Candace Lovely À deux sous la Neige Un partenariat givré 1.2

Un partenariat givré 1.2

Je ravalai un grognement et je pliai le papier pour le poser sur le tableau de bord. Dans ces conditions, pas étonnant que Jérôme m'ait collé Julien aux basques. Ce n'était pas un choix, mais une mesure désespérée. Mieux valait m'envoyer avec un responsable logistique qui ne connaissait rien aux livraisons que de me laisser me noyer sous une montagne de colis. Jérôme devait se douter que je ne serais pas ravie. Mais en tant que nouvelle recrue, intérimaire qui plus est, il avait probablement compté sur le fait que je serais la plus tolérante, celle qui ne ferait pas d'histoires.


N’empêche, à défaut de fêter Noël chez moi, seule, sous un plaid avec un plateau repas, j’avais espéré passer une journée seule à me trémousser sur de la musique festive. Et si je n’avais pas besoin de ce salaire de misère qui frôlait le smic, j’aurai, sans aucun doute, refuser de bosser avec lui. Pas parce que je le détestai, mais plutôt parce que j’aimai ma solitude. Rouler avec Robert sans personne pour critiquer ma conduite ou mes choix musicaux.


De plus, la place des logisticiens n’était pas sur les routes. Leur place était dans les bureaux, à regarder des feuilles de calcul et à passer leurs mains dans des cheveux parfaitement peignés lorsque quelqu'un ratait un itinéraire. Mais étant donné les circonstances, Jérôme n'avait pas trouvé mieux que Julien. Le meilleur d'une mauvaise situation.


Je soupirai, sentant la frustration se nouer sous mes côtes. Cent colis, un jour, et un partenaire qui ne connaissait rien au métier. Joyeux Noël à moi.


Guillaume esquissa un demi-sourire.


« Vois les choses sous un autre angle. Tu as quelqu’un à qui confier le volant quand tu auras les mains gelées.

— Tu parles. Je suis sûre qu’il n’a pas touché à une camionnette depuis des années.

— Depuis jamais, corrigea-t-il. Mais c’est soit ça, soit faire la course toute seule, et ça, c’est du suicide. »


Je donnai une petite tape sur le tableau de bord de Robert, comme on rassurait un vieux cheval grincheux.


« Je suppose qu’il n’y aura que toi et moi, mon pote. »


Des bruits de pas résonnèrent sur le trottoir. Je levai la tête. Julien se dirigeait vers la camionnette, les mains dans les poches de son manteau, les épaules voûtées par le froid. Même dans la pénombre, son visage contenait ce mélange habituel d'ennui et de légère contrariété, comme s'il aurait préféré être n'importe où ailleurs. Son écharpe sombre était enroulée avec négligence, ses cheveux châtains légèrement ébouriffés.


Julien Mercier. L'équivalent humain d'un croissant hors de prix : joli à l'extérieur, mais probablement sec et décevant à l'intérieur.


Guillaume m’offrit un dernier sourire, et s’empressa de filer dans son propre camion. Julien ouvrit la portière du passager et s’installa.


« Salut, Maéva.

— Maé.

— C’est pareil, non ? Un diminutif.

— Non. Mon prénom complet, c’est Maé.

— Ah. »


Il haussa les épaules comme si cela n'avait pas d'importance, se frotta les mains avant de s'approcher des bouches d'aération. Ses doigts survolèrent les commandes, puis son froncement de sourcils s'accentua.


« Ce truc fonctionne à peine.

— Dis-moi quelque chose que je ne sais pas. »


Il appuya sur un bouton, tourna la molette, puis soupira lorsque rien ne changea. Son regard se porta sur moi, scrutant mes couches, la façon dont j'étais assise, courbée contre le froid.


« Tu es là depuis longtemps ?

— Assez pour me changer en floup. »


Son expression laissa entendre qu’il n’avait aucune idée de ce que c’était, alors j’ajoutai :


« L’équivalent du Mister Freeze. En mieux.

— Ah. »


Et ce fut tout. Pas d’excuses. Mais je m’y attendais.


« Hum. Et tu es sûre de pouvoir conduire par ce temps ? Les routes sont verglacées. Je ne voudrais pas que tu sortes de la route en dérapant. »


Je le dévisageai, n'arrivant pas à croire ce que je venais d'entendre.


« Pourquoi ne pourrais-je pas conduire par temps glacial ? »


Il haussa les épaules, nonchalant.


« Je ne sais pas... Tu viens des tropiques, non ? Il n'y a pas de neige là-bas. Je me suis dit que tu n'y étais peut-être pas habituée. »


Mes doigts se crispèrent sur le volant et je dû me forcer à ne pas craquer.


« Je vis à Paris depuis deux ans. Crois-le ou non, je ne suis pas tombée d'un bananier hier. »


Il n’eut même pas la décence de paraître embarrassé. Il se limita à hausser les épaules, comme s'il se fichait de savoir s'il m'avait offensée ou non. Je serrai les dents et lui fourrai la feuille de route dans les mains.


« Cent colis. Voici la feuille de route. On commence par Évry, Ris-Orangis et on remonte jusqu'à Saclay, pour le moment. Tu peux commencer par brancher le GPS et renseigner les premières adresses pendant que je nous sors d'ici. »


Il fronça les sourcils et marmonna dans sa barbe. Je ne pris pas la peine d'écouter. Je le laissai mijoter dans sa mauvaise humeur. J'avais une longue journée devant moi, et je n'allais pas laisser son humeur la gâcher avant même que nous ayons pris la route.


Il porta son attention sur le GPS. Il tripota l'écran, appuya sur des boutons comme s'il risquait d'exploser s'il se trompait.


« J’y crois pas. Tu n’en as jamais utilisé avant ?

— Bien-sûr que si ! s’indigna-t-il, mais je vis ses oreilles rougir. Ce modèle est juste… dépassé.

— Robert est un vieil homme. Il est sensible. Tu as plutôt intérêt à bien le traiter. »


Julien me lança une œillade. Je me retins de sourire et m’engageai sur la route principale, laissant le rythme familier du moteur s'installer.


« Tu as donné un nom à la camionnette ?

— Ça te pose un problème ? »


Il ouvrit la bouche, puis la refermai, se contentant d'une expression résignée. Dehors, la ville commençait à s'éveiller. Le propriétaire d'un café traîna des chaises métalliques sur le trottoir, installant sa terrasse derrière les bâches transparentes. Une femme vêtue d'un lourd manteau passait à toute allure, l'écharpe remontée sur le nez, une baguette de pain glissée sous un bras. L'odeur du pain chaud flottait dans l'air, se mêlant à celle, plus âpre, de la pierre mouillée et des gaz d'échappement.


Julien extirpa une tablette de travail et fixa l'écran.


« Cent colis. C'est la veille de Noël. Quels sont les idiots qui commandent aussi tard ?

— Tout le monde. Ce sont les joies de la livraison express. Joyeux Noël. »


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7 commentaires

Justine_De_Beaussier

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Il y a 5 heures

Ce duo promet de belles joutes verbales !

Nana Rose

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Il y a 15 jours

Ce Julien a l'air insupportable ! Pauvre Mae 😂 ! J'ai trop hâte de lire la suite de cet romance 👀🥰

Candace Lovely

-

Il y a 14 jours

Il est pas facile à vivre, c'est vrai ! Mais ça va le faire !
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