Fyctia
18. Un rituel ? 3/4
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ASHLEY
Les mots m’ont échappé sans que je ne puisse les arrêter, roulant sur ma langue et franchissant mes lèvres dans un murmure presque inaudible. Du moins, c’est ce que je croyais mais le regard entendu de Cassie vers moi, m’indique que je me plante totalement. Elle a entendu et… compris. Comme elle le faisait avant. Quand je remarque que nous avons deux spectateurs, je romps notre contact visuel et baisse la tête.
OK, Ash, réfléchis.
En fait, je sais ce que je dois faire mais je n’ose pas m’y résoudre, n’en ai pas envie. Et à vrai dire, je me sens presque à ma place ici, avec ces trois paires d’yeux qui me fusillent dans l’attente d’un mouvement. Calé, le cul sur le dossier du canapé, j’analyse encore quelques instants la situation et fini par me décider. Cette matinée, ce petit déjeuner, tout ceci autour de moi et surtout cette multitude de décorations de Noël sont égaux à des bulles de savons. Des bulles que j’ai peur d’éclater.
Que je risque malgré moi, de faire exploser.
Je me racle la gorge tout en me redressant et enfonçant mes mains dans mes poches. Courage, Ash. Je n’ai qu’à les remercier pour leur accueil, et prendre la fuite. C’est ce que je sais faire de mieux. Et personne n’en sera surpris d’ailleurs. Pourtant, pour la première fois depuis onze ans, je n’ai pas envie de m’évader, de prendre mes jambes à mon cou. Le pire ? C’est que d’habitude, si je me réveille dans l’appartement d’une femme, je fais tout pour ne pas avoir à lui parler, à la croiser, ni même à laisser ne serait-ce qu’un mot. Merde !
Avec Stella, c’est différent. Ça l’a toujours été. Et c’est sur cette pensée que l’évidence me frappe, une étincelle de ce souvenir aussi précieux qu’unique. Notre seul dimanche matin où Malory, nous a surpris dans ma chambre. Ce lendemain qui a bouleversé mon cœur et où les paroles de cette étoile se sont gravées dans ma mémoire, tant et si bien qu’elles sont maintenant sur ma poitrine.
« Après notre aveu commun, ces trois mots que je n’ai entendus que très rarement depuis… en fait, depuis aussi loin que je me souvienne, les seules personnes qui m’ont dit ces mots sont mon père et Malory, ma nounou. Ma mère ? Elle est tellement déçue d’avoir affaire à un fils que les paroles, qu’elle m’adresse, sont toujours cinglantes, tranchantes, vibrantes d’une haine sans nom. Et pourtant, elle continue de faire de ma vie un enfer. Elle s’insinue dans mes pensées, me paralyse, me transforme en un connard que je ne suis pas.
Que j’ai peur de devenir. Profitant des autres avant de les jeter comme de vulgaires chaussettes. Mais cette fille en face de moi, elle est différente de toutes celles que j’ai croisé en soirée, de toutes ces filles « De » avec qui ma mère me force à sortir, de ces greluches qui louchent sur la fortune de mes parents. Cassie, Stella. Elle est unique, elle est entrée un soir en haut des marches et la lumière qu’elle a apportée avec elle, qu’elle m’a tendue, ne me quitte plus.
C’est une évidence.
Et ces trois mots, cette phrase qui me semblaient inconnus, il y a de ça quelques instants, j’aimerais l’entendre encore entre ses lèvres. L’ancrer dans ma mémoire jusqu’à en être rassasié. Même si je crois que je ne m’en lasserais jamais. Alors pour être certain que je ne suis pas dingue, que je ne suis pas cet adolescent en plein délire face à la fille qui le fait craquer, je me répète. Lui redis les mêmes mots dans un murmure vibrant :
— Je t’aime, Stella.
Elle sourit.
Merde ! Mon cœur palpite dans ma poitrine, mes yeux se posent sur ses lèvres encore gonflées par nos baisers, et ma respiration se coupe. Je suis perdu dans ma contemplation, concentré sur la pulpe de sa bouche et la douce couleur rosée de ses pommettes. Mes mains viennent se caler sur ses joues pour en sentir leur chaleur, et alors qu’un frisson s’empare de ma nuque, j’ose détacher mon regard du bas de son visage pour venir le planter dans son océan cristallin. Suppliant. Implorant ma libération.
— Je t’aime aussi, Ashley. Ne le sais-tu pas déjà ? Je suis et resterais ton étoile.
— Même si je suis plongé dans le noir, au tréfond des ténèbres, pris au piège dans l’enfer que ma mère a créé pour moi ?
— Oh Ash… Ne l’oublie jamais. Au cœur des ténèbres, tu trouveras toujours une étoile pour te guider. Une étincelle de lumière qui éclairera la plus grande des tempêtes s’il le faut. »
Et sur cette dernière phrase, elle avait brisé la distance entre nos bouches. Sous des baisers langoureux, nos instincts avaient pris le dessus. Nos sentiments étaient palpables. Ils m’ont transporté, transformé. Enfin… jusqu’à ce que nous rompions notre contact pour redescendre sur terre et nous contenter d’une soirée films au fond du lit. Merde, c’était une tentation horrible que d’avoir son corps à quelques centimètres du mien et de ne rien tenter pour autant. J’étais encore un gosse. Nous l’étions tous les deux. Pourtant quand elle a énoncé ces paroles, j’en suis certain, elle les pensait.
Mais il a fallu que je lui brise le cœur. Que je laisse la peur et la tristesse l’emporter. Que Jeanne De Cœur gagne la partie ! Parce que le départ de Malory était la goutte d’eau, l’abandon qui m’a fait sombrer. Un putain de Noël merdique ! Le pire de tous ! Le dernier que j’ai fêté avec mon père. Bordel… Noyé dans mes tourments, dans un souvenir heureux qui me ramène face à mon erreur, je me suis réappuyé contre le dossier de leur sofa.
Mes poings sont serrés et cachés dans mes poches. Mes épaules sont tendues et ma tête se relève lentement vers celle qui saura me sortir de mes cauchemars. Il suffit d’une étincelle, d’un instant, d’un plongeon dans ses yeux bleus pour que mon cœur tente de s’évader de ma poitrine. Le poids qui s’était peu à peu abattu sur moi, s’efface. Il disparaît, s’évapore pour laisser place à cette douce chaleur que seule, Stella arrive à faire naître au creux de mon ventre.
— Tout va bien ? me demande-t-elle en s’approchant d’un pas hésitant.
Je ne réponds pas. Observe furtivement les réactions de nos deux gardiens. Cole monte les mains au ciel, comme pour baisser les armes et Eliott sourit de toutes ses dents. Tous les deux semblent incapables de se décider, balançant entre la confiance et la méfiance. Au fond… je les comprends. Cassie est celle qui tempère leur tempérament, elle est la troisième note de leur accord parfait. Un accord que je perturbe de ma présence.
Sauf que… j’ai cette impression folle d’avoir ma place ici, avec eux.
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