Fyctia

Dans le couloir qui relie le hall d’accueil à la salle de réunion, tout est déjà décoré aux couleurs de Noël. Je ne sais pas quel lutin remercier pour la réalisation, mais c’est réussi. Du sol au plafond, il y en a pour tous les goûts : guirlandes rouges, étoiles dorées, anges aux ailes argentées.

Au bout de l’allée, par la porte entrouverte, j’aperçois Julie accroupie devant un sapin artificiel qu’elle est occupée à garnir de boules bleues et blanches. En plus d’être ma collègue, Julie est ma meilleure amie. Je l’ai rencontrée en prenant mon poste dans cet hôpital, trois ans plus tôt, et ça a tout de suite accroché entre nous.

_ C’est très joli, la félicité-je en pénétrant dans la pièce.

_ J'ai récupéré ce sapin en pédiatrie, ils en avaient un de trop. C’est un peu tardif, cela dit.

_ On le gardera jusqu’à l’Épiphanie.

La mine soucieuse de Julie m’interpelle. Après avoir pioché trois boules dans le carton derrière elle, je m’accroupis pour l’aider.

_ La garde s’est mal passée ?

_ L’interne de soirée a été lamentable. Je sais qu’ils sont là pour apprendre et qu’en début de cursus, ce n’est pas évident, mais elle n’a montré aucune volonté. À chaque fois que j’avais besoin d’elle, elle filait aux toilettes ou s’inventait un papier à déposer au secrétariat.

_ Comment s’appelle-t-elle ?

_ Mélissa.

Le prénom m’arrache un soupir.

_ C’est avec elle que je fais la garde ce soir… Ça promet.

_ Qui est l’autre médecin ? demande Julie.

_ Céline. Je m’entends bien avec elle, ça va rouler. Quant à l’interne, soit elle a envie d’apprendre… soit elle s’occupera de la paperasse. Mince, pesté-je en lâchant une boule qui s’écrase en mille morceaux au sol.

Après avoir rassemblé les débris en un monticule argenté, je me tourne vers Julie :

_ À part ça, tout va bien ? J’ai l’impression que le moral n’est pas au top ce matin.

_ On en parle après le staff. Si j’ouvre les vannes, je ne saurai plus les fermer.

En retournant dans le hall pour demander à Carmen un ramasse-poussière à prêter, je tombe sur un gros carton labellisé « gyn-obst ». Son téléphone posé à côté de l’ordinateur diffuse toujours Mariah Carey. Sait-elle comment désactiver la lecture en boucle ? Sinon je plains les patientes.

_ Tiens, Camille ! C’est pour toi, lance Carmen en désignant le carton.

_ Pour moi ?

Elle libère la carte vitale de la patiente et la lui rend avant de se tourner vers moi, les épaules toujours en mouvement sur le rythme de la chanson.

_ Enfin, pour le service de gynéco. Tu n’as qu’à l’emporter au staff pour distribuer à tes collègues.

_ Qu’y a-t-il dedans ?

Amusée, la secrétaire hausse un sourcil sans répondre, puis fait avancer la patiente suivante dans la file d’attente. J’imagine que pour le ramasse-poussière, je vais devoir me débrouiller.

Après avoir fouillé deux réserves, je trouve un balai et une sorte de grande pelle qui feront l’affaire. Les débris ramassés, je repasse par l’accueil pour récupérer le carton. Désormais, Carmen est coiffée d’un serre-tête à l’effigie d’un renne en mousse et a décoré le comptoir face à elle avec des bonhommes en feutrine rouge et blanche. Au rythme où ça va, dans deux heures on installe un marché de Noël dans le service. Non pas que ça me dérangerait.

Chargée du carton, je retourne dans la salle de réunion.

Mes collègues arrivent au compte-gouttes. Un café dans une main, leur téléphone dans l’autre, ils complimentent Julie sur le sapin de Noël puis se cherchent une place autour de la grande table ovale qui occupe le centre de la pièce. Je bifurque à gauche pour rejoindre mon amie, installée à un bout.

_ Qu’est-ce que c’est ? s’enquiert-elle en désignant le carton.

_ Aucune idée. Carmen me l’a confié sans m’en dire plus. Tu aurais une paire de ciseaux ?

Après avoir exploré longuement les poches de sa blouse qui semblent aussi profondes que le sac de Mary Poppins, Julie accède à ma demande. D’un coup de lame, l’adhésif saute et révèle…

_ Des bonnets de Père Noël ?!

Nous éclatons de rire, provoquant l’amusement de nos collègues.

_ Qui a bien pu commander ça ? s’étonne Julie en fouillant le carton.

_ C’est moi.

Entendre sa voix me fait l’effet d’un électrochoc.