Fyctia
15. La chute 2/5
Il le savait avant moi, je ne peux pas me contenter d’être spectateur, surtout quand il s’agit de Stella. Et même si je lui suis reconnaissant de s’inquiéter de mes actions sans réflexions, je suis prêt à en assumer les conséquences. Quitte à affronter la montagne de muscles que représentent Cole et Eliott. Parce que j’en suis certain, tous les deux ne vont pas s’écarter de mon chemin. Plus maintenant en tous cas.
D’un hochement de tête entendue adressée à Vince, j’avale une nouvelle gorgée de ma boisson. En fait, j’engloutis tout le contenu de mon verre, il va m’en falloir du courage. Et le pincement qui s’est installé dans ma poitrine quand j’ai pris conscience que Stella prenait la fuite n’est pas là pour m’aider. Au contraire, pour la première fois depuis longtemps, j’hésite, j’angoisse même. Mes mains sont moites, l’une tire sur mes cheveux, les ramène en arrière et c’est seulement quand elle retombe le long de mon buste que je me décide.
Les paumes claquant sur le dessus de la table, elles me donnent l’impulsion nécessaire à avancer. Sauter alors que j’étais au bord d’un précipice dont je ne vois pas le fond. Une, deux, trois enjambées et je relâche un soupir. J’ose à peine lever la tête, trop conscient des regards qui se braquent peu à peu sur moi. Mais le seul qui m’intéresse vraiment ne semble pas me prêter attention. Du moins, je ne ressens pas sa douce chaleur sur mon corps.
— Tu peux le faire. Elle était là pour toi. C’est toi qui lui as tourné le dos. Alors affronte-les, montre-leur que ce fichu jeu en vaut la chandelle.
Je marmonne, me répète des mantras d’encouragements pour éviter de me dégonfler. De passer pour un trouillard ou pour le pire des connards. D’ailleurs, ça ne m’étonnerait même pas que Cole penche pour la deuxième option. Surtout que lorsque j’assume enfin et redresse la tête en bombant le torse, il semble croiser les bras en affichant un air plus que menaçant. OK, il annonce la couleur. Pourtant, je ne me démonte pas, c’est mal me connaître. Il devrait le savoir.
Lui aussi m’a connu. Onze ans ne peuvent pas l’avoir fait oublier les journées piscine, ni les soirées au sous-sol auxquelles il avait accès grâce à ma relation avec sa tendre petite sœur. Il ne s’en était jamais plaint. Du moins… Pas jusqu’à ce qu’il débarque une semaine après ma déclaration à Stella et qu’il passe ses nerfs sur moi. Une raclée que j’avais d’ailleurs méritée. Croisant à nouveau son regard, plus foncé que celui de sa sœur, je me souviens des paroles qu’il m’avait crachées à la gueule.
« Tu te crois au-dessus de tout le monde. Toi, le fils à sa maman. D’ailleurs, tu aimes ça te cacher derrière les jupons de ta mère ? Non ? Ah ! Tu ignores tout, c’est ça ? Tu ne sais donc pas que ma chère petite sœur, ton ÉTOILE est venue chez toi le lendemain de ta fuite pitoyable ! Elle était persuadée que tu n’allais pas bien, que ça ne te ressemblait pas, que ça ne pouvait pas être ta propre décision. Et devine quoi ? Elle a été servie ! Mais il fallait s’y attendre, hein ? À ce que le putain de connard que tu es, n’assume pas, se planque et finisse par l’oublier pour la remplacer pour des potiches et de l’alcool ! Elle est belle la jeunesse dorée. Tu me dégoûtes ! Et crois-moi, si tu t’approches encore d’elle, tu te prendras mon poing dans ta gueule d’ange ! »
Sauf que… je n’ai pas su me taire. Pas alors que ma vie s’effondrait autour de moi. Et son coup est parti tout seul, avant que Vince ne l’écarte de moi et lui demande de partir. Chose qu’il a faite et qui m’a surpris au plus haut point. Alors… Non. Cette fois, je ne reculerai pas. Cette fois, je me suis donné une mission et je compte bien m’y tenir. D’ailleurs, mes pas n’ont pas ralenti. Et le sourire qui se dessine encore sur mes lèvres n’est que la preuve que Cole peut me menacer autant qu’il le souhaite.
Mais alors que je ne suis plus qu’à deux pas de leur petit groupe, le corps d’Éric s’interpose entre ma destination et moi. Et merde ! Il ne va pas s’y mettre ? Si ? Si ! Il amorce un mouvement, tente de crocheter mon bras avant d’abandonner quand j’esquive son geste. Non, mon gars, tu ne m’auras pas. En revanche, il ne semble pas vouloir baisser les bras pour autant. Non, au lieu de se pousser pour dégager le passage, il ouvre la bouche pour me sermonner :
— Ashounet… Fais-moi plaisir, ne rentre pas dans la fosse aux lions.
— Sérieux ? C’est tout ce que tu as trouvé ? Un ton mielleux et un surnom tout aussi dégoulinant ? m’offusqué-je en attrapant mon ami par sa chemise pour le forcer à se décaler.
— Quoi ? Tu n’aimes pas ton nouveau surnom ? Bon… Mais j’ai été pris de court aussi ! Comment veux-tu que je réagisse quand une blonde aux courbes pulpeuses me supplie à l’oreille de te retenir loin de son amie ?
— Merde, Éric. C’est pitoyable !
— Mais appétissant et tentateur à souhait. Bon courage mon vieux. La petite sirène est dans un sale état. Je n’aimerais pas être à ta place.
— Moi non plus à vrai dire, avoué-je en soufflant.
Moi non plus… Mais il le faut ! Le problème quand on décide de faire un pas en avant, c’est que parfois on se prend des murs. Des murs à l’apparence de doigts refermaient et crispés autour de mon col, suivi d’un coup qui vient frapper ma pommette gauche. Putain ! Ça fait un mal de chien ! Je n’ai pas le temps de répliquer que déjà je reçois un deuxième coup, cette fois dans l’abdomen. Plié en deux, j’expire. Merde…
— Je t’avais prévenu, pourtant ! hurle Cole en rattrapant le tissu de ma chemise pour m’aider à le regarder en face.
Non, non, non ! Rien de tout cela n’aurait dû arriver ! Je ne réplique pas, trop préoccupé par le bras tendu en arrière de Cole. Il s’apprête à me refoutre son poing dans le visage. Et mon seul réflex est celui de fermer les yeux. Si faut en passer par là, alors j’accepte. Surtout si ensuite je peux essayer de comprendre ce qui arrive à Cassie. Parce que… Merde ! Moi aussi, je ne pige que dalle !
— STOP ! Arrête ! Non !
— Calme-toi. Cole, reprends-toi. On ign…
— Je t’en prie ! Il n’y est pour rien… murmure Cassie surprenant tout le monde, et me faisant ouvrir les paupières pour me noyer dans un océan confus, perdu, mais décidé. Il n’y est pour rien. Rien du tout. Alors, lâche-le.
— Ah quand même ! Merci !
Et merde… je n’ai pas pu m’en empêcher. Saletés de travers provocateurs ! Les mauvaises habitudes ont la vie dure, surtout quand il est question de sentiments. De sentiments que je ne parviens pas à nommer et qui me bouleversent. Encore plus quand l’océan tranquille se transforme en orage de foudre. Tu aurais mieux fait de la fermer, Ash. À présent, l’attention de tous est sur moi. Passant d’une bouche ouverte en un « o » parfait, à une main qui vient cacher l’expression d’horreur afficher sur un autre visage.
— Je…
— Non, Ashley.
Mon prénom.
Bien sûr. C’est l’arme ultime. Le coup en traitre. Le coup de poignard en plein cœur. Là où ça fait mal. Et merde, ça me transperce, me hérisse les poils des pieds à la tête.
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