Fyctia
9. Sous le sapin 2/4
Sauf que la réaction que j’attends n’est pas celle à laquelle j’ai droit. Bien au contraire ! Elle se lève, ça devient une habitude, avance d’un pas décidé vers moi, se plante les mains sur ses hanches face à moi et… Je sens déjà la vague de tonnerre gronder. Elle vibre, son corps tremble sous le coup de la colère. Et alors que je tente d’amorcer une phrase pour la calmer, elle hurle à pleins poumons :
— Ne. M’appelle. Pas. Comme. Ça ! Plus jamais ! Maintenant, Crève-Cœur lâche-moi et va bosser. Tu montres le mauvais exemple à tes employés.
— Comment tu m’as appelé ?
— Un problème, Crève-cœur ? Tu n’aimes donc pas ton surnom ? Pourtant moi, je trouve qu’il te va à ravir.
Cette fois, je n’ai plus envie de jouer. Mes poings se serrent et je me racle la gorge sous le choc de sa provocation. Ces yeux ne sont plus joyeux mais plutôt orageux. Elle ne sourit plus, et la lumière qui éclaire habituellement son visage a disparue. J’en viens même à me demander si cette aura de feu que je perçois autour d’elle est réelle ou si c’est juste le fruit de mon imagination. L’image d’une femme qui a eu le cœur brisé. Piétiné et éparpillé sur le sol, comme s’il ne valait rien.
Et ce cœur, c’est moi, qui l’ai réduit en miettes.
Mais de là à me surnommer : Crève-Cœur ! Non, c’est une blague… Mes poings s’ouvrent et se ferment plusieurs fois tandis que Cassie m’examine la tête penchée sur le côté. Merde ! En plus de la colère, il y a un vide au fond de ma poitrine, un point de compression qui me renvoie à l'image de cette adolescente de dix-sept ans à qui j’ai tourné le dos. Comme un vulgaire lâche, une saleté de gosse meurtri par la disparition de son père, blessé par le départ de sa nounou et piégé entre les griffes de cette femme qui lui sert de mère.
Foutus souvenirs ! Foutus déchirements ! Foutu vide !
Des ténèbres. Un orage auquel je n’arrive toujours pas à échapper et dans lequel Cassie m’enfonce sans le savoir. Et au fond… je le mérite. Pourtant alors que mes ongles s’enfoncent un peu plus dans mes paumes, je ne parviens pas à quitter l’océan ombragé de la jeune femme qu'elle est devenue. Sa présence bouleverse mes pensées, déchaine les retours en arrière et réussit à créer des vibrations dans tout mon corps. Des sentiments que j’avais jusque-là enfermés à double tours.
Et alors que je suis sur le point d’exploser sous l’intensité de sa rage, elle soupire et ses épaules s’affaissent. Elle penche la tête sur le côté, un demi-sourire étire ses lèvres charnues et dans un clignement de paupières, elle éclate de rire. Quoi encore ? Son dos s’enfonce dans le dossier de son fauteuil et sans que je ne comprenne comment, le son rauque d’un gloussement m’échappe. Des spasmes m’envahissent.
Mon corps tremble tant je suis pris au dépourvu par ce revirement d’ambiance. Cassie se penche en avant, les mains sur son ventre. Nous sommes dingues ! De vrais fous qui se retrouvent après onze ans de séparation. Mais bien vite, trop d’ailleurs, Stella reprend son sérieux. Elle me lance un dernier coup d’œil, histoire de savoir si je reprends à mon tour du poil de la bête et pour toute réponse, je ne peux m’empêcher d’ouvrir la bouche. Juste pour lui annoncer la couleur de ce qui l’attend dans les prochains jours.
— Ok. C’est bien trouvé. Mais si tu m’appelles Crève-Cœur, alors j’ai le droit de t’appeler, Stella. Et puis… il faudrait vraiment que tu arrêtes de t’habiller comme un satané sapin de Noël.
— Pourquoi ? demande-t-elle sans faire de remarque sur nos surnoms.
— Parce que. J’ai une furieuse envie de découvrir ce qui se cache sous le sapin. Je te l’ai déjà dit, il me semble.
— Oh…
Quoi ? C’est tout ? Juste : oh… Mais ça ne signifie rien ça ! Cette femme alors ! Elle m’aura tout fait. Et d’ailleurs pourquoi cette situation m’amuse-t-elle tellement ? Je ne suis plus l’adolescent que j’étais quand elle est entrée dans ma vie. Non, tu es pire. Cependant, mon cœur se rappelle à moi, tambourinant dans ma poitrine comme s’il voulait sauter dans la sienne et réparer les dégâts que j’ai causé.
Foutue conscience !
Mais… ne serait-ce pas une couleur rosée qui prolifère sur les jolies pommettes de la belle étoile? Si ! Alors, serait-ce le signe qu’elle n’est pas si en colère que ça ? Pourrait-elle pardonner un pauvre type comme moi ? Ou le passé aurait-il trop d’impact sur notre présent ? Putain Ash ! C’est la pire des périodes pour toi, et on dirait que le monde entier est contre toi. Le destin est vraiment un farceur quand il s’y met.
— Je dois répondre. On a fini ? m’interroge Cassie hésitant à décrocher le combiné qui hurle.
Non ! Oh non Stella, on est loin d’en avoir fini. Sauf que pour le moment, mon calendrier n’a pas encore commencé. Mais Vince avait raison, elle est parfaite pour cette année. Un véritable défi, un cadeau auquel je ne m’attendais pas. Un précieux trésor que j’ai hâte de redécouvrir quitte à la perdre pour toujours, je préfère tenter le tout pour le tout.
Alors oui.
Le calendrier de l’Avent de cette année va être l’un de mes plus gros défis.
Le compte à rebours démarre dans moins d'un jour.
A partir de samedi, j’aurais vingt-quatre jours.
Alors sans plus y réfléchir, j’acquiesce pour toute réponse à Cassie. Et même si une lueur de complot que je lui connaissais illumine son regard, je l’abandonne pour entrée dans mon piège de cristal. Les quelques pas qui me séparent de mon bureau me sont utiles. J’attrape le téléphone planqué dans ma poche et tape de simples mots. Des mots que seuls mes deux complices vont comprendre.
D’ailleurs leurs réponses fusent instantanément.
- ***
- Complices
- ***
Vince n’a pas tort. Mais la question n’est pas là pour le moment. Quant à Éric… j’ai complétement oublié de lui dire que Cassie est Stella. Je crois que j’ai encore du mal à l’assimiler pourtant mon corps l’avait deviné avant mon cœur et ma tête. Satané tête à la mémoire trouée qui n’a même pas su reconnaître son premier… Amour ? Oui ! C’est ce qu’elle est, sinon pourquoi j’aurais gravé ses mots sur ma poitrine ? Ma main vient d’ailleurs frotter les contours noirs de ce dessin que je cache près de mon cœur depuis dix ans maintenant.
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