Fyctia
Chapitre 2 - Partie 1
Les jours suivants se déroulèrent sans surprise. Je me levais chaque jour avant que le soleil ne commence à pointer le bout de son nez et passai des journées toutes plus épuisantes les unes que les autres. Kester, qui n’admettait aucun retard, était systématiquement déjà sur place lorsque j’arrivais avec quelques minutes d’avance aux premières lueurs de l’aube. Il avait visiblement décidé d’intensifier ma résistance au contrôle mental — son pouvoir — et ses attaques se faisaient plus violentes de jour en jour, ce qui m’épuisait bien plus rapidement que n’importe quel entrainement physique. Ce n’était évidemment pas tout. Puisqu’il avait la capacité d’entrer dans l’esprit des gens, d’en prendre le contrôle ou de fouiller leurs pensées et souvenirs, il testa ma faculté à retourner son pouvoir contre lui. J’échouai évidemment à chaque fois. Ses défenses étaient aussi inébranlables que lui mais ça ne m’empêchait pas d’essayer, encore et encore.
Le troisième jour, Kester me demanda de faire quelque chose qu’il m’avait jusqu’ici toujours interdit : Entrer dans l’esprit d’un autre que lui en utilisant mon aptitude à détourner son don. Je n’avais pas hésité longtemps et lorsqu’Auris, un autre étudiant dont j’étais relativement proche, était passé à proximité en charriant du bois, j’avais propulsé mon esprit dans le sien.
Techniquement, nous étions tous parfaitement entrainés pour faire face aux attaques mentales, mais il fallait admettre que nombre d’entre nous baissions la garde à l’Académie. La consigne de toujours conserver nos barrières levées et intactes n’avait pas beaucoup de sens ici, où nous étions en sécurité. De plus, lorsque Kester était absent, personne ne possédait ce don extrêmement rare. Il l’était presque autant que le mien, dont je n’avais jamais entendu parler en dehors de quelques légendes absurdes. Quant à Kester… Il estimait qu’utiliser son pouvoir sur nous serait une grave violation de notre intimité. Il ne l’utilisait quasiment qu’à la capitale et uniquement sur l’ordre d’un supérieur ou pour interroger des suspects. Nous avions déjà longuement débattu de l’éthique à ce sujet et il avait été intraitable. Raison de plus pour que son ordre me surprenne ce matin-là.
— J’y suis, soufflai-je sans me déconcentrer, les yeux fermés.
Je me faisais aussi discrète que possible dans l’esprit d’Auris, sachant pertinemment que s’il me repérait, il serait parfaitement en mesure de m’éjecter et que l’expérience serait très douloureuse pour moi. Sans compter que s’il identifiait la source, mon secret n’en serait plus vraiment un.
— Parfait. Cherche son souvenir le plus précieux. Sens la chaleur. Va vers la lumière la plus éblouissante.
Je suivis les consignes de Kester jusqu’à me retrouver dans une vaste prairie. Nous étions apparemment au printemps car de nombreuses fleurs parsemaient l’herbe, créant de petites taches de toutes les couleurs aussi loin que mon regard portait. Le soleil était haut dans le ciel, chaud et réconfortant, et une femme aux traits vaguement familiers étendait du linge devant une chaumière. Elle était brune, très belle, sa peau hâlée paraissait presque dorée et elle rayonnait de bonheur. Je remarquai rapidement à son ventre rond qu’elle était enceinte et lorsque je l’entendis chanter… C’était comme si les déesses elles-mêmes lui avaient prêté leurs voix tant elle était mélodieuse, douce et hypnotique.
C’est alors que je le vis : Auris. Il n’était encore qu’un petit garçon de cinq ans environ, le visage barbouillé de terre et barré d’un énorme sourire tandis qu’il courait et sautait dans les draps ondulant sous la brise. Ses boucles brunes lui tombaient dans les yeux mais on ne pouvait pas louper à quel point ceux-ci pétillaient de malice et de joie.
Quand il enlaça sa mère afin de déposer un baiser sur le ventre de celle-ci, mon cœur se serra.
— Pourquoi est-ce le jour le plus précieux de sa vie ? demandai-je à voix basse. On dirait une journée comme une autre…
— C’est la dernière fois qu’il a entendu sa mère chanter. Maintenant, cherche son pire souvenir.
En entendant ces mots, je me retirai délicatement de l’esprit d’Auris et rouvris les yeux, incapable d’obéir à cet ordre. Je ne voulais pas… Je ne pouvais pas voir ça. Je savais qu’Auris avait perdu sa mère très jeune et que son père avait sombré dans l’alcool, mais je ne connaissais pas les détails. J’ignorais qu’il allait avoir un petit frère ou une petite sœur lorsque c’était arrivé. Je n’avais aucune idée de ce à quoi il avait réellement assisté et il n’était pas question que j’aille plus loin. J’avais déjà envie de vomir.
Kester, lui, me fixait.
— Je t’ai dit de chercher son pire souvenir.
— Non, répondis-je d’une voix tremblante et je me maudis de montrer la moindre faiblesse.
— Nyx. Obéis.
Je me levai brusquement, envahie par une rage incontrôlable qui trouvait sa source au sein de mes propres traumatismes.
— NON ! Tu sais quoi Kester ? T’as qu’à me punir avec une autre de tes idées tordues, j’en ai rien à foutre ! Je ne ferai pas ça, c’est clair ?
Je n’attendis pas de réponse pour m’éloigner de lui à grandes enjambées sans qu’il ne tente de me retenir. Qu’est-ce qu’il voulait me prouver ? Que d’autres que moi avaient subis des atrocités et ne se laissaient pourtant pas consumer par la vengeance ? J’en avais conscience, merci bien ! Et si le but de la leçon était de me montrer en quoi c’était mal de violer l’esprit des autres, je le savais aussi. Tout comme je restais persuadée que le moment venu, si j’en avais la possibilité, j’utiliserais ce don et n’importe quel autre pour briser ceux qui le méritaient. Mais Auris… Auris ne méritait aucune intrusion dans son intimité. Il avait ses secrets, comme nous tous, et je le respectais suffisamment pour rester à l’écart.
— Nyx ! Qu’est-ce que tu fais ?
J’avais atteint l’auvent sous lequel arcs, flèches et carquois étaient entreposés et ne pris pas la peine de me tourner pour répondre à Auris. Je me sentais horriblement mal, honteuse et bouleversée. S’il voyait ces émotions sur mon visage, il allait immanquablement s’inquiéter et je n’étais pas encore en mesure de les masquer efficacement.
— Je vais chasser.
— Et le petit-dej’ ? Il va être servi dans dix minutes.
Je haussai les épaules, passai l’arc par-dessus mon épais manteau, remplis un carquois et commençai à me diriger vers la sortie du fort.
Il était fréquent que les étudiants les plus âgés sortent chasser. Cela rapportait de la nourriture, ce qui était toujours bon à prendre, mais surtout, ça aiguisait nos instincts et nous permettait de mettre en pratique tout ce que nous apprenions ici. Cela dit, je n’avais pas reçu d’autorisation donc j’allais certainement avoir des ennuis. Tant pis.
— Attends-moi, je t’accompagne.
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