Fyctia
18. Un rituel ? 2/4
Elle l’était n’est-ce pas ? Je veux dire, on ne peut pas aimer une personne autant, lui ouvrir son cœur, son âme, ses secrets pour un simple jeu. On ne peut pas tourner le dos à la personne qu’on aime à moins d’avoir une raison. Alors pourquoi mon cœur me fait si mal, pourquoi j’ai encore aujourd’hui l’impression de le voir me tourner le dos sans un regard en arrière alors qu’au début de notre histoire, nous étions si fusionnels ? Si… Insouciants, téméraires et surtout si naïfs.
Je nous croyais invincibles.
Il m’a brisée.
Nous a détruit.
— Stella…
Le murmure d’Ash me surprend mais ce qui m’étonne le plus, ce sont ses doigts frais sur ma joue. D’un geste délicat, il essuie la larme qui vient rejoindre la première. Je tente de détourner le regard ne souhaitant pas voir la pitié se peindre dans ses yeux pourtant, j’y suis obligée. Son index vient se caler sous mon menton et il le guide vers lui. M’emprisonne, me piège dans ses yeux de gemmes. Et ce que j’y lis me percute de plein fouet.
Il n’y a aucune pitié. Juste de l’inquiétude.
— Tout va bien ? me demande Ash anxieux.
— Oui. Je repensais seulement à…
— Nous, termine-t-il comme si c’était l’évidence même. Moi aussi, il m’arrive de craquer. Tu sais… des fois, je me demande ce qui se serait passé si je m’étais retourné, si je t’avais tout raconté, si tu avais su que tout mon monde s’écroulait peut-être que… peut-être que, merde, je ne sais pas !
Agité, ses mains se décollent de ma peau et viennent tirer ses cheveux en arrière. Il faisait déjà ça avant. Et le voir agir ainsi, reconnaître ses tocs qu’il avait à l’époque me rassure là où ses paroles me fendent des parcelles encore fragiles de cette chose qui bat dans ma poitrine. Ce membre qui se serre chaque fois que je croise ses yeux, chaque fois que nous nous approchons pour mieux nous éloigner. Nous tourner autour, c’est ce qu’on sait faire de mieux.
Se chercher, se provoquer pour finir par succomber, se retrouver, s’embrasser…
Stop ! Je n’ai pas les idées claires, passant d’un sentiment nostalgique à un désir inavouable. Pourtant, j’aurais envie de lui dire, de lui hurler tout le mal que notre séparation m’a fait et aussi… j’ai ce besoin presque vital de le savoir près de moi, de savoir que je peux l’aider, que j’ai une importance dans sa vie. Parce que merde ! Lui, il compte. Sinon pourquoi j’aurais traversé une foule de corps dansants et suants dans le seul but de le sortir des griffes d’une vipère en devenir ?
Mais ça n’empêche pas que…
— Avec des « si », on referait le monde. Tu le sais ça, Ash. Et puis. J’ai su me relever, avec de l’aide, certes. Une aide précieuse même. Mais je crois que je ne changerais rien pour autant. Alors oui, j’ai encore du chemin à parcourir, des épreuves sont surement à venir, pourtant je ne doute pas. Je sais ce que je vaux, et j’ai grandi, évoluée. Je ne suis plus une adolescente.
— Non. Tu es une femme. Et tu es magnifique, Stella. Toujours aussi lumineuse. Une étoile dans la nuit, déclare-t-il d’un ton ferme, convainquant.
Mes pommettes me brûlent sous le compliment. Ce détail ne changera pas par contre. Elles me trahissent toujours, réagissent à chacune de mes réactions. Et c’est dans un rire complice que nous terminons enfin de boire nos chocolats chauds. Décidément, cette matinée est des plus surprenantes, un rappel du passé auquel je ne m’attendais pas. D’ailleurs, je n’ai pas le temps d’y réfléchir que nos deux compères reviennent nous tenir compagnie.
— On vous a entendu rire.
— Ouais. C’est étrange de vous voir ensemble. Comme ça, un dimanche.
— Surtout le jour des pancakes ! hurle Eliott en nous attrapant Ashley et moi par les épaules.
Je hausse les épaules, silencieuse. J’attends que l’information arrive au cerveau de Crève-cœur. Lançant tantôt un regard accusateur à Eliott, tantôt un sourire stressé à Cole. Et là où le premier semble confiant, le second penche la tête dans un sursaut de sourcils pour me signifier qu’il a hâte de connaître la réaction du centre de notre attention. D’ailleurs, Ash doit sentir nos regards peser sur lui, parce qu’il s’éloigne de moi avant de se lever, de faire un aller-retour tout en cachant ses doigts dans sa tignasse pour finir par se planter face à moi, les yeux pétillants d’espoir.
— Vous continuez notre rituel ? Ce n’était pas exceptionnel ? Je veux dire, vous faites vraiment ça tous les dimanches matin ? m’interroge-t-il en me désignant les restes de notre petit déjeuner qui trainent encore sur l’îlot.
J’essaie tant bien que mal de rester sérieuse, mais ne me retiens pas longtemps. D’autant plus que Cole et Eliott, eux, ne se privent pas d’éclater de rire. Des sons rauques puissants qui ont le don de provoquer la fureur d’Ash. Celui-ci croisant les bras sur sa poitrine, se croyant apparemment menaçant. Sauf qu’au de lieu de cela, il a l’allure d’un adolescent vexé. Et cette fois, c’est d’un gloussement léger que j’accompagne mes acolytes.
— Mais merde ! Vous vous foutez de ma gueule ! Sérieux…
Dépité, son cul vient se poser sur le dossier de notre canapé, sur lequel il attrape le calendrier de l’avent abandonné plus tôt. Oh non, il ne va pas s’y mettre. Hein ? Il ne va décemment pas faire ça ? Mais si ! Il ose, se moque totalement de notre hilarité pour entrer dans son délire sous les regards ahuris de mes colocataires qui se calment en un claquement de doigts.
— Ils sont méchants avec moi, Rodolf. Il n’y a que toi qui me comprend. Un véritable ami. Je vais te ramener à la maison avec moi, ne t’en fais pas.
— Sérieux, Crève-cœur ! Tu crois qu’il va te répondre ? Comment tu vas faire quand tu vas devoir lui défoncer la tronche en ouvrant vos foutues cases ? Tu vas pleurnicher comme hier soir quand Cass te trainait derrière elle ?
Cole et son sarcasme.
Magnifique…
— Désolée, annoncé-je reprenant mon sérieux. Pour en revenir à tes questions. Ce sont eux les coupables pour le rituel. Quand ils ont su que je connaissais la recette de… enfin de Malory, ils ne m’ont pas lâché jusqu’à ce que je cède.
— Ouais ! Et comment ! Imagine ce que serait nos weekends sans ce rendez-vous ? D’une tristesse. In. Fi. Nie.
El sépare toutes les syllabes pour qu’on soit conscient de l’importance de ce petit déjeuner. Une réunion d’après soirée, un réconfort après une rupture, une rigolade après une beuverie. En gros ce rituel, c’est ma lumière. L’étincelle qui m’a fait tenir, ouvrir les yeux sur mon avenir, et surtout remonter la pente dans les pires moments. Alors oui. Mama n’était plus là, Ash… avait déserté. Mais. Cole et Eliott étaient là parfois accompagnés par Léa. D’autres rythmés par le rire criard de Sandy. Et d’autres encore dynamisé par les anecdotes d’Audrey.
— J’en avais besoin.
— J’en aurais eu besoin aussi, avoue Ash en se raclant la gorge.
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