Ivaloo A l'ombre des cerisiers en fleurs *5*

*5*

Le lendemain, je me réveille comme à mon habitude vers 4h30 du matin. Avec l’hiver qui approche, le jour ne se lèvera pas avant plusieurs heures. C’est donc à la lumière de la lampe à huile que je m’octroie une toilette de chat, au dessus de la vasque de notre chambre. Min-ha dort encore profondément, et je m’applique à faire le moins de bruit possible afin de ne pas la réveiller. Je revêts mon hanbok en coton de couleur sombre, signe de mon statut de domestique, et descends à la cuisine aider pour le petit-déjeuner.


La maison est plongée dans un silence si tranquille, que je pourrais presque l’entendre respirer, tandis que je descends le grand escalier de bois massif, et sa rampe de fer forgé aux motifs floraux. La fraîcheur matinale est saisissante et je suis contente d’arriver dans la chaleur réconfortante des fourneaux, qui tournent déjà à plein régime depuis quelques heures déjà. Je salue Umiko la cuisinière en cheffe, une matrone toute en rondeur et en joie de vivre, qui me rend mon salut avec sa chaleur maternelle coutumière :


« Bonjour ma petite, vient installes-toi je t’amène de quoi prendre des forces.


Ce faisant, elle m’apporte un bol de riz, un de soupe et tout un tas de plats d’accompagnement. Un vrai repas à la coréenne. Elle est comme ça Umiko, elle prend soin de nous peu importe d’où nous venons. Peut-être est-elle, elle aussi, une rebelle à sa façon ? Je me rue avec appétit sur la nourriture, c’est tellement bon que ça me réchauffe le cœur. D’autres domestiques descendent et nous rejoignent pendant que je suis affairée à manger, Min-ha parmi eux. Elle s’installe a côté de moi, ses yeux à moitié fermés et encore tout embrumés de sommeil. Je passe mon bras autour de ses épaules, dans un geste protecteur, tout en rigolant lorsqu’elle lâche un petit grognement d’ourson mal léché.


-En voilà une petite chose toute chiffonnée ! Tient mon petit, de quoi te réveiller, tu m’as l’air d’en avoir bien besoin, lance Umiko en déposant son petit déjeuner devant ma camarade, un air mi-amusé, mi-attendri sur le visage.


Heureusement, Mme Onishi n’est pas dans le coin. Levant la tête, je regarde l’heure : 6h30. Le temps presse, finit de lambiner, je me lève et rassemble mes couverts pour débarrasser mais la cuisinière me coupe dans mon geste.


-Laisse, je m’en occupe. Vas-y vite, je prépare le plateau de Monsieur pendant ce temps.


-Merci.


Je remonte les marches extérieures et me dirige vers la réserve de bois. Ma première tâche de la journée consiste à allumer un feu dans les cheminées du bas afin que Son Excellence soit toute à son aise pour son petit-déjeuner. Je me rends donc dans la salle à manger en passant par les cuisines, mon lourd chargement dans les bras, et m’agenouille devant le foyer que je ranime. Bientôt, un magnifique feu prend vie sous mes yeux et je peux aller m’occuper de celui du bureau de Mr. Ikeda, ainsi que du salon.


Ma tâche accomplie je redescends chercher le plateau qu’a préparé Umiko, et remonte avec pour la mise en place. Quelle n’est pas ma surprise lorsque je découvre l’homme déjà installé à la grande table ! Un discret coup d’œil vers la petite horloge sur le buffet m’informe qu’il n’est pourtant que sept heures moins dix, je suis dans les temps. Pourquoi, diable, est-il déjà là ? je me demande. Sans dire un mot, j’installe les différents plats devant lui et lui verse une tasse de thé fumant. Puis, mon plateau plaqué contre moi, je m’incline et me dirige vers la sortie. Le tout n’a pas duré plus de cinq minutes, et pas une seule fois il n’a levé les yeux de son journal. Mais au moment où mon pied franchit le seuil de la pièce, sa voix sèche m’arrête.


-Vous ! Venez ici. Quel est votre nom déjà ?


Je reviens sur mes pas, le cœur battant la chamade. Que peut-il bien vouloir de moi ? Est-ce à cause d’hier lorsque je dansais et chantais des chants traditionnels ? Va-t-il me virer ou pire ? Me battre pour mon insolence envers l’Empire japonais et me faire incarcérer. Sans vraiment m’en rendre compte je retiens ma respiration. Levant enfin les yeux de son article, il reprend :


-Et bien ? Votre nom.


-Ha…Hana Votre Excellence, je réponds en m’inclinant à nouveau.


Je sens son regard sur moi, pesant. Il détaille les moindres parties de mon corps, pourtant bien couvert par ma tenue, de bas en haut.


-Redressez-vous.


Son ton est sans appel. J’obéis et m’évertue à regarder droit devant moi tandis qu’il poursuit son examen.


Dans un mouvement souple il se lève, me contourne et se place dans mon dos. Je sens son corps tout près du mien, sa chaleur lourde empestant un mélange d’eau de Cologne et de cigare, m’enveloppant de son ombre collante. Un fourmillement remonte le long de ma colonne vertébrale jusqu’à mon cuir chevelu. Je sens le léger duvet de ma nuque se hérisser. Et cette sensation ne fait que s’accentuer lorsque sa main s’approche de cette dernière, effleurant ma peau de ses doigts moites. Il saisit ma natte et se penche pour la sentir. Je ferme les yeux. Pétrifiée. Il inspire profondément, le nez dans mes cheveux, et expire tout aussi profondément dans ce qui ressemble à un soupir d’extase. Bien que mes paupières soient toujours clauses, je l’imagine très bien : ses fines lèvres étirées dans un sourire, satisfait de l’effet produit, une lueur perverse dans le regard.


Je suis toujours incapable d’effectuer le moindre mouvement. Lui se replace devant moi, me dominant d’une bonne tête et demie.


-Je vais avoir de la visite cet après-midi, vous nous servirez le thé dans le salon. Peu m’importe ce que vous avez à faire, je veux que ce soit vous. Débrouillez-vous pour effectuer votre travail en conséquence, est-ce clair ?


-Hai* !


-Bien, Disposez. »


Je ne me le fais pas dire deux fois. Dans une dernière inclinaison je me retire.


Une fois hors de la salle, je respire à nouveau. J’ai besoin de prendre l’air. Le corps parcourut de tremblements, je sors dans le jardin à grandes enjambées sous le regard, surpris pour certains, indifférent pour d’autres, des domestiques que je croise sur mon chemin. Là, à la faveur de la fraîcheur du matin, et des premiers rayons du soleil -qui se montre enfin et illumine d’une lueur doré les derniers voiles de brume qui recouvrent le paysage- je tente de reprendre mes esprits.





*Hai: "Oui" en japonais.


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2 commentaires

Shadow

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Il y a 5 ans

J'aimerais trop aller pour les vacances au japon où dans un pays asiatique

Ivaloo

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Il y a 5 ans

oui ça doit être super sympa comme voyage :D
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