Fyctia
Un partenariat givré 1.1
La ville s'étirait dans un silence qui n'existait qu'avant l'aube. Dans le ciel encore sombre, seule une légère ligne grise se dessinait à l’horizon. Bondoufle était calme, mais les matins comme celui-ci, juste avant Noël, on avait l’impression qu’elle retenait son souffle. Les rues étaient immobiles, gelées sous une fine couche de givre, les trottoirs saupoudrés de la neige tombée la nuit dernière.
J’étais assise dans mon camion de livraison, les mains glissées sous mes cuisses pour me réchauffer. Le froid s'infiltrait par les fenêtres, à travers mes gants, jusqu'à mes os. Les lumières des réverbères se reflétaient sur la chaussée glacée, dorées et discrètes, scintillant contre les décorations accrochées entre les bâtiments. Des guirlandes lumineuses clignotaient au loin. La vitrine d’une pizzeria voisine brillait avec de la fausse neige et des rennes mécaniques, dont les têtes en plastique hochaient la tête en boucles lentes et artificielles.
La zone industrielle s'étendait, calme mais dans l'attente de l'affluence du matin. Bientôt, les rues seraient encombrées par les acheteurs de dernière minute, les klaxons impatients des automobilistes, les pas pressés des livreurs bousculés par le temps. L'endroit tout entier sentait le ciment mouillé et le diesel, avec juste un léger soupçon de pain frais provenant de la boulangerie de l'autre côté de la route, dont les fours étaient allumés. Une rafale de vent secoua le grillage et je frissonnai. Quelque part au loin, le moteur d'un camion rugit dans le calme de la matinée.
Je jetai un regard vers les piles de colis entassées derrière moi. Des cadeaux, pour la plupart. Des paquets brillants, recouverts de papiers rouges et dorés. D’autres rehaussés de gros nœuds. Nous étions le vingt-quatre décembre, et je livrais aux autres ce que je n’aurais pas pour moi : des surprises, de la chaleur, un peu de magie.
J’aimais Noël. J’aimais les lumières, les chansons, les pulls moches et les odeurs de vanille et de cannelle. Mais cette année encore, ce ne serait pas pareil. À plus de sept mille kilomètres de chez moi, dans un studio minuscule. Loin de ma famille, les rues décorées de Bondoufle me semblaient aussi froides que la neige qui menaçait de tomber.
Comme mon chargement n’était pas encore terminé, j’attrapai le thermos que j'avais apporté. Je dévissai le bouchon et je laissai la vapeur monter. Du thé. Un mélange de citronnelle, de cannelle, de citron et de gingembre avec une pointe de miel. Une boisson énergisante et redoutable contre toutes les maladies hivernales. Je bu une gorgée, savourant la chaleur qui se répandait dans tout mon corps. Je profitai aussi pour consulter les messages que j’avais reçu dans la nuit.
Ma mère me souhaitait une bonne journée, et me rappelai que je recevrai un colis pour elle ce weekend. Ma sœur me demandait des tuyaux pour s’améliorer en conduite. Ma meilleure amie, Nanne, me souhaitait une bonne journée et un bon réveillon.
Je souri, mais le cœur n’y était pas. En réalité, je n'avais pas l'impression d'être à Noël. Pas dans ce labyrinthe de béton, d'étagères et de boîtes, où l'air sentait le carton renfermé. Pas plus qu'à Paris, avec ses rues froides et indifférentes et ses gens qui se précipitaient d'un endroit à l'autre sans accorder un seul regard à ceux qui se trouvaient sur leur chemin.
D'un geste rapide, j’envoyai à Nanne un emoji cœur, je répondais à ma mère et à ma sœur, puis j’installai mon téléphone sur son support. La journée venait à peine de commencer et j'étais déjà épuisée. Je rêvassai de mon retour à la maison. Du plat de nouilles instantané que j’avalerai devant un film de noël pour me mettre dans l’ambiance avant de dormir sur mon clic-clac pourri. Encore un noël triste à passer seule. Mais retourner chez moi avait été impossible pour la deuxième année consécutive.
Je soupirai et bu une autre gorgée afin de me chauffer.
Julien était en retard.
Je regardai l'horloge sur le tableau de bord. Il aurait dû être là il y a dix minutes. Mes doigts me démangeaient pour lui envoyer un texto, mais je m'en empêchai. Cela n'en valait pas la peine. Il se montrerait quand il en aurait envie, entraînant avec lui sa froide indifférence.
Un coup sec sur la vitre côté conducteur m’arracha un sursaut. Je pivotai la tête et découvris Guillaume qui me souriait à travers la vitre couverte de givre. J’ouvrai la portière, et il s’y appuya, les bras croisés sur sa veste défraîchie.
Guillaume était sympa. Un gars du sud, avec un fort accent chantant que j’appréciai. Un des premiers à m’avoir pris sous son aile et apprit le métier.
« Salut, Maé, dit-il en me tendant une liasse de documents. Prête pour cette journée ?
— Aussi prête qu’un lutin une veille de Noël.
— C’est ce que je vois. Joli pull. De quoi se mettre dans l’ambiance.
— Noël est ma religion. »
Je lui pris la feuille de route et la dépliai, parcourant la liste dense des adresses. Cent colis. Mes épaules s’affaissèrent.
« Tu te moques de moi, marmonnai-je. Tout ça c’est à moi ?
— Yep. Je les ai chargés moi-même. Tout a été trié, scanné et rangé. Robert est plein à craquer. Bonne chance pour les sortir sans renverser tout le tas.
— Eh bah ! T’as pas chômé.
— J’suis là depuis cinq heures du mat’. Encore heureux. »
Je parcourrai à nouveau la liste. Le genre qui me donnait envie de remettre en question tous mes choix de vie. Cent colis à livrer. Cent boîtes aux codes d’entrée capricieux. Cent ascenseurs en panne ou cages d’escaliers sombres. Et surtout, cent étrangers à qui souhaiter de belles fêtes.
« Jérôme est tombé sur la tête, ce n’est pas possible. »
Guillaume s’esclaffa et enfonça ses mains dans ses poches.
« C'est la veille de Noël. Les gens commandent comme s'ils venaient de se rappeler l’existence de cette fête. En plus, il nous manque quatre chauffeurs. Arrêts maladie, vacances, turnover.
C'est la pagaille.
— De mieux en mieux. »
6 commentaires
Justine_De_Beaussier
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Il y a 5 heures
Arcade24
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Il y a 4 jours
juliana.featherstone
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Il y a 7 jours
Beryl L
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Il y a 14 jours
Candace Lovely
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Il y a 14 jours
Beryl L
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Il y a 14 jours