Fyctia
10. Réunion de crise 2/4
Vince m’arrache presque le bras tant il me tracte à sa suite. Dans une intention de le faire lâcher prise, je plante mes deux pieds dans le sol et nous finissons tous les trois par buter les uns dans les autres. Éric se cognant à mon dos et Vince se voyant attiré en arrière pour percuter mon torse. Nous offrons ainsi aux passants la vision d’une belle brochette d’andouilles. Des types en costumes, qui de l’extérieur, donnent l’impression de se câliner.
— Ash ! T’es sérieux ? grogne Vince en me foudroyant du regard sous le rire intense d’Éric.
Il n’a pas fini de glousser celui-là ? Qu’est-ce qu’il leur prend à la fin à mes complices ? Ils ont un rendez-vous urgent ? Non. Nous sommes tous-là. Trois hommes sur le trottoir en face du bâtiment de l’entreprise que l’un d’eux dirige. Respire, Ash, il y a forcément une explication. Oui, et elle a intérêt à être logique. Sinon, je ne donne pas cher de leur peau, et ils ne compteront pas sur moi pour les suivre au Loch Ness.
— Explique-nous ce qu’il t’arrive et peut-être qu’on te suivra avec tous nos membres intacts, dis-je en grinçant des dents.
— Rien de spécial. Juste Joe qui nous a préparé ton cocktail préféré.
— Mon cocktail ?
— Tu sais bien, ce truc écœurant dont tu raffoles, tente Vince en variant l’intensité de sa voix.
— Oh non, beurk ! hurle Éric derrière nous.
Ma boisson ? Vraiment ? Mais pourquoi Joe aurait pris la peine de me préparer une vodka Sunrise ? Bizarre, j’ai l’impression que Vince me cache une information, pourtant je laisse couler et lui emboîte finalement le pas. Mon loft étant à deux rues de l’entreprise, je suis à pieds. Vince et Éric vont devoir jouer les chauffeurs. Notre Gaffeur en chef a dû faire le même cheminement que moi, parce qu’il se tourne vers Vince et lui tend ses clefs.
Le grand brun fronce les sourcils, soupire et accepte le lourd fardeau d’être notre chaperon ce soir. Et j’aimerais bien qu’on se bouge plutôt que de rester au milieu de la rue, éclairés par ses satanés décorations lumineuses que la ville s’acharne à accrocher chaque année. Ici et là des flocons qui clignotent, plus loin des plantes parées de boules scintillantes pendues aux lampadaires. Et encore plus au nord, des hauts parleurs qui crachent de vieilles ritournelles de Noël.
Un cauchemar.
Un grognement m’échappe alors qu’au coin de la rue j’aperçois un homme portant le déguisement rouge et blanc, criant à qui veut l’entendre le célèbre : oh oh oh ! Mes complices comprenant mon désarroi attirent mon attention et m’attrapent par les bras pour me tirer à leur suite. Pas moins d’un quart d’heure plus tard nous poussons les portes du bar de Joe. Le barman est accoudé à son comptoir examinant d’un sourire suspect le cercle de clients installé près du gros sapin qu’il a mis en place sur la scénette à sa gauche.
D’un signe du menton, il capte mon regard et m’indique la table qu’il espionne. Dans un froncement de sourcils, je suis son indication, mon souffle se coupe quand je devine l’identité de la personne qui nous tourne le dos. Assise-là entourée de son frère, que je reconnais maintenant, de son meilleur ami et d’une des trois jeunes femmes qui l’accompagnaient lundi : Cassie. Merde ! C’est censé être notre repère, qu’est-ce qu’elle fout ici ?
Sans m’en rendre compte, je me suis figé. Un frisson remonte le long de ma colonne vertébrale alors que la chaleur de la salle est pesante. Des senteurs de menthe et d’alcool se mélangent et emplissent mes navires quand je renifle. J’essaie tant bien que mal de détacher mes prunelles de son dos, de ses boucles brunes dans lesquelles j’ai envie de plonger mes doigts. Les serrant pour sentir leur douceur. Puis dans un geste, attirer le visage clair de Cassie et emprisonner ses lèvres avec les miennes.
— Merde, ne puis-je m’empêcher de souffler.
— Oh, la petite sirène est là ! hurle Éric en me poussant pour entrer à son tour.
Mais quel idiot ! Il fonce droit vers sa table pendant que Vince tape mon dos pour me sortir de ma torpeur. A nous deux, nous rejoignons le comptoir pour saluer notre ami le barman. Joe ne nous remarque pas tout de suite trop choqué par l’habilité d’Éric à s’incruster dans la conversation des gens. Moi ? Voir agir mon complice de cette façon si ouvert et amical, m’horripile. Je crois même qu’une pointe de jalousie s’invite en moi quand Éric claque une bise bruyante sur la joue de Cassie.
C’est MON étoile ! Non, Ash… C’était.
— Vous avez de la concurrence, amorce Joe en tournant son corps vers nous. La petite et ses amis sont là depuis un petit moment maintenant. Je crois qu’ils sont en pleine réunion de crise. La grande blonde a déjà sauté deux fois de sa chaise avant d’arriver à tirer un rire à la petite brunette. D’ailleurs… tiens.
Joe sort un verre de derrière le bar et le pose sur le comptoir face à moi. D’abord, je reste pantois. Puis très vite, je comprends que c’est le cocktail dont Vince parlait toute à l’heure. Une vodka Sunrise dans un verre rond. Jusque-là, il n’y a rien d’exceptionnel. Mais il ne s’arrête pas à ce simple don. Non ! Mais je rêve !
— C’est quoi ça ? râlé-je en pointant du doigt l’objet que Joe vient de planter dans ma boisson.
— Elle savait que tu dirais ça… Elle m’a aussi demandé de te passer un message. Attends, je l’ai posé là-bas.
Elle ? Je fronce les sourcils, perplexe. Passe une main dans mes cheveux pour les tirer en arrière, tout en observant d’un œil mauvais le sapin de papier planté sur une pique que le barman a jeté dans ma boisson. Un arbre vert bouteille, dont la moitié est ceinturée d’un nœud doré. Oh ! Mais non ! Elle n’a pas osé ? Elle irait me provoquer même en-dehors du travail ? Remarquant mes bras se croiser, Éric nous rejoint et glousse en tombant le nez sur mon verre.
Mais le pire reste à venir. Surtout quand Joe, qui apparemment à trouver un papier avec l’écriture fluide d’une femme, se pointe droit devant nous et énonce d’une voix claire :
— Il n’y a que du liquide dans lequel se noyer sous le sapin.
— Oh putain ! craché-je les mâchoires crispées.
— La petite sirène a encore frappé ! hurle Éric en tapant dans ses mains.
— Désolé, mec, conclut Vince en tapotant sa main sur mon épaule.
Le message est clair, Stella est en colère. Pourtant cette provocation sonne comme le début d’une nouvelle manche. Et ce ne sont pas mes amis qui diront le contraire. En effet, mes trois compères sont morts de rire. Rires qui sont d’ailleurs très vite rejoint par ceux de la table de Cassie. Ok, je suis le dindon de la farce et c’est loin de me plaire.
D’un geste rageur, j’attrape la décoration de papier, la chiffonne entre mes doigts et la balance avec négligence sur le torse de Joe. Celui-ci s’arrête de glousser et pose sur moi un regard gêné. Il hausse les épaules et d’un air navré penche la tête. Excuses acceptées, après tout il ne fait que son boulot. Par contre quand mes émeraudes capturent l’océan de Stella, j’y lis un sentiment auquel je ne m’attendais pas…
Elle est triste ?
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