Fyctia
6. Une étincelle 3/4
— Je ne vais pas disparaître. Je te l’ai dit. Je serais ton étoile dans la nuit.
— Ma Stella…
Sa bonne humeur est contagieuse. Et sans plus réfléchir, j’attrape le feutre noir. Avant d’attaquer mon œuvre sur sa peau, je pense au meilleur endroit. A celui qui serait parfait pour accueillir le dessin qui se trace déjà dans ma tête. Son épaule douce et fragile, sa cuisse ferme et tendre ou… Son poignet. L’intérieur de son poignet gauche, celui qui suit le chemin du cœur. Ma main libre s’empare des doigts de Stella et les caresse de leur extrémité jusqu’à sa paume.
Mon exploration se termine à l’instant où sa main s’ouvre vers le ciel.
— Ici, lui indiqué-je en pointant mon index vers le creux, cet interstice entre son avant-bras et sa paume. C’est l’endroit parfait.
Sa respiration se bloque alors que la mienne se calme. Je me concentre sur ma tâche. D’abord, je ferme les yeux pour visualiser le tracé du motif qui va venir habiller sa peau halée. Puis je souffle, frotte délicatement son épiderme. Geste qui provoque chez elle, un frisson. Elle s’électrice sous mon passage. Se tend pour mieux apprécier les mouvements du stylo qui s’actionne à présent sans trembler.
De traits fins à épais, la forme d’une première étoile s’encre sur sa peau. Un filament s’en échappe, puis deux et trois. Ils s’entrecroisent, s’emmêlent et terminent leur course sous la forme d’un mot : Stella. Mais ce n’est pas fini. Pour rendre le dessin plus harmonieux, je m’amuse à ajouter des étoiles ici et là, des lignes filantes d’une à l’autre. Le tout gravant ainsi le motif d’une étoile filante brillante et lumineuse. Une Stella dont l’étincelle se propage éloignant les ombres.
— Le noir n’est plus si sombre que ça quand il représente la lumière.
— Oh, Ashley… Maintenant, tu peux m’embrasser, m’annonce-t-elle avec émotion. »
Notre premier baiser.
Un passé lointain qui s’amuse à me hanter.
— Ashley ?
— Pourquoi ce tatouage ? interrogé-je la jeune femme en face de moi.
— C’est un souvenir.
Un souvenir.
Alors pourquoi se précipite-t-elle pour le cacher ? Pourquoi cette tristesse qui voile son regard ? Le même que j’ai aperçu ce matin sur son visage. Arrête de réfléchir, Ash ! La fille de ton passé n’est pas devant toi. C’est une simple coïncidence. Un hasard ! Et puis, je n’aperçois même plus le dessin. D’ailleurs qu’en ai-je vu ? Des branches, des courbes, une étoile ? Et ? C’est tout… Rien de plus. Mon cerveau a fait le reste.
Je grogne, marmonne, recule et me précipite pour m’enfermer dans mon bureau.
Cette journée est étrange. Pire que la veille, elle provoque des réactions que j’avais oublié. Des sensations que je ne suis pas sûr d’être capable de supporter. Mais merde ! Cette femme, je le sais, a eu le souffle coupé quand j’ai parlé du tatouage. Et son appel… Mon prénom prononçait en entier, entre ses lèvres, ne m’ont pas provoqué le dégoût habituel. C’était plus comme… un écho.
Une étincelle.
Réconfortante.
*
CASSIE
Je le savais ! Ce fichu pull était une mauvaise idée. Non seulement, j’ai eu chaud à cause du chauffage poussé à fond dans cette entreprise de malheur. Mais en plus, il a fallu qu’Ash voit une partie du dessin qui est encré sur ma peau. Bravo Cassie ! Merveilleuse idée que de graver la marque de son premier amour sur son poignet ! Magnifique ! Et encore, je ne me suis pas amusée à me tatouer son prénom.
Impossible !
Je n’imagine même pas sa réaction s’il avait pu observer de sublimes lettres calligraphiées sur mon épiderme. Des courbes qui ensemble aurait formé : ASHLEY. Le cauchemar ! Après le moment de flottement devant mon bureau Crève-Cœur s’est échappé et enfermé pour le reste de la journée. Ne répondant qu’aux appels que je lui transférais. L’ambiance de folie ! Mais je suis heureuse de constater que dix-huit heures sonnent la fin de cette journée.
Interminable…
Malgré moi, mon regard file vers la paroi vitrée qui me sépare de celui qui met mes nerfs à rude épreuve. Le nez penchait sur son écran, il ne me remarque pas. Mais je constate sans mal qu’il est tendu. Sa main immanquablement dans ses cheveux et sa lèvre inférieure mordillée comme si un dilemme interne le torturait. Il me donne presque envie de me précipiter dans cet espace qui est le sien pour le secouer.
— Ne cède pas, Cassie. Tu en connais déjà le résultat. Ton cœur en miettes en est la preuve.
— La petite sirène entend des voix ?
— BORDEL !
Je hurle en jetant le stylo que j’avais dans ma main. Mon cri attire l’attention d’Ash et à près celui de tout l’étage, j’en suis sûre. Mais c’est quoi ce type qui débarque de nulle part ? Il est furtif cet Éric ! Et qu’est-ce qu’il a avec ce surnom pourri ? Et puis merde. Je laisse tomber, je vais devoir faire avec si j’en crois la danse que joue les sourcils de cet homme. Son air espiègle accentuant l’effet de ses grimaces.
— Alors la sirène, qui t’a brisé le cœur ? Si tu as besoin de réconfort mes bras musclés se feront une joie de t’accueillir.
Du coin de l’œil, j’observe un instant Ashley avant de reporter mon visage sur Éric. Fini les grimaces et place au visage sérieux. Ses traits sont fixés sur moi, m’analysent comme s’il lisait à travers moi, mes gestes et cherchait le moindre indice qui pourrait me trahir. Et mon corps se traitre se réchauffe, mes pommettes rougissent et un gloussement gêné s’échappe de ma gorge. OK, pour la discrétion, je repasserais.
D’un claquement de doigts au bout de mon nez, le comptable attire mon attention. C’est officiel, je suis dans le pétrin. Ah moins que… je rêve où il vient de me faire un clin d’œil ? Et maintenant, il part vers le bureau de Crève-Cœur avec pour compagnon un rire sincère. Je dois comprendre qu’il est de mon côté ? Et quoi ? Ce type est vraiment bizarre. Dire que je pensais qu’Eliott était le seul tordu des environs.
Mon appréhension vis-à-vis de ce cher Éric évanouis, j’arrache mon écharpe du dossier de mon fauteuil et l’entoure autour de mon cou. Le tissu est doux et moelleux. L’odeur de vanille qui flotte entre les plis, sous lesquels je cache le bas de mon visage, me rappelle les effluves des gâteaux de Noël cuisinaient par ma mère. Je frissonne déjà du froid extérieur alors que j’avance vers l’ascenseur. D’abord lui, puis la double porte au rez-de-chaussée.
Et enfin…
— CASSIS ! Cassis ? Je suis là ! Eh poulette ? Tu bouges tes jolies petites fesses, je me caille.
— La discrétion, El ! Tu connais ce mot ? lui demandé-je en me hissant sur la pointe des pieds pour lui faire la bise.
— Un peu de retenue, nous avons du public.
Oh purée ! Il exagère-là…
Dire que je dois le supporter tous les soirs. Heureusement que Cole est présent pour le freiner dans ses délires, sinon on passerait nos soirées à subir ses bêtises. Entre blagues à deux balles et idées farfelues, avec Eliott, l’ennui prend la fuite. Tiens, se serait un superbe slogan s’il fallait le vendre ! Je vais le prendre en note. Cole pourrait être intéressé par l’idée.
2 commentaires