Fyctia
Le vent, la mer et des ailes.
Les vagues, qui viennent frapper et danser autour de la coque de mon Laser, projettent de minuscules gouttelettes d’eau salée qui me fouettent le visage. J’enchaîne les virement s de bord afin de garder Benjamin dans une position sans issue.
Dans la dernière ligne droite, je bénéficie d’un vent arrière qui s’engouffre dans la voile et me propulse en avant, gagnant encore plus de vitesse. Une bulle de joie gonfle dans ma poitrine et se mue en un cri puissant et aigu qui, j’en suis sûre, doit s’entendre depuis la plage. Je m’en fous. Je suis vivante.
« JE SUIS VIVANTE !! »
Derrière moi, j’entends mon frère qui accompagne mon cri du cœur dans un rugissement digne d’un Sioux donnant la charge, ses longs cheveux ballotés par les bourrasques malgré l’élastique qui les retient.
Naviguer m’a manqué. Furieusement. Les embruns qui m’emplissent les narines n’ont pas la même saveur sur la terre ferme, et il me tardait de pouvoir les respirer à nouveau, de m’enivrer de tout cet air qui s’engouffre dans mes poumons. Que c’est bon de charrier les vagues ! De sentir mes muscles s’activer, s’étirer. J’ai l’impression de n’avoir jamais arrêté, les réflexes reviennent vite. La brûlure familière qui traverse mes membres me promet de belles courbatures ce soir mais peu importe. Temps que j’ai mal, temps que je ressens quelque chose, ces sensations, qu’elles soient physiques ou non, c’est le signe que je suis en vie. Encore et toujours.
Une mouette plane juste à côté de moi, se laissant porter par le vent. Elle a l’air heureuse elle aussi avec ses yeux plissés et les plumes de ses ailes qui frémissent. Elle est libre. Nous sommes toutes les deux libres et je me surprends à fermer les yeux moi aussi, rien qu’un instant. Et pendant c’est quelques secondes, c’est comme si je planais. Allongée, le corps à l’extérieur de mon dériveur en position de rappel, j’ai le sentiment que des ailes me poussent et que je n’ai qu’à étendre l’une d’elle pour effleurer l’eau qui file sous moi, le soleil caressant ma peau de ses rayons dorés. Mais je ne le fais pas, je rouvre les yeux et me concentre sur le reste de la course.
A l’approche de la rive, je rabaisse la dérive et réduis la voilure. Mon père est déjà dans l’eau pour m’aider à sortir l’embarcation, démonter le mât et retourner la coque pour l’installer sur les barres de toit de la voiture. Benjamin, arrivé peu après moi, fait de même aidé d’un de ses amis du club, et nous rejoint papa et moi.
« Belle course soeurette ! Je vois que tu n’as pas perdu de ton agressivité, me félicite-t-il, un sourire moqueur aux lèvres.
- Ah ! Tu croyais que j’allais te laisser gagner ? J’ai une réputation à tenir, jeune homme !
- Qui te dit que je ne t’ai pas laissé gagner, me nargue-t-il avec un clin d’œil.
Je m’apprête à renchérir quand mon père intervient.
- Suffit les enfants, gronde-t-il gentiment, les yeux rieurs. Emily, tu sais que tu dois te ménager encore un peu, mais je suis fier de toi ma fille, c’était bien joué ! quant à toi Benjamin, arrête d’embêter ta sœur ! Nan mais vous avez quel âge ?! »
Nous rions tous les trois de bon cœur, heureux.
Cette sortie en mer, la première depuis trois ans, marque mon retour à la vie « normale », à ma vie d’avant. Je suis une survivante. Je reviens de loin et le chemin est encore long mais je sais que je peux compter sur ma team de choc : ma famille.
En regardant les deux hommes de ma vie, l’émotion me submerge. Mon père nous a tourné le dos, s’éloignant pour rejoindre la voiture, et ne me voit pas mais cela n’a pas échappé à Benjamin qui me regarde avec tendresse. Il ne dit rien mais son regard vaut tous les mots du monde. J’essuie mes larmes en riant, gênée, alors qu’il m’attrape par les épaules et me serre contre lui.
« Allez, grande sœur ! Maman nous attend pour manger. »
Les derniers membres du club encore présents nous saluent et me souhaite un bon retour, tandis que nous nous dirigeons vers la voiture de mon frère, toujours collés l’un à l’autre.
En arrivant chez mes parents, une bonne odeur de rôti de porc au cidre parfume déjà toute la maison. Catherine « Cathy » Rivière, notre mère, nous accueille avec chaleur et nous invite à prendre une douche et nous changer avant de passer à table.
Je me dirige vers mon ancienne chambre et sa salle de bain. J’ouvre ma combinaison et la fait glisser jusqu’au sol. Le grand miroir dans le coin de la pièce m’appelle. Je lui lance un regard noir, essayant d’oublier un maximum sa présence, mais c’est plus fort que moi. Je m’avance vers lui. Le reflet me renvoi l’image d’une femme, assez grande, les yeux encore brillant d’excitation laissant deviner une ombre derrière, discrète mais bien présente à qui sait regarder. Les cheveux brun coupés court, à la garçonne. J’ai préféré garder cette coupe lors de leur repousse, trouvais qu’elle me donnait un soupçon de caractère, un air de femme-enfant plus que de jeune fille. Mon corps est fin, trop fin encore. Mes muscles ont fondu ces trois dernières années, mais je sais que je ne tarderais pas à les retrouver maintenant que j’ai repris la voile.
Je fais glisser les bretelles de ma brassière, lentement, retirant ma prothèse en même temps. Celle qui me permet de tricher aux yeux du monde extérieur et qui laisse un vide à la place, sur le côté droit de mon buste. Enfin, pas complètement vide puisqu’une grande cicatrice s’y trouve, ultime souvenir d’un combat acharné et du sacrifice qui en a résulté. Ma main remonte le long de mon corps, s’attarde au-dessus de cette zone mais sans vraiment la toucher. Et dans un grand soupir douloureux je me détourne de ce corps mutilé.
Je prends une douche rapide et passe des vêtements confortables. Une grande inspiration chasse les derniers filaments de dégoût et de mélancolie qui restent. Le sourire renaît sur mon visage. La soirée promet d’être joyeuse et remplie de bonne humeur, comme toujours chez les Rivière. Même en période de crise, le rire trouve toujours son chemin chez nous. C’est notre règle d’or.
12 commentaires
Sonyawriter
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Il y a 4 ans
Ivaloo
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Il y a 4 ans
Azalyne Margot (miss Ninn)
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Il y a 4 ans
Ivaloo
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Roxy427
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Ivaloo
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Ivaloo
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Roxy427
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Ivaloo
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