Candace Lovely À deux sous la Neige Une livraison douce-amère 2.3

Une livraison douce-amère 2.3

J’ébauchai un large sourire, il n’y avait pas de petites victoires.


À un feu rouge, je profitai d’être à l’arrêt pour saisir mon téléphone et lancer ma playlist spécial Noël. Les premières notes envahirent ma cabine, et bientôt Mariah Carey me hurla que tout ce qu’elle souhaitait pour noël, c’était moi. J’augmentai un peu le son, juste pour m’entourer d’un peu de chaleur imaginaire. Mon humeur s’améliora aussitôt. Je tapotai le volant en rythme, me laissant aller à fredonner. Ce n’est pas parce que j’étais d’astreinte que je ne pourrai pas fêter, même coincée dans ce foutu camion. J'allais tenir bon grâce à la magie de Noël et à des refrains entraînants.


« T’es sérieuse ? lança-t-il, les traits du visage tendus.

— On ne peut plus sérieuse. »


Il tendit le bras pour l’éteindre, mais je repoussai sa main avant qu’il n’ait pu toucher le bouton.


« Hors de question. Je conduis, c’est mon camion, je gère la musique.

— Je suppose que je ne pourrais rien faire pour que tu envisages d’éteindre ? »


Pour unique réponse, j’augmentai le son. Il poussa un long soupir de souffrance, mais n’argumenta pas.


La chanson enchaîna sur Michaud veillait. Je me laissai aller à rêver, juste une minute. À m’imaginer dans la cuisine de ma grand-mère, pendant que mon oncle nattait le pain au beurre, et que ma mère préparait son crumble aux pommes. Je pouvais presque voir la maison, animée et chaleureuse, même si la chaleur serait étouffante par rapport à cette terre gelée. L'odeur des épices et de la viande rôtie emplirait l'air bien avant que la veille de Noël n'arrive. Mes tantes seraient dans la cuisine, se chamaillant comme elles le faisaient toujours, se poussant pratiquement l'une l'autre pour s'approprier la place de choix devant la cuisinière.


« La viande, insistait Tante Émilie en posant une grosse tranche de bœuf sur le comptoir avec un sourire triomphant. Nous faisons du ragoût, comme tous les ans. »


Et Tante Marie-Rose de se moquer, roulant des yeux en montrant le panier de poissons pêchés dans le ruisseau qui traversait son terrain.


« Il fait trop chaud pour la viande. On fait du blaff. Et ne t'avise pas de gâcher mon assaisonnement comme la dernière fois. »


Elles s’affronteraient pendant une bonne heure, se lançant des insultes enveloppées d'affection, jusqu'à ce que Mamie intervienne et déclare, comme si elle ne l'avait pas fait chaque année :


« Nous faisons les deux, parce qu'il n'y a jamais assez de nourriture quand toute la famille vient. »


Et elle aurait raison. Il y aurait eu assez de nourriture pour nourrir tout le voisinage. Du poisson, de la viande, du riz, des haricots, du gratin de bananes jaunes. Mais le meilleur seraient les desserts. La bûche de Noël de Tante Céline, ou le gâteau impossible de ma mère, mi-gâteau, mi-flan. Le chocolat créole, épais et épicé, versé chaud dans de petites tasses, assez riche pour enrober la langue de douceur et d'une touche de pinda*.


Toute la maison vibrerait de bruits et de rires. Mes cousines arriveraient l'une après l'autre, sur leur trente-et-un, comme si elles se rendaient à un gala au lieu de se retrouver chez Mamie. Des robes étincelantes, des chaussures en cuir verni, les garçons en chemises pressées et les cheveux lissés avec trop de gel. Mes jeunes cousines poseraient pour des photos à l’image de célébrités.


Et je serais là, au milieu de tout ça, tandis que tout le monde s'embrasserait et rirait assez fort pour faire trembler les vitres. Le genre de bruit qui remplissait chaque coin de la maison, noyant le chœur des grenouilles et des grillons dans l'arrière-cour. Le genre de bruit qui vous faisait sentir vivant et entouré, même si vous ne pouvez pas vous entendre penser.


Mais ici, il n'y avait que le faible ronronnement du moteur de Robert, et la plainte sourde de la musique de Noël à la radio, ainsi que la présence froide et indifférente de Julien à côté de moi. Je me mordis la lèvre, essayant de ravaler le nœud dans ma gorge.


Personne ne se disputerait au sujet du poisson ou de la viande dans mon appartement ce soir. Personne ne rigolerait aux éclats ou ne danserait avec trop d'enthousiasme dans le salon. Juste moi et mes restes congelés de la semaine dernière. Et ce type, assis à côté de moi comme un bloc de glace, trop coincé pour se laisser aller à apprécier une seule chanson de Noël.


*c'est comme ça qu'on appelle le beurre au cacahuètes chez moi.


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3 commentaires

lovelover

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Il y a 14 jours

Hello, bon concours à toi 💚 Je participe aussi, n'hésite pas à passer lire Un pacte sous le sapin 🎄

Beryl L

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Il y a 14 jours

En Suisse le pain au beurre c’est une tresse. Pour le dimanche: trop bon ! J’attends la suite !

Candace Lovely

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Il y a 14 jours

Oh c'est trop bien que ça existe par chez vous ! C'est une tresse aussi chez nous :D on le mange au petit déjeuner ou à n'importe quel moment
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