Fyctia
Chapitre 5
Dix mois plus tard
Elsa est seule dans cette maison devenue bien trop grande. Les filles sont toutes les deux au collège. Elsa ne va pas au boulot aujourd’hui. Chaque jour depuis l’accident, elle revient dans sa chambre, leur chambre, après avoir embrassé ses enfants et refermé la porte d’entrée derrière elles. Elle dépose sa robe de chambre au bord de son lit, enlève son pyjama et entre dans la douche de la suite parentale. Elle se souvient parfaitement comme Greg était fier de l’avoir réalisée de ses propres mains. Elle laisse couler l’eau chaude sur sa peau, noyant ainsi ses larmes.
Une demi-heure plus tard, elle enfile un jeans et un chemisier rouge, celui qu’il lui a offert pour son trente-huitième anniversaire. Elle jette un regard du côté de sa penderie. Aujourd’hui est un jour particulier, se dit-elle en sentant l’un de ses pulls. Même si les médecins ne lui ont laissé aucun espoir, elle ne veut pas croire qu’il ne reviendra jamais à la maison. Cela fait dix mois maintenant que son mari est dans le coma.
Lorsqu’elle arrive à l’hôpital, elle se dirige directement vers la chambre qu’elle connaît bien. Chaque jour depuis ces longs mois, elle y passe la majeure partie de son temps. Souvent, elle s’y installe avec son ordinateur portable pour travailler. Elle a bien essayé de se rendre au bureau, mais la compassion et la pitié de ses collègues ont eu raison d’elle. Alors, elle continue de bosser pour sa boîte, mais en télétravail, depuis la maison ou, comme aujourd’hui, depuis la chambre de Greg. Elle ne voit presque plus personne mis à part le personnel du centre hospitalier, passant le maximum de son temps ici, près de lui. Elle attend que Greg se réveille. Chaque jour, elle espère, mais chaque matin et chaque soir, lorsqu’elle le quitte et retrouve leur maison encore pleine de lui, la tristesse la gagne. Elle ne pleure pas devant les enfants, attendant que ses filles soient couchées pour laisser couler ses larmes devant la télévision qui couvre le bruit de ses sanglots, ou le matin sous sa douche, à chaque évocation de l’un de ses souvenirs.
Aujourd’hui, en embrassant son mari, Elsa murmure :
— Joyeux anniversaire, mon amour. Je t’aime.
Il a quarante ans ce 24 octobre. Elle allume son ordinateur et enclenche la playlist qu’elle a préparée hier soir. Quelques chansons importantes pour lui comme pour elle, parmi celles-ci se trouve la chanson sur laquelle il l’a embrassée la toute première fois. Cela fera vingt-trois ans dans exactement trente-huit jours.
It's beginning to look like Christmas…
C’était le 15 décembre, à la patinoire en plein air installée sur le marché de Noël. Ils avaient 17 ans. C’est une version un peu plus récente qu’elle a enregistrée dans la playlist d’aujourd’hui. Elle fredonne les paroles lorsque la musique démarre :
It’s beginning to look a lot like Christmas
Everywhere you go ;
Take a look at the five and ten
It's glistening once again
With candy canes and silver lanes aglow.
— La lalala lalala…, continue-t-elle n’ayant jamais réussi à retenir le reste des paroles.
***
Ce soir-là, elle a le cœur lourd lorsqu’elle regagne son domicile une nouvelle fois sans lui. L’année dernière à cette même époque, son mari lui préparait le plus beau des voyages… Ils se sont envolés le deuxième week-end de décembre pour Paris.
Mais Paris n’était qu’une escale…
Elle n’a découvert la destination finale de leur voyage qu’à l’hôpital lorsqu’elle s’est réveillée. Aurélia était là, à ses côtés. Elle avait une mine affreuse. Depuis, elle est un soutien infaillible. Sa sœur s’est même installée à la maison les deux premiers mois après sa sortie de l’hôpital. Encore maintenant, Aurélia l’aide beaucoup. Elle passe la voir deux fois par semaine, l’appelle plusieurs fois par jour et si elle sent qu’Elsa va craquer, elle arrive sans prévenir. Elle est simplement là, ne sachant pas quoi faire de plus pour soulager sa sœur dans cette terrible épreuve.
Ce soir, elle est là bien sûr. Les filles ont déjà fait leurs devoirs avec leur tante quand leur mère arrive. Elles mangent toutes les quatre, Léa et Louise racontant leurs journées. Elsa leur sourit sincèrement. Elle aime ces moments, presque parfaits. Elle profite de chaque instant en leur compagnie, oubliant l’espace de ces instants l’absence… La soirée se termine autour d’un verre de vin blanc que les deux sœurs prennent sur la terrasse, profitant de la douceur de cette fin d’octobre, une petite laine sur les épaules.
— Du nouveau ? demande Aurélia.
— Rien de plus. Son état est toujours le même. Stable. Pas de réaction aux stimuli. Les médecins disent qu’il peut rester des années comme ça. Ils n’ont pas beaucoup d’espoir.
— Qu’est-ce que tu vas faire ?
— Attendre. Que veux-tu que je fasse ?
— Vivre…
— Il est toute ma vie.
Aurélia ne dit rien de plus. Elle sait qu’elle n’aura pas le dernier mot ce soir. Elle préfère changer de sujet :
— Que vas-tu faire pour Noël ?
— Je n’y ai absolument pas pensé.
— C’est dans deux mois, ma chérie, il va falloir commencer à y réfléchir.
— J’ai deux trois idées de cadeaux pour les filles. Pour le reste, je ne sais pas…
— Avec Justin cette année on reste ici.
— Vous ne rejoignez pas les parents ?
— Non, je n’en ai pas très envie et comme je suis sûre que toi non plus…
— Tu sais bien que je ne fais plus de projet. Pour l’instant…
— Justement : que dirais-tu si on passait le réveillon ensemble ?
— Pourquoi pas… On en reparlera.
Elles finissent leurs verres puis rentrent se faire une tisane avant de se séparer. Elsa raccompagne sa sœur jusqu’au seuil d’entrée en la remerciant d’avoir passé la soirée avec elle en ce jour un peu particulier.
Une fois la porte close, la clef ayant fait deux tours dans la serrure, elle regagne sa chambre, enfile son pyjama et s’allonge dans son lit la tête plongée dans son oreiller. Elle ferme les yeux et le vin aidant, s’endort. Au moins dans ses rêves, son mari est toujours à ses côtés.
3 commentaires
Aline Puricelli
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Il y a 4 heures
Flopinette
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Il y a 10 jours
Carole Laborde-Sylvain
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Il y a 5 heures