Fyctia
15. La chute 3/5
Je serre la mâchoire, ferme les poings jusqu’à en voir blanchir les jointures de mes doigts puis enfin, je me laisse couler dans ses pupilles de cristal. Je voulais juste… la réconforter et ? J’ai tout foiré en beauté. Joyeux bordel ! Une magnifique manière de commencer mon calendrier de l’avent. Un fichu calendrier dont je n’ai même pas validé la case tant j’ai été pris par les événements.
Mais ce n’est pas le moment. Surtout quand Stella parvient enfin à attacher les doigts de son frère qui serraient encore ma chemise. Et qu’elle glisse son corps entre nous pour mettre de la distance entre son protecteur et son… Quoi d’ailleurs ? Cauchemar ? Oui, ça me semble correct. Je veux parler, lui dire que personne ne la blessera, que… je ne sais pas, juste un mot, quelque chose sauf que son doigt qui pointe contre mon torse m’en dissuade.
— Ne dis rien. C’est mieux. Laisse-moi maintenant. S’il te plaît, Ashley. Ne complique pas tout. Pas ce soir. Je savais que ce n’était pas une bonne idée.
Quoi ?
— QUOI ? Non, mais tu te fous de moi ? Après ton baiser ? Ce baiser ? NOTRE putain de baiser ? Tu t’enfuis, et tu veux que je laisse tomber ? Que j’abandonne ? Tu me demandes de te donner de l’espace ? C’est ça que tu veux ? Alors que moi, je m’inquiète pour toi, que je me demande encore ce que signifie ce baiser, tu veux juste être seule ? Très bien ! Mais ne viens pas te plaindre quand j’aurais trouvé une autre fille à baiser ce soir !
Je hurle ma rage. Ne contrôle rien des mots qui s’échappent les uns à la suite des autres. Je ne veux plus qu’une chose : boire. Boire jusqu’à oublier cette douleur qui me brise le cœur. Boire jusqu’à endormir cette sensation d’abandon qu’elle a réveillé. Boire jusqu’à effacer la chaleur et le goût de ses lèvres sur les miennes. Boire pour anéantir cette image d’elle, de ses yeux emplis de larmes, et de sa main qui se tend dans un dernier espoir vers ma joue. Elle veut que je m’éloigne, alors je vais le faire. Je lui tourne le dos, amer.
*
CASSIE
— Ashley… Je…
Mais ma tentative est vaine, vouée à l’échec à l’instant même où son visage s’est crispé, métamorphosé en une grimace douloureuse. Parce qu’au-delà de la colère, j’ai vu au fond de son regard cette peur viscérale qui l’anime. L’abandon. La même que la mienne et pourtant, je ne parviens pas à me défaire du souvenir de sa mère. De ses mots qui m’ont fait tomber du piédestal sur lequel Ashley m’avait fait monter. Et notre baiser n’a fait qu’allumer un feu que les charbons ardents en moi attendaient pour s’enflammer à nouveau.
Mon cœur est en miette. Un amas d’étoiles qu’Ashley vient de percuter pour en recoller quelques morceaux et en détruire d’autres. Sauf qu’au fond… je n’arrive pas à lui en vouloir, je comprends sa colère. Après tout, je l’ai aperçu ce pincement de lèvres, cette manie qu’il a de se mordre le coin de cette bouche dont je ressens encore les sensations quand il s’inquiète pour les autres. Pour ceux qui comptent. Je compte ?
Je n’ai pas le temps d’y réfléchir plus longtemps surtout quand mon corps se retourne pour faire face à des paires d’yeux que j’avais presque oublié. D’abord Cole qui glisse ses mains dans ses poches, avant d’être amené plus loin par la douce Léa, non sans un murmure pour s’excuser. Puis, Eliott qui d’un hochement de tête entendu entraîne Sandy et Vince vers la descente en boîte avant de les y abandonner. Pour finalement me laisser seule avec Éric.
Un Éric bien loin du blagueur que j’ai appris à connaître ces derniers jours. Il fronce les sourcils, se frotte la nuque avant de me tendre un nouveau shot de vodka. Et j’en ai bien besoin, mais alors que je m’apprête à engloutir la boisson sans remords, je m’arrête et dépose le verre sur le comptoir. Non, je n’ai pas besoin de boire. L’alcool ne m’a jamais aidé à aller mieux et ce n’est pas en perdant ma lucidité que j’arriverais à profiter de cette soirée.
— Ça ira, merci, dis-je tout de même à Éric qui s’installe sur un tabouret.
J’ouvre la bouche prise d’une inquiétude soudaine pour Ash. Mais Éric écarte le siège à côté de lui et m’invite à y poser mes fesses avant d’interrompre toute tentative d’interrogatoire.
— Il est descendu. T’en fais pas, petite sirène, je garde un œil sur ton Crève-cœur. Toi, ça va ? Tu peux me dire pourquoi tu l’as fui tout à coup ?
— Jeanne.
— La vipère ! Putain, elle pourrit la vie jusqu’au bout, celle-là.
Le surnom que nous donnons à la mère de Crève-cœur surgit sur un ton ferme de la gorge d’Éric et j’en suis surprise. Alors comme ça, lui aussi l’appelle de ce joli nom ? Apparemment, nous ne sommes pas les seuls à avoir compris que cette femme est le mal incarné. En tout cas, elle a insinué assez de son venin pour bousiller la confiance que j’ai en moi et pour Ashley… Je n’en parle même pas.
— Plus sérieusement, Cassie, reprend le gaffeur en utilisant mon prénom ce qui me pousse à me tenir droite et à fixer mon regard sur le sien. Tu devrais lui laisser une chance.
— Tu crois ? Je ne sais pas. Avant peut-être. Mais aujourd’hui ?
— Non. Tu ne comprends pas. Enfin… Oui. Ses mots ont été durs, tranchants, mais ils sont aussi vifs que les sentiments qu’il a pour toi. Ce que je veux dire, merde je n’ai pas l’habitude de ce genre de conversation, c’est qu’il est encore attaché à toi. Laisse-lui juste le temps de te le montrer. OK ?
— Eh petite ! intervient le barman en s’approchant de notre duo.
Joe, de ce que j’ai compris, salue Éric en m’interpellant. Il nous sourit à pleines dents, rayonnant, comme s’il savait un élément que nous ignorons. D’ailleurs, Éric lève les mains en l’air en signe d’innocence tandis que Joe, lui, pointe du doigt un objet posé au bas des étagères fixées sur le mur dans son dos. Je fronce les sourcils, plisse les yeux pour enfin apercevoir ce qu’il nous indique. Et sans que je ne le veuille vraiment un sourire étire mes lèvres pendant qu’une chaleur réconfortante emplit ma poitrine.
— Le calendrier, murmuré-je.
— Ash m’a confié ce truc avant de descendre à l’étage du dessous. Par contre, il a aussi embarqué une bouteille de whisky avec lui. Vous feriez mieux de le suivre.
— Tu vois, c’est ce que je disais. Même en mode gros connard, il reste le Ash sensible que tu sembles avoir connu. Oh non non non, je te vois venir petite sirène. Ne me fais pas ce regard envoûtant ! Eh ! J’ai dit : non !
Merde ! Mais c’est quoi ce type qui arrive à lire les pensées de tout le monde ? Il est bien trop conscient que je m’apprête à lui demander de garder un œil sur Ash. Et il anticipe, fixant son masque sérieux sur son visage avant de croiser les bras sur sa poitrine. « Non, c’est non », se lit clairement dans son regard pourtant la minute qui suit, il se lève et d’un pincement chaleureux sur l’épaule, il abdique :
— Très bien, petite sirène. Mais tu m’en devras une.
Puis il s’éloigne, empruntant le chemin de la boîte de nuit. Passant des lumières vives du bar au couloir sombre qui mène aux entrailles du monstre.
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