FaustineMeudon 24 nuances de Noël Chapitre 1 (3)

Chapitre 1 (3)

Entendre sa voix me fait l’effet d’un électrochoc.


Jusqu’ici, en jouant avec les plannings et en échangeant certaines gardes pour ne pas tomber en même temps que lui, j’avais réussi à l’éviter.


Mais ce contretemps de dernière minute me pousse dans mes retranchements. L’entorse de Gaëlle a intérêt à être sérieuse, car elle me met dans de beaux draps.


_ Vous n’aimez pas ? J’ai pensé que ce serait drôle, explique-t-il en approchant.

Julie fait la moue. Quand il glisse une main dans le carton pour attraper un exemplaire, ma copine en profiter pour lâcher, à voix basse :

_ Pour quelqu’un qui a fait sauter un poste de puéricultrice en arguant de restrictions budgétaires, je vous trouve bien à l’aise avec l’argent du service.

Je manque m’étrangler. Même si Julie n’est pas réputée pour tenir sa langue, elle y est allée un peu fort.


Raphaël la toise sans répondre. Ses yeux lancent des éclairs. Heureusement, personne d’autre n’a entendu, si bien qu’il replace à nouveau un sourire sur son visage avant de se retourner vers l’assemblée :

_ Allez, un bonnet pour tout le monde !


Tandis que Raphaël s’occupe de la distribution en déambulant dans la pièce avec le carton, je laisse traîner mon regard sur sa silhouette. En cinq ans, il n’a pas changé d’un pouce. La blouse ne laisse pas deviner tout ce que je pourrais soumettre à comparaison, mais rien qu’à scruter son visage avenant et ses mains puissantes qui épousent les arêtes du carton, les souvenirs me reviennent en rafale.


Stop.


Rapidement, je sors mon téléphone pour dévier mes pensées et me donner une contenance.


Un message de ma mère s’affiche sur l’écran, accompagné de la photo d’une dinde enduite de beurre et parsemée de thym : « Joyeux Noël ma chérie ! Ici, on entame les préparatifs. Manuel est parti chercher les gâteaux et je m’attaque aux pommes de terre en robe des champs : tes préférées ! Que prévois-tu ce soir ? Tu dînes chez les parents d’Édouard ? Envoie-moi des photos. Bisous, maman. »


Bien que j’apprécie recevoir des nouvelles de ma mère, ses mots me gênent, sans que je sache si c’est la dinde prête à enfourner qui choque mon cœur de végétarienne, ou si c’est de lire le prénom d’Édouard qui me le serre.


Dans tous les cas, je remets la réponse à plus tard.


_ Un bonnet ?

Je lève les yeux. Raphaël se tient devant moi, un sourire narquois sur les lèvres.

_ Je passe mon tour.

_ Hors de question, sinon la moitié de la salle va t’imiter. Aucun passe-droit, même pas pour toi.

_ Pour « toi » ? Que me vaut cette familiarité ? On n’a pas été présentés, je crois.


Raphaël arque un sourcil amusé et, se mordant la joue pour ne pas rire, décide d’entrer dans mon jeu.

_ Effectivement, j’ai dû me tromper. Vous êtes le Docteur…

_ Camille Caron.

_ Camille Caron… Non, ça ne me dit rien. Enchanté, moi c’est Raphaël Olliero.

_ C’est marrant, vous portez le même nom qu’un gros con que j’ai connu, il y a longtemps.


Souriant largement, il confirme d’un hochement de tête tout en désignant le carton, l’air de dire que je n’y couperais pas. Avec une légère moue, je finis par me plier au dress code du jour et j’attrape un bonnet. C’est un joli modèle, avec une feutrine épaisse et un velours blanc très doux, orné d’un pompon argenté d’où sortent de petites étoiles assorties.


_ La direction est au courant que tu as claqué un SMIC pour nous déguiser ?

_ Pas encore, grimace Raphaël. Je le retirerai de ta paie.

Je manque l'occasion de contre-attaquer puisque Julie nous rejoint à ce moment.


En fronçant les sourcils, elle m’interroge du regard. Je la connais : je n’ai qu’un mot à dire pour qu’elle parte au front. Mais d’un mouvement discret du menton, je fais signe que tout roule.


_ Il ne reste que vous, claironne Raphaël en se tournant vers mon amie.

_ Dans tes rêves, le nouveau.

Je pouffe grotesquement tout en reculant d’un pas pour me protéger des foudres qui menacent. J’aurais voulu connaître Julie cinq ans en arrière. Avec elle à mes côtés, je n’aurais pas si mal vécu la situation. Sans perdre de sa superbe, Raphaël dépose le carton sur la table, sort un bonnet et le lui tend.

_ Pas d’exception.

_ Tu ne peux pas me forcer, réplique-t-elle.


Il fait mine d’envisager l’hypothèse.

_ Non, c’est vrai. Mais je peux t’inscrire à une réunion soporifique cet après-midi, à laquelle je dois assister mais pour laquelle je peux me faire remplacer. Un 24 décembre à 16 h, ça te dirait d’aller discuter planification sanitaire et gestion des coûts avec la direction de l’hôpital ?

_ Tu n’as…

_ Ah, si ! Pour ça, j’ai le droit. Allez, ne joue pas les obstinées, se radoucit-il. Puisque tu sors de garde, tu n’auras qu’à le supporter une heure.


Bon gré mal gré, Julie s’empare du bonnet dont elle se couvre en ronchonnant. Elle a tort : le rouge lui sied au teint.


_ Lui, je te jure, grommelle-t-elle en lorgnant le dos de Raphaël qui s’éloigne, il me sort par les yeux. Sa belle gueule me démange autant qu’un punching-ball. Vivement qu’il se casse et que je récupère sa place de chef.


Non pas que je remette en cause la motivation de Julie, mais j’émets quelques réserves sur ses chances de réussite. Si ma copine est tenace, Raphaël l’est doublement, mais contrairement à elle, il cache son jeu et accumule les pièges pour manipuler son adversaire jusqu’à la dernière seconde.


Et l’abattre avec panache.


Je le sais. J’en ai fait les frais.

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10 commentaires

Stella King

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Il y a 9 jours

L’idée qu’ils fassent semblant de ne pas se connaître est sympa

Nora Rosen

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Il y a 10 jours

Quelle bonne ambiance en perspective, dans ce service...
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