement caverneux, une clameur qui annonce une mise à mort prochaine.
Mais au loin, je distingue des silhouettes, elles sont presque immobiles et observent la scène de poursuite. Je n’ai pas le choix, je dois continuer ma course, mais en m’approchant, je distingue des êtres plus effrayants les uns que les autres. Certains ont une tête, mais pas de visage, à leur place un large trou qui laisse apercevoir le paysage environnant. Ils portent des tuniques noires et longues, d’autres ont un visage, mais il n’y a pas d’yeux ou point de nez ou de bouche, ou rien du tout. Ces êtres énigmatiques et inquiétants m’examinent, m’attendent-ils ? Étrangement, je sais qu’ils me voient. J’arrive à leur hauteur, ils s’écartent pour me laisser passer. Après avoir franchi le cordon de ces « Enigmates », je décide d’arrêter ma course, intriguée. Mais lorsque les Dantasques atteignent à leur tour le cordon des êtres sans visage, ces derniers ferment le passage, et les terribles créatures traqueuses se figent, puis se déstructurent pour finir par se désagréger. Il ne reste alors qu’une nuée de poussières qui est aspirée dans les têtes sans visage, s’engouffrant pour ne point ressortir de l’autre côté. Je reste médusée de ce que je vois.
Je recule lentement, j’ai si peur d’être absorbée à mon tour, mais ils ne sont pas hostiles à mon encontre. Voilà qu’ils disparaissent, leur corps se dissout lentement comme s’ils étaient recouverts d’un écran invisible. Qui sont ces êtres ? D’où arrivent-ils, où sont-ils repartis ?
Je repars, songeuse, en marchant désormais tranquillement. J’aperçois au loin une petite colline. Il y a là de planté sur sa butte un sombre manoir. Je ne perçois que sa silhouette noire comme l’illustration d’une bande dessinée. En m’approchant, je distingue mieux les détails de la bâtisse. Ses façades sont sculptées de frises et de modénatures entourant chacune de ses fenêtres ou de ces portes. Une bande de bas-reliefs, se déroulant tel un défilé satyrique d’êtres grimaçants, tirant la langue ou exhibant leur phallus en érection, des jeunes femmes effrayées tentent de se protéger de ces gestes infâmes et abjects. Brusquement, j’entends provenant de cette sinistre bâtisse, des cris déchirants, ce sont ceux de jeunes filles. Leurs hurlements reprennent, ils semblent désespérés. J’ai l’impression que ces cris de douleurs sont doublés par des gémissements de plaisir, je ne comprends pas ?
À nouveau, j’entends cette souffrance qui dépasse le supportable, je pose les paumes de mes mains sur mes oreilles pour ne plus entendre. Mais je dois voir, je dois me diriger vers cette demeure. Alors que je reprends ma marche décidée afin de me porter au secours des victimes, j’entends, provenant des lacis labyrinthiques, trente mètres plus bas, une clameur. Je me penche du bord de la muraille et je jette un œil, j’aperçois des hommes et des femmes nues. Ils semblent scarifiés sur tout le corps. Beaucoup d’entre eux sont difformes, voire monstrueux, mais j’en suis sûre, ce sont des humains. Brusquement, ils s’affolent, ils se mettent à courir, ils se bousculent, ils se renversent, ceux qui sont à terre se font submergés et écrasés par les autres, certains s’embronchent, se heurtent plus loin. Mais de quoi ont-ils peur ?
Je ne comprends pas, est-ce à nouveau les Dantasques ? Comment sont-elles arrivées là ? Elles se trouvent loin de la cité du Monde Noir ? Oh putain, je les aperçois, elles sont deux, non quatre, elles courent sur les murs. Ce sont des femmes vertes ou grises. Enfin, elles ressemblent à des femmes parce qu’elles se sont métamorphosées malgré tout en de terribles créatures tueuses. Leur gueule déformée s’ouvre démesurément, laissant découvrir une large mâchoire recouverte de plusieurs rangées de dents longues, effilées qui s’articulent en sortant en avant prêtes à déchirer, découper et arracher. J’en ai vu autrefois, ce sont des chasseuses, elles appartiennent à une communauté, à un ordre, une espèce, c’est une race de tueuses. Elles sont redoutables, on les nomme « Les sœurs Damnées* ».
Je dois immédiatement m’éloigner d’elles, le plus loin possible ! Je fuis au plus vite pendant que les cris de terreur s’éloignent de moi. Mais alors que je m’en suis éloignée raisonnablement et rapprochée du manoir, d’où continuent à se faire entendre d’autres cris, je me retrouve nez à nez avec l’une de ces tueuses. Elle s’est accroupie, prête à bondir de ses puissantes cuisses longues et musclées. Elle m’observe en inclinant sa tête, elle me dévisage, sa mâchoire se rétracte et les terribles dents disparaissent tandis qu’un agréable visage fin et d’une beauté insolente se découvre à moi. Elle est surprise. Elle me dit :
— Rachel ? C’est toi ? Mais que fais-tu ici ? Nous pensions que tu étais restée dans le monde des humains.
— On se connaît ?
Je suis troublée, car cette jeune femme m’est familière, mais je ne parviens pas à la situer dans un contexte précis. C’est alors qu’un écran apparaît, il s’ouvre tel un rideau dans le vide laissant découvrir trois personnalités de grande taille, le visage blanc et inexpressif, seuls leurs yeux noir profond semblent animés. Ils sont revêtus d’une longue tunique noire qui tombe sur le sol. Ils ont une majesté imposante. Ils s’adressent à moi d’une voix commune et solennelle.
— Bonjour Rachel, tu n’as rien à faire ici, il y a dans le canal d’information anthropique, un trouble. Un dysfonctionnement dans le dispositif spatio-temporel que tu ne devrais ni appréhender ni capter. Retourne chez toi, ainsi les événements doivent-ils être.
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*Les majuscules, hors en début de phrase dans ce texte, marquent l'identité de ces espaces et êtres rencontrés par Rachel.
29 commentaires
Léoneplomb
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Il y a 4 ans
Rose Lb
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Il y a 4 ans
Jean-Marc-Nicolas.G
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Ashley Moon
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kleo
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Jean-Marc-Nicolas.G
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