Fyctia
9. Sous le sapin 1/4
Jeudi 29 novembre — ASHLEY
Mes réflexions me perdent, m’attirent loin de la réalité pour me plonger dans mes tourments perpétuels. Et si ? Et si Malory était encore dans ma vie que me conseillerait-elle ? Surement de me rattraper. « Cassie est ta lumière. Là où toi, tu es ténèbres, elle sera l’étoile qui te guidera vers l’autre côté. Ta Stella comme tu aimes à l’appeler. » Ces phrases, elle me les répétait sans cesse, jusqu’à ce que ma mère détruise tout. Elle, ma nounou, celle que j’aurais aimé pouvoir appeler
« maman » et mon père, cet homme que j’admirais.
Mais au fond, n’est-ce pas tout ce dont j’ai droit ?
Un monde sans connaître l’amour.
Un monde où j’ai perdu celui d’un père.
Un monde où celui d’une mère n’est jamais né.
Un monde où j’ai détruit le seul auquel j’avais droit.
Un monde où même le plus sincère et ternie par cette amertume que j’y ai fait naître.
Au fond, je le sais, Cassie est comme moi : brisée.
La confusion, c’est ce que je lis dans le regard de Stella quand enfin elle prend conscience de ses paroles. Moi ? Je tourne en rond, furieux. Les cents pas, je les dépasse sans mal. D’ailleurs, mes allers-retours semblent perturber la brunette qui dans un soupir se redresse et lisse sa jupe. Un toc qu’elle a encore à cause d’un épisode avec un volant coincé dans sa culotte à l’époque du lycée. A cette pensée, mes mouvements s’arrêtent, mon esprit s’amuse à m’envoyer des flashs de cette période, de ce moment.
Merde ! Pourquoi un souvenir d’elle suffit-il à me calmer ?
— Ashley ? Je… enfin, tu sais, ce n’est pas ce que je voulais dire. Mais… tu vois. Tu…
— Je sais. Ça fait onze ans. Pourtant j’ai parfois l’impression…
— Que c’était hier, conclut-elle en penchant la tête sur le côté pour croiser mon regard.
— Ouais… Le jour, le plus horrible de ma vie. Mon enfer sur terre.
Mes paroles m’ont échappé, comme quand nous étions adolescents et qu’il lui suffisait que ses yeux se posent sur moi pour que je lui raconte tout, que je lui dévoile mes moindres faiblesses. Et apparemment, elle a toujours ce pouvoir. Merde Ash ! Je le sais, je ne suis plus le jeune homme qu’elle a rencontré, loin de là. Je suis d’ailleurs devenu tout ce qu’elle déteste. Un pauvre gars, un coureur de jupons qui adore tremper sa queue dans l’intimité humide des femmes qui écartent les cuisses pour lui.
Pourtant à cet instant, à cette idée, mes sourcils se froncent et cette pensée me dégoute. Je me hais d’avoir ce besoin impérieux de prouver aux femmes que mon apparence est le reflet de ce que je suis. Que cet homme tout en muscles ne leur appartient pas, qu’il prend ce qu’il désire avant de s’échapper de leurs draps encore puants de l'odeur de leurs ébats. Je hais cette image derrière laquelle je me planque comme un putain de trouillard. Un fils à sa maman qui suit les ordres.
« Rappelle-toi, mon fils, de qui a le pouvoir dans cette famille. Cette fille, cette roturière que tu aimais tant, souviens-toi que j’ai brisé son avenir pour te faire revenir sur le droit chemin. Alors baise autant de femmes que tu le veux mais ne t’attends pas à être aimé. Elles n’en veulent et n’en voudront toujours qu’à ton argent. Toi, tu peux les prendre et les jeter, elles n’en sauront que ravies. Les sentiments sont une faiblesse, alors joues mais ne t’attache pas, jamais. Sinon je n’hésiterai pas à agir. Détruire pour mieux régner, Ashley. Il n’y que ça qui fonctionne dans notre monde. »
Un pantin, voilà ce que je suis.
— Ashley ? Si tu as fini de rêvasser, je vais pouvoir retourner à mon travail, ronchonne Stella en posant son index sur le bout de mon nez.
Au moins, elle n’a pas utilisé sa langue. Bien que… je n’aurais pas dit non à la capturer et à la sentir danser autour de la mienne. Un frisson de désir s’empare de moi quand je la scrute de haut en bas. Cette robe, c’est une folie ! Elle me nargue tout en poussant mes nerfs à rudes épreuves. Décidément, cette fille me mène par le bout du nez et c’est le cas de le dire quand Cassie amorce une nouvelle révérence.
Mais qu’a-t-elle avec ça ? Et merde ! C’est quoi ça encore ? Un deuxième nœud, que j'avais presque oublié, est niché dans ses cheveux et je l’observe en fronçant les sourcils quand elle me tourne le dos pour s’asseoir à son fauteuil. Le téléphone l’appelant encore et encore. Éric, Vince… Maintenant la foutue sonnerie de ce combiné, il n’y en a pas un seul qui va me laisser l’occasion de découvrir ce que Stella fait ici, dans mon entreprise, au poste d’assistante.
Je croyais qu’elle avait décroché une place dans l’une des plus prestigieuses écoles des arts alors pourquoi se retrouve-t-elle ici ? En fait, je connais déjà la réponse et un poids s’abat sur mes épaules quand je plonge mon regard sur la silhouette de Stella. Elle n’est jamais entrée dans cette école… Ma vipère de mère s’en est occupée. Je grogne face à l’air concentré de Cassie, elle est perdue dans sa conversation téléphonique alors que moi, je suis telle une statue, droit, de marbre.
Elle a gâché son avenir…
Comme elle m’a torturé tout au long de mon enfance. Cette femme est le mal incarné avec un sens de l’humour de haut vol. Sinon, comment je pourrais expliquer mon prénom, et les albums de ma naissance à mes deux ans où elle s’amusait à me vêtir de rose, de tutu et de barrettes. Des photos que je me suis empressé de brûler quand j’ai enfin mis la main dessus. Une horreur sans nom que personne, je l’espère, n’a vu. D’ailleurs, ni Vince ni Éric ne sont au courant de l’ancienne existence de ces clichés.
Le front plissé, j’analyse les détails de la tenue que Cassie s’est donné la peine de porter aujourd’hui. Et j’hésite entre m’énerver à nouveau ou succomber à ces images salaces qui s’invitent dans ma tête, faisant ainsi fuir les réminiscences du passé. Une main dans les cheveux, je les tire en arrière. Mon geste s’arrête quand l’océan limpide de Stella se pose sur moi. Un sourire malicieux nait sur son visage, illuminant les nuances de gris de ses pupilles.
— Quoi ? Je ne suis pas un joli cadeau ? me dit-elle innocente.
Elle est sérieuse ? Elle croit que je vais tomber dans son jeu ? Non, parce que si elle le veut, je peux aussi entrer dans la danse. Mais sous une toute autre cadence. Avec une mélodie bien plus torride que ce à quoi elle s’attend. Dans une inclinaison de tête, elle m’examine, impatiente d’entendre ma réponse. Crois-moi, Stella, tu ne seras pas déçue du voyage. Je me racle la gorge pour me donner de l’aplomb et bombe le torse pour lui paraître plus fier avant d’ouvrir la bouche.
— Je me demande surtout ce qui se cache sous le sapin, Stella, rétorqué-je un rictus carnassier fixé sur les lèvres.
10 commentaires
Fanfan Dekdes
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Il y a 4 ans
Sandra MALMERA
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Il y a 4 ans