Sandra MALMERA 24 jours, un chocolat 20. Souvenirs 2/4

20. Souvenirs 2/4

Ma table lumineuse et ma table de découpe ! Un duo infernal et surtout mes outils incontournables quand j’en arrive à la dernière étape de mon boulot de création. J’oubliais ! La partie impression… ça, ce sont les garçons qui s’en occupent. Ils ont des boulots qui entrent dans le même domaine que le mien et travaillent avec des imprimeurs, alors je leur fais confiance les yeux fermés sur cette partie-là. Enfin… presque. Il leur a fallu pas moins de deux jours de négociations pour que j’accepte de rencontrer, Marc et ses imprimantes lasers.


Un rire m’échappe quand je repense à son visage surpris au moment où mes deux mousquetaires lui ont annoncé de but en blanc :

« C’est elle. Stella.

— PARDON ? Elle ? Et vous crachez le morceau que maintenant ? Putain, mais vous savez combien de personnes sont à la recherche de cet artiste ? Combien de passionnés sont intrigués par l’anonymat qu’il arrive à garder ? Et surtout comment il fait pour trier sur le volet ses clients ? Vous rigolez-là, hein ? Vous ne pouvez pas débarquer dans mon bureau, tout sourire en m’annonçant ça, sans préparation, s’était-il indigné en se levant d’un bond de son fauteuil. »


Depuis ? Il participe activement dans le maintien de mon secret. Quand il doit s’occuper de mes commandes, il vire ses employés, leur donne leur journée, ou attend d’être à la fermeture de son entreprise pour lancer les impressions. Et pour l’instant, personne ne nous a grillés. Puis, ce n’est jamais moi qui vais récupérer en personne les patrons, une fois prêts. El s’en occupe en général, trop heureux de pouvoir « jouer les espions » ou « les agents secrets ».

Mince alors… dire que tout ça est partie d’une idée folle.

Un défi dans lequel je n’aurais jamais cru me lancer.

Pourtant Ashley le savait, tout en ignorant aujourd’hui que c’est moi qui suis derrière cet artiste qu’il recherche si ardemment. Ironique comme la vie se moque de nous, s’amuse à nous tromper pour mieux nous attirer l’un vers l’autre. Comme deux aimants se tournant autour pour un jour finir par s’entrechoquer et jamais plus se séparer. Sauf que… l’attraction a été rompue. En posant enfin mes fesses sur mon fauteuil, le faisant tourner vers mon bureau et attrapant un crayon, je sais que les traits que je m’apprête à dessiner seront pour lui.

Et c’est cet instant qui amorce mon plongeon dans les souvenirs les plus frais.

Samedi soir.


Quand je me suis réveillée en sursaut sous ses cris :

« PAPA ! PAPA ! Non ! S’il te plaît, ne me laisse pas, ouvre les yeux… J’ai besoin de toi. Réveille-toi. Je t’en supplie. Lâchez-moi, mère ! Je… Non ! Il n’est pas…

— Ashley, soupiré-je en m’approchant de lui sur la pointe des pieds.


Sauf qu’il ne m’entend pas. Et les larmes involontaires qui roulent entre ses paupières closes me serrent la poitrine. Je me sens impuissante, réalise à quel point cette soirée du vingt-quatre décembre, il y a onze ans a été difficile pour lui. Hésitante, mes pas se font plus lents mais ils me portent tout de même aux côtés du corps endormi de Crève-cœur. Dans une respiration retenue, je me courbe, m’installe en tailleur, mon visage arrivant ainsi à hauteur du sien. Je l’observe un instant, incertaine de mes gestes, de ma légitimité à entendre les mots qui fusent encore sous le tremblement de sa voix.


— Papa, ne m’abandonne pas… NON ! Lâchez-moi ! Je veux rester avec lui ! Ne me l’enlevez pas ! Il n’est pas trop tard ! Non… Papa… Papa… réveille-toi. S’il te plaît. J’ai besoin de toi. Je… je… je t’aime. S’il te plaît. Ouvre les yeux, pour moi…


Ses sanglots s’intensifient, c’en est trop pour moi, pour mon cœur, pour mon âme qui se déchire en deux sous ses paroles, ses mots qu’il a dû hurler en boucle cette nuit-là avant de s’effondrer totalement. Je ne peux pas le laisser dans ce cauchemar. Il a déjà trop enduré. Seul. Bordel, Ashley… Pourquoi tu ne m’avais rien dit ? Pourquoi m’avoir tourné le dos alors que tu étais dans la détresse ? Pourquoi tu as accepté que De Cœur prenne le contrôle ?

La douleur.

C’est ça la réponse à mes questions.

Cette déchirure si intense qu’elle l’a brisé, qu’elle l’a détruit au point de lui faire baisser les bras. D’abandonner tout combat, de suivre les ordres sans réfléchir et de nous détruire tous les deux. Mais aujourd’hui, je crois comprendre la détresse qui t’habitait, cette peur de me faire sombrer avec toi. Alors ma main s’agite sans que je ne la guide, sans que j’en ai conscience pour venir essuyer ses larmes qui coulent sur les pommettes d’Ashley. Un sursaut, c’est tout ce qui l’agite quand mes doigts glissent avec douceur sur son épiderme. Un soupir, c’est ce que j’entends quand d’une impulsion, je prends ses doigts dans les miens. Et un murmure, un surnom qui me fige sur place, qu’il énonce lorsque je dépose un baiser délicat sur sa joue.


— Stella…

— Je suis là, Ashley. Toujours. Malgré tout. Ton étoile au cœur des ténèbres, soufflé-je en caressant ses cheveux pour l’aider à calmer sa respiration saccadée par les émotions. »


Une goutte humide tombe sur ma feuille au moment où je dépose mon crayon dans son pot, le regard rivé au dessin qui prolifère devant moi. Surprise, ma main se porte à ma pommette sur laquelle est tracé un sillon d’eau salée, preuve de la larme qui vient de s’échapper de ma paupière. Je ne pensais pas que le cauchemar et les cris d’Ashley m’avaient autant marquée, je n’avais pas conscience que mes gestes avaient autant d’importance. Pourtant… ce souvenir pèse sur ma poitrine, me fend le cœur autant qu’il m’électrise.

Cet homme, je l’ai aimé et… peut-être que mon cœur bat en partie encore pour lui.


*

ASHLEY


Après notre déjeuner, je n’ai pas vu le temps passé, n’ai pas eu une seule minute de libre, et surtout à peine le temps de jeter un œil à Cassie que sonnait la fin de la journée. L’éloignant de moi sans que je ne puisse rien y faire. En fait, je suis presque sûr qu’elle a pris la fuite. Je ne saurais expliquer quel en était le point de départ mais j’ai aperçu ce midi dans son regard, un voile. Une ombre qui d’un coup à semblait ternir son humeur. Tout ça à cause d’Éric et de sa fichue lubie de vouloir tout savoir sur samedi soir.

Putain, mais en vrai, c’est le trou noir de mon côté !


Tu as aimé ce chapitre ?

2

2 commentaires

Vous êtes hors connexion. Certaines actions sont désactivées.

Cookies

Nous utilisons des cookies d’origine et des cookies tiers. Ces cookies sont destinés à vous offrir une navigation optimisée sur ce site web et de nous donner un aperçu de son utilisation, en vue de l’amélioration des services que nous offrons. En poursuivant votre navigation, nous considérons que vous acceptez l’usage des cookies.