Fyctia
Chapitre 9
Docteur Becker
William Becker vient de terminer sa journée de travail au service des urgences. Pourtant, il ne rentre pas chez lui. Il rejoint le centre pédiatrique où l’attend une jolie jeune fille de neuf ans.
— Salut, papa, dit-elle d’une voix fatiguée.
— Bonjour, mon cœur. Ça va ? s’enquiert pour la forme en regardant son dossier accroché au pied du lit.
— Oui, oui, ça va, répond la fillette en souriant.
Il ne laisse rien transparaître, mais a lu dans les résultats les plus mauvais de ces quinze derniers jours. Il s’approche d’elle, dépose un baiser sur son front et lui caresse la joue. Elle lui raconte sa journée, comme tous les soirs, ponctuée de la visite des infirmières et des médecins qui la suivent. Il l’écoute avec attention et est ravi de constater que cette après-midi, elle en a passé une partie avec son infirmière préférée : Marie. Cette dernière est venue à la fin de son service du matin, a pris son repas avec elle et lui a lu un conte de Noël. À son âge, sa fille aurait pu lire elle-même, mais sa maladie la fatigue beaucoup. Ce matin elle a eu une séance de kinésithérapie, ce qui, il faut bien l’admettre, lui fait du bien, mais l’épuise également. Elle lui demande à son tour de lui raconter sa journée, rituel quotidien auquel elle tient beaucoup. Il dépose sur elle un regard affectueux, lui disant :
— Tu sais très bien que je n’ai pas le droit de te parler de mes patients…
— Je ne t’ai pas demandé leurs noms, réfute-t-elle malicieuse, toute trace de fatigue s’étant envolée comme par magie.
Il s’exécute, omettant les détails personnels. Il décrit les personnes et les blessures qu’il a soignées tout au long de cette journée.
— Ah j’oubliais : je me suis occupé du père Noël aussi !
— Papa, je sais que ce n’est pas possible.
— Si regarde, on a même fait un selfie rien que pour toi !
Il lui montre en effet une photographie du vieux monsieur à la barbe blanche et de lui-même, tous les deux tout sourire.
En regardant l’image sur le téléphone de son père, la petite ne peut s’empêcher de sourire à son tour tout en lui lançant :
— Ce ne peut pas être le vrai père Noël, il vit en Laponie. Pourquoi serait-il venu se faire soigner ici…
— Je n’ai pas bien compris, une histoire de lutin, je crois… lui répond-il.
— Ben vas-y, raconte !
William se lance, heureux de pouvoir divertir son enfant chérie :
— Très tôt ce matin, comme tous les jours, le père Noël a fait le tour de ses ateliers. Le grand jour étant pour très bientôt, il veille un peu plus que d’habitude au travail de ses lutins. Arrivé dans le laboratoire de test des jouets, il a salué tous les petits ouvriers et s’est aperçu qu’il en manquait un.
— Oh ! fait la fillette.
— Oui, cela l’ennuyait un peu, d’autant plus qu’il est resté presque une demi-heure dans l’atelier et que le lutin n’est pas réapparu. Les autres ont essayé de lui dire qu’il était juste allé faire une course, qu’il n’en avait pas pour longtemps, mais l’homme en doutait, les lutins étant de très mauvais menteurs.
— Et il est passé où ce lutin ?
— Attends, j’y viens. Le père Noël a quitté la grande pièce où tous se sont remis au travail. Il est passé voir sa femme pour lui demander si elle n’avait pas aperçu le disparu.
— Pourquoi il a demandé ça à mère Noël ? Qu’est-ce qu’elle pouvait bien en savoir ?
— Figure-toi que ce petit lutin est le plus gourmand de tous ! Alors souvent, il rend visite à la dame pour avoir un cookie ou autre biscuit. Tu sais bien que la femme du père Noël passe ses journées à pâtisser.
— Oui, c’est vrai, j’avais oublié. Et alors ?
— Eh bien, elle ne l’avait pas vu depuis la veille au soir et cela l’étonnait beaucoup. Ceci n’était pas pour rassurer le vieil homme qui au lieu de s’enfermer dans son bureau pour lire le courrier des enfants, a pris son traîneau et est parti à la recherche de son petit ami égaré. Il a fait tout le tour de la ville : aucune trace du lutin. Il l’a cherché dans la grande forêt alentour : il ne l’a pas davantage trouvé. Inquiet, il est rentré dans son bureau, a ouvert l’écran de surveillance du monde et a trouvé où était passé son fugueur.
— Il était parti où ?
— Ici même, dans notre chère petite ville. Revoilà donc notre père Noël atteler ses meilleurs rennes et venir récupérer le petit lutin. Lorsqu’il a garé son traîneau à l’abri des regards, bien entendu, – il fait un clin d’œil à sa fille –, il est descendu sans vraiment faire attention et s’est pris la botte dans le patin et patatras : il est tombé.
— Oh ! fait une nouvelle fois l’enfant.
— Oui comme tu dis ! Le pauvre homme est arrivé aux urgences avec une grosse bosse sur la tête. Il était un peu dans les vapes… Heureusement qu’il n’était pas loin de l’hôpital ! On a fait tous les examens nécessaires : radio, scanner et je l’ai ausculté moi-même. Nous l’avons gardé quelques heures en surveillance et vérifié que tout allait bien. À l’heure où je te parle, il est remonté dans son traîneau pour rentrer chez lui.
— Et il a retrouvé son lutin ?
— Aucune idée !
— Ben, tu n’as qu’à le lui demander ! répond-elle du tac au tac.
— Il est reparti, je ne peux pas, mon cœur.
— Papa, ton histoire est très chouette, mais j’ai reconnu le père Noël de l’hôpital. Il est passé ce matin dans la salle de jeux.
Il rit. Elle l’a bien eu.
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