Fyctia
Chapitre 3 - Othilie
Dix mois plus tôt - 24 décembre 2025
Cette semaine a été infernale. Après la parution de cet article de malheur, qualifiant notre marché de Noël de mascarade honteuse, ou encore de débâcle environnementale, des militants sont venus gâcher les festivités. Le conseil municipal s’est réuni en urgence pour répondre à nos détracteurs. Finalement, nous avons décidé de proposer aux journalistes de nous aider à rendre nos réjouissances plus écologiques l’année prochaine. Samuel a su trouver les mots pour que cette invitation semble cordiale, tout en les obligeant à agir. C’est trop facile de lister tout ce qui ne va pas, tout en restant spectateur !
Résultats des courses, entre la période surchargée au magasin, les contrariétés et la gestion de crise, je suis au bout du rouleau. J’ai hésité à passer mon réveillon de Noël sous ma couette, mais j’avais promis à Chris de lui tenir compagnie jusqu’à la fermeture du bar. Je pousse la porte de l'établissement. C’est un peu ma deuxième maison, enfin ma troisième, ou ma quatrième. En gros, si on me cherche, il suffit de faire le tour de quelques points clés : ma boutique, la mairie, le théâtre, le bistrot de Chris et, en dernier recours, mon appartement. La chaleur me gagne en même temps que les odeurs de bière et de friture. Un lourd soupir m’échappe tandis que je m'effondre tragiquement sur le comptoir.
— Salut, Tili, m’accueille mon ami en souriant sous sa moustache bien taillée. Oula ! Qu’est-ce qu’ils ont fait à mon rayon de Soleil ?
— Elle a besoin d’un verre bien chargé et que tu montes le son de ta playlist de Noël. J’ai une tête si affreuse que ça ? me redressé-je en faisant des yeux de chat potté.
— Tu es toujours magnifique, aussi lumineuse qu’une galaxie parsemée d’étoiles, ajoute-t-il en surplombant le bar pour déposer plusieurs baisers sur mes taches de rousseur.
Chris et moi, nous connaissons depuis l’école maternelle. Si j’ai succombé au charme du beau blond au collège, on s’est vite rendu compte que nous ne sommes pas faits pour ce genre de relation. Au lycée, on a rencontré Géraldine, qui est rapidement devenue ma meilleure amie et l’amour de sa vie. Depuis, je tiens la chandelle avec un talent certain.
— Qu’est-ce qui a réussi à éteindre ton sourire ? demande-t-il en déposant un cocktail de Noël devant moi.
J’en bois une gorgée, me laissant surprendre par les parfums d’agrumes et d’épices qui accompagnent le rhum ambré. L’alcool me brûle le gosier et je tousse pour l'éclaircir.
— Tu sais, c’est cet article à la noix, grogné-je. Si je retrouve ce journaliste de malheur, je pourrais lui faire avaler ses noisettes.
— C’est qu’elle montre les dents maintenant, s’amuse-t-il. Réunion de crises à la mairie, j’imagine ?
— Chut, c’est top secret, chuchoté-je en observant autour de moi comme un agent sous couverture.
Ce n’est qu’à cet instant que je remarque l’homme assis à un siège de moi. Sa solitude accentue son aura mystérieuse. Brun, avec une épaisse barbe et un teint de pain d’épices, il tourne son regard vers moi. Ses iris presque noirs me capturent aussitôt. Ils dégagent une telle intensité que mon cœur s’emballe. Je ne l’ai jamais vu ici. Un beau garçon à l’allure de bad boy, même grognon, ça ne s’oublie pas.
— Promis, je ne suis pas un espion, lâche-t-il en levant les mains sans se départir de son flegme énigmatique.
Je plisse les yeux et l’observe en me grattant le menton. Un léger rictus malin orne le coin de ses lèvres épaisses parfaitement dessinées. Je rapproche donc mon verre et glisse sur le tabouret à côté de lui.
— Othilie, conseillère municipale, bienvenue en ville, lancé-je en lui tendant la main d’un air solennel.
— Tu as besoin de raconter tes malheurs ? propose-t-il avant de boire une gorgée. J’ai pas l’habitude d’écouter les problèmes des autres, mais ça semble si drôle.
— On se tutoie déjà ? feins-je d’être vexé.
— Sauf si ça te dérange.
Je lui relate alors l’article qui me pourrit la vie en ponctuant mon récit de moult gestuelles et expressions indignées. Le journaliste ayant rédigé ce torchon doit succomber sous le poids des insultes ridicules que je lui affuble. J’ai conscience de passer pour une folle, mais je ne renierai jamais celle que je suis. Mon côté théâtral ne ressort pas que sur les planches. En général, les gens s’amusent de mon excentricité, puis certains s’en lassent et me reprochent d’en faire trop. Pourtant, l’homme du bar me dévisage d’une manière intense qui me donne chaud. À moins que ce ne soit un effet du cocktail que je viens de finir d’une traite.
— Chri-Chri, tu m'en sers un autre, hélè-je mon ami avant de me tourner vers mon voisin. Et toi, tu veux quoi ?
— Un jus de pommes, s’il te plait.
— Pas d’alcool ? m’étonné-je.
J’ai grandi au milieu des vignobles. On ne va pas se cacher que dans le secteur, on aime bien profiter d'un bon verre, ou deux. D’ailleurs, chaque conseil municipal se conclut par un “un procès-verbal” à la cave d’André.
— T’es alcoolique ? lâché-je en rigolant, avant de me rendre compte de ma maladresse si c’était le cas.
— Non, pire, susurre-t-il d’une voix grave à mon oreille.
Je frissonne. Toxico ? Repris de justice ?
— Je suis musulman, ajoute-t-il avec un sourire en coin.
Je relâche le souffle que j’avais bloqué. Il m’a bien eu. Je prendrai ma revanche. Il m’explique qu’il a grandi dans une famille pratiquante et que, même s’il n’est pas sûr de croire en Dieu, il a conservé quelques habitudes en accord avec ses principes.
— Donc, tu n’as jamais fêté Noël ?! m’exclamé-je un peu trop fort.
Il hausse les épaules avec nonchalance. Son regard se perd dans le vague, pourtant aucune émotion ne se lit sur ses traits délicats. Son profil est digne d’une publicité. Ses cheveux coiffés en arrière donnent envie d’y glisser les doigts tant ils ont l’air soyeux. Son nez suit divinement la forme arrondie de son front. Puis, sa barbe attire toute mon attention, alors que je tente d’en évaluer la douceur.
— Arrête de me mater, ça devient gênant, somme-t-il d’une voix rocailleuse qui me donne des frissons.
Je me sens rougir jusqu’aux oreilles. Mais, une fois n’est pas coutume, la Christmas Queen me sauve d'une situation délicate. Au premier carillon cristallin, je reconnais le morceau et bondis de mon tabouret.
— Chri-Chri, monte le son ! m’écrié-je en trépignant.
— Oh non, Tili. Pitié ! supplie Chris face à mon enthousiasme démesuré.
— C’est pas ce que je crois ? s’inquiète mon camarade d’un soir.
— Désolé. Y a rien à faire pour l’arrêter, s’excuse mon traître d’ami.
Mais je n’en ai que faire. J’attrape un saucisson derrière le bar et saute sur la petite estrade au coin de la pièce servant pour les scènes ouvertes. Mon micro porcin en main, j'entonne avec tout mon cœur le mythique “All I want for Christmas”. Et franchement, sans vouloir me vanter, je crois que c’est ma meilleure performance. Elle réussit même l’exploit de dessiner un sourire affirmé sur le visage de mon bel inconnu, révélant une rangée de dents d’une blancheur étincelante.
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Céline Carberge
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Debbie Chapiro
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Laetitia B
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Nora Rosen
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Ama Ves
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GwendolineBrument
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Nina Fenice
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