Fyctia
23. Complot 2/5
Le grand brun souffle, s’avance vers son bureau avant d’attraper un papier sur le dessus de son office et de s’appuyer sur le meuble pour me faire face. Oh, putain… Je le sens mal. Très mal. Il semble hésiter, fronce les sourcils et grimace à me tendant le mot qu’il tient. Sceptique, je l’agrippe avec mes doigts. Mais ne pose pas tout de suite mon regard sur lui. Trop perturbé par le visage déformé de mon ami.
— C’est quoi ? demandé-je.
— Mec… je suis désolé, j’aurais dû le voir plutôt. Faire le lien. Mais avec le boulot que j’ai, la serveuse et moi n’avons fait le rangement du comptoir que ce matin. Et, on est tombés sur ce mot. Tu sais, ce truc que la brunette t’avait laissé quand je t’ai préparé ton cocktail ? Et euh… ouais, je te l’ai lu, mais je me rends compte que tu aurais peut-être apprécié que je te le donne. Enfin…
— Quoi ? Tu m’as dit de venir pour un vulgaire bout de papier ? C’est tout ? m’énervé-je soulagé d’entendre que rien de grave n’est à l’origine de son coup de téléphone.
— Non, écoute, tu ne comprends pas. Regarde-le ce mot ! Putain ! Je n’ai pas voulu croire ma serveuse quand elle me l’a tendu tout excitée. Mais merde… il a fallu que je me rende à l’évidence en voyant la signature de cette fille. Quoi ? Putain, mec, tu crois vraiment que je t’aurais fait venir pour un truc aussi nul qu’un papier sans importance ? Non ! Alors fais-moi confiance et jette un œil à ce mot.
— Vraiment ?
Il hausse les épaules avant de m’abandonner là comme un con. Non sans un avertissement. « Accroche-toi mec, c’est du lourd. » Du lourd ? Mais merde, qu’est-ce que c’est que ça encore ? Quel lien, il y a-t-il entre Cassie et l’excitation de sa serveuse ? D’ailleurs, je ne comprends pas bien pourquoi elle serait folle de découvrir un mot écrit de la main de Stella. Il n’y a rien d’excep…
— BORDEL DE CUL ! hurlé-je coupant court à mes pensées. Non, non, non ! C’est une putain de blague ! C’est elle ? Mais… comment ? confus, perdu, la colère s’insinue dans mes veines autant que l’incompréhension.
Cette signature, je la reconnaîtrais entre mille tant elle m’obsède depuis des mois, des années mêmes ! Un Stella surmonté d’une étoile ! Mais quel idiot, je suis. J’aurais dû le deviner plus tôt. Comment ai-je fait pour ne pas voir l’indice le plus concret que j’avais en face de moi ? Les mains tremblantes, j’essaie de me calmer pour détailler les traits qui se dessinent sur le bout de papier froissé que m’a donné Joe.
Je grogne, grommelle avant de me lever d’un bond et de foncer vers l’étage du dessous. Joe a dû se douter de ma réaction, toutes les lumières sont allumées. Elles illuminent chacun des traits des graffitis qui prolifèrent sur les murs du Loch Ness. Bordel ! Combien, il y a en a au juste ? Deux, trois ? Non ! En comptant le dragon d’eau qui nous mène d’un espace à un autre, ce n’est pas moins de cinq signatures qui sont visibles ici et là.
Un « S » élégant suivi des lettres qui forment le surnom que je lui ai donné. Merde, Cassie, quel genre de secret est-ce là ? Putain, et moi qui lui parle de cet artiste depuis plusieurs jours et elle qui fait tout pour dévier le sujet de la conversation. J’aurais dû comprendre. Faire le lien ? Non ? Surement mais j’étais sur mon nuage. J’avais ce goût de victoire qui vient littéralement d’éclater en quelques secondes. Tout ça à cause de six lettres et d’une étoile.
Stupéfait, mon corps se relâche et mes fesses atterrissent je ne sais comment sur un des sièges de la boite. Mon regard se perd sur le motif d’une sirène qui semble vouloir remonter à la surface. J’en analyse chaque détail quand un verre de whisky avec des glaçons fait son apparition sous mon nez. Joe n’a pas le temps de dire un mot que déjà j’avale la totalité de son contenu. Trop secoué par sa découverte.
— Merci.
Je grogne, me racle la gorge avant de tirer sur mes cheveux, la main tremblante. Merde… c’est le mot. Il tourne en boucle dans mes pensées, ne veut plus me quitter. J’essaie de trouver à quel moment j’ai merdé, quand est-ce que j’aurais pu voir les indices qui m’auraient aidé à trouver son identité. Et je finis par me rendre à l’évidence. Tu n’es qu’un idiot, Ash ! Un putain d’aveugle ! J’aurais dû le deviner depuis le début. Le problème, c’est que je ne voulais pas y croire, je ne pouvais pas croire que cette fille de mon passé se cachait derrière cette signature.
— Putain ! J’aurais dû le savoir.
— Comment ? Personne ne connaît son identité ? Je te rappelle que j’ai dû quitter les lieux pendant plus d’une semaine pour que l’artiste puisse créer tout ce que tu vois autour de toi. Et je n’ai pas une fois eu l’occasion de voir son visage. Notre échange s’est entièrement fait par mails, messages et papiers. Et crois-moi, j’aurais adoré débarquer ici alors qu’elle était là, mais j’avais signé son putain de contrat. Je te jure, je n’avais jamais vu autant de clauses dans un torchon. Cette nana est dingue ! Une artiste hors normes qui se planque derrière son anonymat. Si elle ne t’avait pas provoqué, si elle n’avait pas écrit ce bout de papier, si elle ne l’avait pas signé… Putain, mec, c’est un coup de chance.
— La chance ? Vraiment, Joe… C’est un coup de pute du destin, oui ! Tu te rends compte de ce que ça signifie ? Cette signature…
Je ne termine pas ma phrase, trop perdu dans un flou total. Un putain de raz-de-marée qui m’engloutit tout entier pour me cracher à la gueule la vérité. Stella est cet artiste que je recherche ! Merde ! Elle a toujours été là. Partout autour de moi. Dans ma vie, même alors que je me croyais au fond de l’enfer. C’était encore mon étoile ! Mon phare dans la nuit, pourtant, elle ne faisait plus partie de mon quotidien. Plus depuis onze ans. Du moins, c’est ce que j’ai cru…
Et ces œuvres que j’admire, ces peintures à double sens dont je raffole, dont je détaille chaque centimètre pour en comprendre la signification, pour en graver chaque trait dans ma mémoire, voilà qu’elles lui appartiennent. Tantôt colorées, tantôt lumineuses, elles jouent avec le jour et la nuit restant ainsi visibles peu importe l’heure. Une putain de prouesse. Et le mot que je chiffonne entre mes doigts n’est que mon point d’ancrage face à tout ça. Mon point de chute, celui qui me hurle en toutes lettres : c’est ELLE.
Stella.
Encore et toujours.
Mon cœur palpite.
— Cassie. Elle… c’est elle qui m’a maintenu hors de l’eau pendant mon adolescence. Ce sont mes souvenirs d’elle qui m’ont permis de trouver mes marques quand je touchais le fond après la mort de mon père. Putain, c’est encore elle à travers ses fresques qui m’a ouvert les yeux sur ce que peuvent offrir les artistes, quoi qu’en dise ma vipère de mère. Et… bordel, Joe, c’est aussi elle qui en déboulant comme secrétaire vient bouleverser mon quotidien. A commencer par mon fichu calendrier, duquel je n’ai ouvert aucune case, préférant celui avec ces décors de Noël ridicules. Merde, je… Elle est…
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