Fyctia
Une livraison douce-amère 1.1
Les rues étaient encore endormies, à peine secouées par le calme de l'aube, tandis que nous nous frayions un chemin dans les ruelles étroites. Ce n’était pas Paris, mais sa banlieue n’avait rien à lui envier. Évry-Courcouronnes paraissait plus douce dans la lumière du matin, comme si la ville n'avait pas encore revêtu son armure habituelle. L'air était vif et portait une légère odeur de bois brûlé provenant des cheminées, se mêlant à la fraîcheur persistante qui s'accrochait à chaque surface. Une fine couche de givre décorait les trottoirs, étincelant comme des diamants écrasés.
La plupart des fenêtres étaient encore sombres, mais une lumière jaune et chaude scintillait parfois derrière les volets, trahissant la présence de lève-tôt. J’observai un éboueur qui passait en traînant les pieds, l'haleine embuée devant lui, poussant un chariot rempli d’outils de nettoyage.
Forte de mes six ans de permis, j’adoptai de mauvaises habitudes comme conduire d’une main, ou boire au volant. Et selon toute vraisemblance, ce dernier point dérangeait Julien qui jonglait du regard entre ma main, sa tablette, et la route. Le tout de manière cyclique à l’instar d’un PNJ bien codé. Il se comportait comme si je risquai de nous précipiter dans un fossé à tout moment. Ou bien de percuter la citadine devant nous.
« Qu'est-ce que tu cherches exactement ? m’enquis-je, agacée.
— Je m’assure que tu gardes bien tes distances par rapport à la voiture qui te précède.
— Je n’ai pas trouvé mon permis dans une boîte de céréales, tu sais.
— Je n’ai jamais suggéré ça. »
Il n'avait pas besoin de le faire. Le sous-entendu était clair. Je résistai à l'envie de freiner pour l'effrayer un peu. Avec ma chance, je finirais par emboutir quelqu'un, ce qui lui donnerait raison. Au lieu de cela, je gardai mon attention sur la route.
Il affichait un air de déterré. Complètement dépité d’être coincé avec moi. Qu’il se rassure, passer ma journée avec lui ne m’emballait pas non plus. J'avais réussi à me débrouiller seule pendant trois mois, en transportant des colis, en naviguant dans des complexes d'appartements alambiqués, en traitant avec des clients grincheux de temps en temps. Et avec un diable, j’étais convaincue qu’aucun colis ne m’aurait résisté aujourd’hui. Et dans le pire des cas, même un alternant aurait fait l’affaire. Ç’aurait été mieux qu’un responsable logistique qui ne me considérait pas assez compétente pour gérer un peu de neige.
Le GPS émit un signal sonore et je tournai dans une rue secondaire bordée de bâtiments gris et bas. Certaines fenêtres étaient éclairées par des décorations de Noël, d’autres affichaient des autocollants en forme de flocons de neige. Au fur et à mesure que nous nous rapprochions du commerce, je me rendais compte à quel point mes épaules étaient tendues. La présence de Julien était comme une ombre froide et moralisatrice qui se profilait au-dessus de moi. Je détestais que cela me dérange. D'habitude, j'étais douée pour repousser les attitudes condescendantes. J’avais eu assez d'entraînement au cours des deux dernières années. Mais quelque chose dans son arrogance tranquille me mettait mal à l'aise.
Je garai la camionnette devant la boulangerie, La Madeline, se trouvant à l’angle de la rue. Un Père Noël qui avait connu des jours meilleurs, bougeait le bras, invitant les clients à entrer. Des guirlandes habillaient les fenêtres, leurs paillettes décolorées accrochant la lumière du soleil levant. L'endroit semblait fermé, les volets tirés, mais le GPS jurait que c'était la bonne adresse. Je tirai le frein à main et m’étirai le dos.
Si Guillaume avait bien effectué son travail, le colis destiné à La Madeline devrait se trouver parmi les plus proches de mon siège. Un rapide coup d’œil suffit à le localiser. Le paquet emballé dans une simple boîte marron qui ne donnait aucun indice sur ce qu'il contenait.
« Bon, j’y vais. »
Il leva la tête, accorda un bref intérêt à la fenêtre, et retourna à sa tablette.
« Prends-moi un café pendant que tu y es. »
Je haussai un sourcil, essayant d'ignorer les émotions vives provoquées par cet ordre aussi déplacé que désinvolte.
« Je te demande pardon ? »
Enfin, il daigna me regarder, comme s'il venait de réaliser que j'avais une voix.
« Café. Noir. Sans sucre. »
Je me mordis l’intérieur de la joue pour ne pas craquer.
« Attends, t’as vu les mots "pigeon parisien" marqués sur mon front ? »
Je n’attendis pas de réponse, je me contentais de souffler et de descendre du camion, en marmonnant pour moi-même sur le culot de certaines personnes.
En sortant dans le froid mordant, je ne pouvais m'empêcher de secouer la tête. Pour qui se prenait-il ? Je n'étais pas sa petite fille de courses. S'il avait tellement envie de café, il aurait pu se bouger les fesses et aller le chercher comme un être humain normal. Mais non, Monsieur ne pouvait pas se donner la peine de mettre un pied en dehors de la voiture. Je devrai lui ramener de l'eau de vaisselle rien que pour voir sa tête.
En m'approchant de la porte, j’entendis un léger bourdonnement, comme si quelqu'un chantait faux. Je frappai deux fois et j’attendis. Je regardai par-dessus mon épaule, vers Julien toujours penché sur sa tablette. Un instant plus tard, la porte s’ouvrit et une femme d'un certain âge apparut, essuyant la farine de ses mains sur un tablier défraîchi. Ses boucles grisonnantes rebondissaient dans le mouvement.
« Oh ! Mon paquet ! s'exclama-t-elle, les yeux illuminés. Bonté divine, j'ai cru que vous n'arriveriez jamais ici ! »
Je souris et déplaçait le poids dans mes bras.
« Désolée pour l'attente. La circulation est un cauchemar aujourd'hui. »
Elle balaya l’air d’un geste de la main.
« Ne vous en faites pas, ma chère. Vous êtes là maintenant ! Entrez, entrez. Il fait bien trop froid pour rester dehors.
— Oh, non, ce n'est pas grave. Je vais juste... »
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