Fyctia
8. Un cadeau 3/4
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ASHLEY
Elle est sérieuse ! Elle hurle sur moi sans prendre en compte le reste de ses collègues. Elle a carrément crié, m’a donné des ordres. Tout ça pourquoi ? Bon d’accord, je lui ai presque arraché le bras en la sortant de l’ascenseur. Mais merde ! Elle était entourée de Vince et d’Éric et j’ai eu le sentiment de la perdre. Encore. Idiot ! Elle ne m’appartient pas pourtant, depuis hier soir mes idées sont en vrac, dans le flou total.
Elles ont carrément explosé en plein vol. Ou en pleine figure comme on préfère. En tout cas, notre rendez-vous au Loch Ness avec mes acolytes le soir même, c’est terminé sur un fiasco cuisant. Entre Anna qui nous a collé avec son serre tête à cornes de rennes qui m’a ramené au pull de l’horreur de Cassie et les réflexions perverses d’Éric, j’ai passé un sale quart d’heure. Le gaffeur en chef rajoutant une couche chaque fois qu’Anna a tenté de poser son cul sur mes genoux.
Je ronronne en fonçant dans mon bureau, le papier portant l’écriture de Cassie en main. Cette femme aura ma peau. Elle souffle le chaud et le froid du jour au lendemain, tout en me rejetant avec colère et tristesse. Oui, je l’ai aperçu ce nuage gris dans ses yeux d’ordinaire si cristallin. Merde ! J’en suis le seul fautif. Trainant les pieds, je rejoins mon espace de travail et m’assoie tout en glissant mes doigts dans mes cheveux sur lesquels je tire.
A force de répéter ce geste, je vais vraiment finir par avoir des migraines tous les jours. Misère… Mon cœur non plus ne va pas supporter ce petit jeu longtemps, pas quand une étoile filante vient de le percuter de plein fouet, le transperçant de part en part. Arrachant dans un geste machinal, une peau de sur mes lèvres, je redresse ma tête vers mes deux complices qui sont silencieux. Un supplice pour Éric qui profite de mon mouvement pour ouvrir la bouche :
— Heureusement que la petite sirène n’a pas volé son trident à son père, ricane-t-il en s’installant face à moi. Elle te l’aurait planté dans le corps que je n’en serais pas surpris. C’est électrique entre vous.
— Et encore, tu n’as pas tout vu ! Tu les aurais connus quand ils étaient adolescents, tu n’aurais pas reconnu notre coureur de jupons.
Merci pour ton intervention, Vince. Mais… Attends ? Il se fou de moi, là ! Non, mais je rêve ! Il savait ce petit con. Et il ne m’a rien dit ? Il va me le payer. Lui qui me disait tout en poésie de ne marquer que son prénom à ELLE dans mon calendrier… C’est une blague ? Une vulgaire blague, un coup monté ! Cassie est dans le coup ? Je fronce les sourcils, sens le pli furieux de mon front se former sous mon émotion. Éric arrête de bavarder quand il le remarque et attire Vince vers lui en tirant sur le tissu de sa chemise.
Tu es dans la merde, mon vieux ! Je ne vais pas lâcher le morceau tant que je ne saurais pas ce qui est passé par la tête de mon meilleur ami. Merde ! Il est au courant pourtant, il connait notre histoire mieux que personne. Il nous a vu tous les deux à cette époque-là, il a été le témoin de notre ultime échange, il a été celui qui m’a sorti de ma phase d’alcool intensif avant de rester à mes côtés dans mon ultime passage à vide. Cet état dans lequel je suis depuis cinq ans maintenant…
Non… Pas seulement. En vérité, ça fait ONZE ANS ! Mon cœur est resté avec LUI, ma nounou et le dernier morceau s’est décroché pour se décomposer aux pieds de cette fille que j’ai détruite dans ma fureur, dans ma… tristesse intense. Ce vide qui est d’ailleurs toujours présent aujourd’hui ! Et qui depuis quatre jours semble se remplir. C’est infime, invisible presque mais… quand j’ai compris qui Cassie est, une étincelle s’est ravivée.
— Tu savais ? demandé-je enfin à Vince alors que le silence entre nous devient pesant.
— Oui. Mec… Il n’y a que toi pour ne pas la reconnaitre alors qu’elle est gravée sur ta peau et dans ta mémoire depuis tout ce temps. Sérieux, j’ai cru que la lumière n’allait jamais s’allumer là-haut, me répond Vince en pointant mon crâne de son doigt.
— Attendez, attendez. Je suis paumé. J’ai le droit à une explication ? Non, parce qu’entre l’échange de Vince et Cassie, et maintenant le vôtre… Je ne pige rien. Que dalle ! Nada ! Qu’est-ce qu’il se passe ?
Merde, Éric ! Il n'en rate jamais une celui-là. Et dans un sens, je le comprends. Le pauvre, il est arrivé dans ma vie à sa période la plus noire. Nous rencontrant, Vince et moi, durant nos années de licence. Il a joyeusement égayé notre duo, le transformant sans mal en trio. Et je ne l'en remercierai jamais assez. Mais là… Ce n'est pas le moment. D'ailleurs son intervention m'énerve plus qu'autre chose. Et quoi ? Il a besoin de moi pour lui faire un dessin ? Alors non. Il ne se passe…
— RIEN !
— Rien, qu’il dit ! ricanent en cœur mes amis.
Oh bordel… Je suis vraiment foutu avec ces deux-là, et ce n’est pas le regard clair de Cassie qui va m’aider. Surtout qu’elle semble me hurler de réagir à son gribouillis que je tiens encore dans ma main. Je le lis et d’un hochement de tête, je lui signifie que c’est bon pour moi. L’arrivée de monsieur Fabre tombe à point nommé, je vais pouvoir ainsi me débarrasser d’au moins un de mes amis. Bien que je ne sois pas convaincu que ce soit la meilleure solution.
Notre cher Éric a encore le temps de débiter deux-trois conneries auxquelles je ne porte plus attention. Non, mon regard est braqué sur elle, alors que son corps se tend. Je détaille sans mal sa silhouette, me souviens à présent à quel point sa peau était douce sous mes mains d’adolescents amoureux. Aujourd’hui, je crache sur l’amour. D’ailleurs, qu’est-il ? Le seul que j’ai connu ne ressemble qu’à des déchirements, un jeu d’échec géant dont je suis la pièce à abattre.
Je souffle surprenant le geste nerveux de Cassie. Elle a encore cette habitude alors ? Celle d’enrouler une mèche de ses cheveux autour de son doigt et de répéter le mouvement à de multiples reprises avant de se mordre la lèvre et de se reprendre. Puis, alors que je crois capter ses prunelles vers moi, elle retourne aux dossiers que je lui ai confier. Merde… A quoi elle joue ? Et c’est quoi ce ruban ?
Mes sourcils se froncent et ma voix rauque dépasse ma bouche avant que j’en sois conscient :
— C’est quoi son but au juste ? Elle ne me laisse pas un jour de répit. Non, c’est trop demandé. Elle a un fichu ruban dans les cheveux ! Un nœud digne des poupées en porcelaine ! Et c’est quoi cette robe ? Du vert sapin, vraiment ? Elle me cherche, ma parole. Ce n’est pas parce qu’elle les porte sur elle que je ne vois pas ses allusions à ce con de Noël ! Elle va m’entendre ! grommelé-je pendant que mes amis tournent leur visage vers le sujet de ma colère.
— Avoue qu’elle est douée, la petite sirène. Elle navigue comme une cheffe entre les dossiers, s’installe sans mal à son poste, organise ton planning à merveille et tout ça, en te menant par le bout du nez… ou de la queue ? Elle frétille ?
Il est sérieux ? Merde, Éric !
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