Fyctia
Chapitre 1 - Partie 3
— Nyx.
Cette voix, sa voix, me fit frissonner. Je n’avais pas peur de lui, mais je devais admettre qu’il m’impressionnait. Il avait ce genre d’attitude calme au milieu de la tempête qui avait le chic de déstabiliser. Inébranlable, il n’avait jamais besoin d’élever la voix pour se faire obéir. De tout ce que je pouvais subir ici, je préférais encore entendre les autres instructeurs me hurler dessus plutôt que d’avoir affaire à la déception de Kester. Et c’était pourtant l’émotion que je voyais actuellement briller au fond de ses yeux.
Je refermai silencieusement la porte derrière moi sans que Gwen ne nous ait prêté la moindre attention et pris une grande inspiration. Mon cœur battait sourdement dans mes oreilles mais je n’allais clairement pas me démonter. Oui j’avais commis des erreurs aujourd’hui. Oui je m’étais laissée distraire par mes plans… Par ma soif de vengeance. Et oui, j’avais conscience que cela pourrait me coûter la vie lors des épreuves. Toutefois, Kester m’avait suffisamment bien entrainée pour savoir qu’il ne s’agissait que d’un petit dérapage de rien du tout. Que je n’allais pas flancher au dernier moment. Si une telle chose se produisait… Alors je mériterais la mort qui accompagnerait cet échec.
— Kester, répondis-je en croisant les bras sur ma poitrine.
Il nota la barrière que je créais ainsi entre nous. Les défenses que j’érigeais. Mais il se contenta de me faire signe de le suivre.
Je pensais qu’il allait me conduire dans son bureau pour me passer un savon. Au lieu de quoi, nous nous arrêtâmes devant la porte de ma chambre, qu’il ouvrit pour moi. Comprenant le message, j’entrai dans celle-ci et me dirigeai directement vers les deux fauteuils placés près de la cheminée et m’installai dans l’un d’eux. J’accueillis avec plaisir la douce chaleur qui caressait ma peau gelée, mais je restais concentrée sur la présence de Kester dans cette pièce que je n’avais jamais pu considérer comme la mienne. Il y avait certes un minimum de confort, au moins disposais-je d’un lit, de vêtements, d’une salle de bain et de quoi me chauffer, mais l’Académie n’était pas mon foyer. Celui-ci avait été détruit dix ans plus tôt et j’allais à présent tout faire pour rendre la monnaie de leur pièce aux responsables.
Alors que je repensais aux évènements qui m’avaient conduite ici, ce qui avait le don de me mettre les nerfs en pelote, Kester me surprit en venant s’asseoir sur le second fauteuil, le regard posé sur moi. Il semblait presque… Songeur.
— Tu n’es plus une enfant, Nyx. Je ne vais pas te faire la morale pour ta piètre performance de tout à l’heure.
— Tu commences mal dans ce cas… marmonnai-je.
Il m’ignora.
— J’aimerais tout de même savoir pourquoi tu ne t’es pas défendue.
Je savais ce qu’il entendait par là, et il était vrai que j’aurais pu faire davantage. Au-delà de sentir les détenteurs de pouvoirs et d’évaluer leur puissance, j’avais la capacité de retourner leurs dons contre eux. Mais personne ici ne le savait, à l’exception de Kester évidemment.
— Je réserve cette surprise pour la Sélection.
C’était un mensonge. Ou du moins, une demi-vérité. Je n’étais pas certaine de vouloir dévoiler cet atout, même lors des épreuves. Si je n’avais plus d’autre choix alors je m’y résignerais, en attendant… Je protégerais jalousement ce secret aussi longtemps que possible.
— De quoi as-tu peur, Nyx ?
— De rien, répondis-je trop vite.
Je craignais que cet avantage devienne une faiblesse. Qu’on me juge trop dangereuse pour côtoyer et protéger les membres de la noblesse, tous plus puissants les uns que les autres. Car ils auraient raison. Je ne comptais reculer devant rien pour obtenir justice, et si ça impliquait de trahir, mentir, voler ou tuer, je le ferais sans hésiter. Et j’avais besoin qu’on me choisisse pour approcher les responsables de ma situation.
Kester soupira.
— J’espérais que ce feu en toi s’apaiserait avec le temps. Que tu trouverais un but dans la vie, t’y accrocherais et avancerais. Mais j’avais tort, n’est-ce pas ? Tu ne maîtrises rien, Nyx. Ton désir de vengeance te contrôle. Il dirige ta vie, tes choix, te consume et t’aveugle dangereusement. Tu seras morte avant la prochaine saison si tu persistes sur cette voie.
— Et la faute à qui, hein ? m’emportai-je en vrillant mon regard sur le sien.
— La mort de tes parents était inéluctable. Ni toi, ni moi, ni personne n’aurait pu changer cela.
— J’en connais deux ou trois qui auraient pu changer le cours des choses, au contraire.
Moi, pour commencer. Kester avait tort de penser que je n’aurais rien pu faire. J’aurais au moins pu essayer, mais j’étais restée cachée pendant que mes parents se faisaient assassiner. Le poids de la culpabilité ne me quittait jamais. En outre, mon mentor se trompait sur un autre point : Je maîtrisais tout. J’avais un plan infaillible et je me fichais de la finalité me concernant du moment que je pouvais mener celui-ci à son terme.
— Je veux que tu vives, Nyx. C’est ce que j’ai toujours voulu. Que tu vives vraiment. Mais tu t’obstines à simplement survivre jusqu’au jour où tu n’auras plus aucun objectif. Et ensuite quoi ? Que deviendras-tu ?
Je haussai les épaules et il secoua la tête. Son attention se reporta sur les flammes qui dansaient dans l’âtre et j’en profitai pour l’observer plus attentivement. Ses yeux verts semblaient plus ternes qu’à l’accoutumé et ses cheveux châtains un peu trop longs étaient désordonnés, comme s’il y avait passé les mains dedans de nombreuses fois. Malgré ses cernes et son teint anormalement pâle, il restait cependant un très bel homme, même si une grande cicatrice venait barrer son visage symétrique de sa tempe gauche jusqu’au menton, preuve de ses nombreux combats en dehors de ces murs que son jeune âge n’avait pas entravés.
Kester était le seul officier supérieur du royaume aussi jeune. Il avait à peine trente-cinq ans et en paraissait vingt, ce qui ne l’empêchait pas de diriger cette Académie ainsi que d’autres troupes — selon où il était appelé — d’une main de maître. Je ne doutais pas qu’il atteindrait le grade de général d’ici quelques années, s’il continuait ainsi.
Enfin, actuellement il avait surtout l’air préoccupé et malheureux. Il paraissait particulièrement fatigué, peut-être même démoralisé, et ça me fendait le cœur de savoir que j’en étais en partie responsable. D’un autre côté, il ne méritait pas forcément mieux non plus. Nous avions tous nos fardeaux, nos choix à assumer, et j’avais beau l’aimer… Une part de moi le détestait d’avoir toujours été là pour moi. De m’avoir nourrie, protégée et fournie un toit alors que ma famille gisait six pieds sous terre. J’étais d’une ingratitude sans nom.
— La colère est ton carburant. Un jour elle te détruira.
— Je sais.
— Tu ne survivras pas à ce que tu projettes de faire, quoi que ce soit.
— Je sais.
Il resta silencieux quelques secondes.
— Je t’aiderai. Le moment venu… Je serai là.
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