Sandra MALMERA 24 jours, un chocolat 19. Bilan de situation 2/5

19. Bilan de situation 2/5

Je me suis affalé dans mon siège, soufflant et tapotant sur le meuble en bois pour tenter de calmer l’excitation que Stella a fait monter en moi. Cette femme me perdra, me faisant sans cesse passer du froid au chaud, elle joue avec mes nerfs. Et j’ai peur que l’explosion ne soit que colossale.

Merde ! Concentre-toi, Ash.

Cassie est déjà replongée dans son boulot, que moi, je suis pris au piège par mes deux meilleurs amis. Le premier impatient au point de sautiller sur son assise, et l’autre debout, les bras croisés sur son torse. Quand je croise le regard de Vince, je comprends que c’est à moi de parler, de leur raconter ce qu’ils ignorent sur le retour chez Cassie et hier, dimanche. Mais j’ai cette partie de mon âme, égoïste, qui n’a qu’une envie garder tout ça pour elle. Comme un secret précieux, un souvenir joyeux que j’ai trop peur de voir se ternir.

Pourtant… je finis par taper sur le dessus du bureau de mes deux paumes et me décide enfin à ouvrir ma bouche encore scellée à double tours. Tant et si bien que mes mots ont du mal à sortir, à passer le cap du silence pour devenir réels. Merde… J’ai la trouille, une angoisse telle que je ne sais plus si cette foutue mission annuelle, si mon calendrier de l’avent virtuel, est une bonne idée. Je me demande même si je ne vais pas droit dans le mur avec Cassie, avec un défi comme le mien.


— Elle ne comprendra pas… soufflé-je, tout en redressant la tête et vérifiant que la porte est close.


Cassie ignore tout de l’application, des notifications que je reçois depuis trois matins et qui m’indiquent qu’il est temps d’ouvrir les cases de mon calendrier. Mais… je n’ai rien validé, je n’ai même pas ouvert le fichier pour le mettre à jour. Je me suis contenté d’effacer les messages de rappel et d’attraper Rodolf pour qu’il m’accompagne. Putain… voilà que je préfère un emballage en carton avec des chocolats à des cases virtuelles avec de la baise sans lendemain.


— Elle ne me le pardonnera pas, continué-je en conclusion de mes pensées.

— Qu’est-ce que tu marmonnes ?

— Il parle du calendrier, Éric. Son défi annuel, sa mission baise, son défouloir pour se vider l’esprit. Pour oublier qu’il a un jour aimé. Pour effacer qu’il a été brisé. Pour faire disparaître cette fille, là.


La dernière remarque de Vince fait écho à mes idées, mes tourments. Cette valise de regrets que je porte sur mon dos depuis onze ans déjà et qui semble s’alléger. Elle ne pèse plus une tonne, elle perd de son importance. Pourquoi ? Parce qu’il a suffi à Stella de revenir dans mon quotidien pour y faire entrer la lumière, cette lueur d’espoir que j’ai fui, il y a tant d’années et qui pourtant semble me poursuivre. D’ailleurs le doigt de Vince qui la pointe, intrigue Cassie au point qu’elle fronce les sourcils vers moi. Et penche la tête sur le côté pour tenter de comprendre de quoi on discute. Mais elle s’en doute. Comment ne pourrait-elle pas le savoir alors qu’Éric est arrivé en hurlant dans tout le service ?


— Je… Merde ! Pourquoi tu l’as embauchée au juste ? m’énervé-je en grognant sur Vince.

— Mais parce qu’elle est parfaite ! Une semaine qu’elle est là et le dossier Fabre est validé. Six jours qu’elle bosse, et regarde son bureau. Elle a tout classé. Quand tu l’appelles, elle sait te répondre, elle arrive à caler les plannings de tout le monde, écoute et aide ceux qui sont bloqués dans les projets, elle gère même les réunions et te permet d’avoir du temps libre pour discuter avec nous.

— Non, qu’est-ce que…

— Mais si ! Tu ne remarques donc rien ?

— Putain mais Vince a raison ! Un quart d’heure, qu’on est entré dans ton bureau et tu n’as reçu aucun appel ! Pas un seul dérangement !

— Comment ? demandé-je en constatant que Cassie ne cesse de naviguer entre le téléphone et l’écran de son ordinateur, se penchant parfois en arrière pour ouvrir un dossier.


Merde ! C’est sérieux ?

Hébété, je l’observe en silence. Rejoins par mes amis, nous fixons notre attention sur les mouvements de Cassie. Elle jongle avec une facilité déconcertante, passant d’un élément à un autre sans sourciller. Elle sourit même, rit parfois et son nez se plisse de temps en temps sous une remarque que j’imagine désobligeante, se forçant à ne pas renvoyer chier son interlocuteur. Nous passons ainsi cinq minutes à l’analyser, à nous émerveiller devant le spectacle de cette femme qui a pris ses marques plus vite que son ombre, qui a su trouver sa place. Et cette image me percute de plein fouet, ma main vient se plaquer sur ma poitrine à la hauteur de mon tatouage.


— C’est l’évidence, susurré-je.

— Ouaip. La petite sirène nage comme un poisson dans l’eau.

— Comme si elle avait toujours été là, n’est-ce pas ? conclut Vince avec un sourire.


Et c’est bien ça le problème avec Cassie. Peu importe comment, elle arrive toujours à se fondre dans le décor, à prendre ses marques et illuminer tout ce qui l’entoure sans même s’en rendre compte. D’ailleurs alors que nous continuons à discuter tout en la fixant, elle s’arrête, nous observe et d’un air entendu se lève. Je souris sachant déjà ce qu’elle s’apprête à faire. Éric, lui, m’interroge tandis que Vince annonce de but en blanc la réponse :

— Un chocolat chaud façon Ash, je suppose.

— C’est sa manière à elle de les préparer, avoué-je des étincelles dans les yeux.


Il ne faut pas moins de dix minutes à Stella pour s’inviter à son tour dans mon bureau, les bras chargés de quatre tasses fumantes aux senteurs de sucrées et de cacao. Éric est prêt à l’acclamer et Vince profite de cette euphorie collective pour récupère le fauteuil de Cassie. Il l’ajoute au bout de mon meuble et réunis, ensemble, nous sirotons notre boisson sous les rires moqueurs de mes amis quant au récit de la fin de ma soirée de samedi.

Si moi, j’ai des trous de mémoire, des souvenirs flous des différentes étapes de mon sauvetage par Stella. Elle, s’en rappelle dans les moindres détails et offre à mes compères de quoi me charrier pour un long moment. Je dirais des années mêmes. Mais au fond j’ignore comment pourtant à cet instant, un sentiment de bonheur m’enlace. Et la scène qui s’écoule devant mes yeux, que je vis aujourd’hui dans mon bureau est similaire à un repas de famille comme je les imagine. Drôles, joyeux, et réconfortant.

Et… rempli de ce sentiment trop rare pour que je n’ose le prononcer.

C’est ainsi que nous passons le reste de la matinée, du moins, une grande partie avant que nos deux espions en chef retournent à leur étage respectif et que Cassie comme moi, nous enchaînions rendez-vous téléphonique, réunion et visio-conférence. Le plus étrange dans toute cette situation, ce n’est pas la vitesse de l’éclair à laquelle est passée la matinée mais plutôt le naturel qui s’en dégage.


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