Fyctia
Charges lourdes 3.3
Nous empruntâmes l’escalier, et entamâmes une longue ascension. Au deuxième étage, il respirait à grand peine et je voyais de la sueur perler sur ses tempes.
« Je ne pensais pas que les garçons BCBG comme toi savaient transpirer. »
Il ignora ma boutade, trop concentré à ne pas trébucher sur ses propres pieds. J’étouffai un rire, mais il l’entendit tout de même et m’asséna un coup d'œil par-dessus la boîte.
« Je n'ai pas signé pour ça, grommela-t-il.
— Personne n'a signé pour ça, Julien. Bienvenue dans la vraie vie. »
Nous parvînmes à contourner un coin particulièrement étroit au quatrième étage, et j’aperçus un voisin qui sortait de derrière sa porte, curieux, avant de s'éclipser à l'intérieur. Julien marmonna quelque chose qui ressemblait étrangement à un juron. J’étais moi aussi à bout de souffle, mais je refusais de le laisser me voir lutter. Mes muscles me faisaient mal, et mes paumes étaient probablement rouges et douloureuses à force d'agripper les rebords, mais je continuais à avancer.
« Vous êtes fatigué, monsieur le logisticien ? le taquinai-je, essayant de me distraire de la douleur brûlante dans mes bras.
— Je regrette chaque décision qui m'a conduit à ce moment, répondit-il. Bon sang ! De combien de choses les gens ont-ils besoin pour Noël ?
— Peut-être que c'est une statue de Père Noël grandeur nature. Ou un renne en or massif. Les gens aiment les choses bizarres. »
Il me lança un regard fatigué.
« Si c'est un renne, je le jette par la fenêtre.
— Super. J'ai hâte d'expliquer ça au client. "Désolé pour votre Rudolphe volant".
Enfin, nous atteignîmes le sixième étage et posâmes la boîte juste devant la porte. Mes jambes tremblaient et je voyais bien que Julien n'était pas mieux loti. Je m’appuyai contre le mur, essayant de reprendre mon souffle.
« Tu es plus forte que tu n'en as l'air », marmonna-t-il.
Ça ressemblait presque à un compliment.
« Et tu es moins utile que tu n'en as l'air, répondis-je avec un sourire en coin. Nous formons une bonne équipe.
Il lâcha un rire, à peine audible. Nous sonnâmes à la porte. La porte s’ouvrit, révélant un homme corpulent d'une trentaine d'années, tenant dans un bras un enfant en bas âge qui se tortillait. On aurait dit que la petite venait de découvrir ses poumons, puisqu’elle hurla à tue-tête. Le type ne cilla pas, se contentant de nous faire un rapide signe de tête.
« Livraison pour Monsieur Descloux, déclara Julien d'un ton bas et égal.
— C'est moi », répondit le type en déplaçant le bébé sur sa hanche et en signant sur la tablette de sa main libre.
Il ne m’accorda pas un regard, il adressa juste un bref signe de tête à Julien avant d'ouvrir la porte d'un coup de pied. Nous nous faufilâmes par l’étroite embrasure de la porte et posâmes la boîte près du canapé. Le client nous a à peine reconnus, essayant déjà de calmer la petite en la faisant rebondir sur sa hanche.
Alors que nous redescendions les escaliers, Julien se tenait aussi droit qu’un i, presque à l’image d’un robot.
De retour à la camionnette, j’essuyai la sueur de mon front et je fermai les portes arrière à clé. Julien s’appuya sur le côté de la camionnette et consulta sa montre.
« Tu pourrais au moins faire semblant d'aimer ça », marmonnai-je, plus pour moi que pour lui.
Ses yeux se rétrécirent.
« Apprécier quoi ? Porter des cartons surdimensionnés pour des gens qui te regardent à peine ?Supporter les hurlement des mioches ? Oui, c'est un vrai moment de plaisir. »
Je me retournai pour lui faire face, les bras croisés sur ma poitrine.
« Tout le monde n'a pas un bâton logé dans un endroit inconfortable. Ça ne te tuerait pas d'avoir un peu d'esprit de Noël ?
— L'esprit de Noël. C'est vrai. C'est ce qui me manque. »
Je pouffai, mauvaise.
« Est-ce que tu aimes quelque chose au moins ? Ou bien es-tu déterminé à tout détester par principe ? »
Il me dévisagea et, pendant une seconde, je crus être allée trop loin. Mais il haussa les épaules, comme si toute cette conversation n'était qu'un bruit de fond légèrement irritant.
« Je n'ai pas le temps de m'intéresser à des choses qui n'ont pas d'importance. »
La froideur de sa voix me provoqua une pointe d'agacement, mais je ne pris pas la peine de répondre. S'il voulait vivre sa vie comme un robot sans cœur, c'était son choix. Je n'avais pas à le comprendre.
Sans un mot de plus, je remontai sur le siège du conducteur, refermant la portière derrière moi plus fort que nécessaire. Il m’emboîta le pas, sans même me jeter un coup d'œil pendant qu'il bouclait sa ceinture. J’enclenchai la vitesse pour me diriger vers le prochain arrêt, déterminée à passer la journée sans le laisser me taper davantage sur les nerfs.
Mais la pensée s'attardait, se resserrant dans ma poitrine. Comment quelqu'un pouvait-il choisir de vivre sans se laisser toucher par quoi que ce soit ? Peut-être que Julien ne détestait pas Noël. Peut-être qu'il détestait simplement ressentir quoi que ce soit.
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