Fyctia

15 jours plus tard

Je balaye des yeux The Beacon Theatre, avant de suivre John, le bras droit de Morgan. L’angoisse subite qui joue avec moi tord mon ventre. Pas parce que je vais reprendre mes baguettes et taper sur ma batterie. Pas parce que nous allons répéter des mélodies que j’ai eu à peine le temps d’apprendre en raison de mes cours, et de ce qui m’arrive et me talonne. Mon instrument, aucun problème. Les nouveaux morceaux, au pire, j’improviserai, et à la répétition de toute à l’heure, je me suis bien débrouillé. Pour mes tourments, je gère. Pour l’instant.

Je n’angoisse pas, pas parce que, j’ai des inquiétudes à l’idée que Roxane se fatigue de trop en souhaitant faire quelques concerts alors qu’elle en est à sept mois de grossesse. Pas parce que ça fait deux mois que je suis revenu et que les cours m’assomment, en plus de tout le travail que je dois réaliser pour être à la hauteur de ce qu’attend Morgan. J’ai confiance en ma meilleure amie, et si je me plante en cours, je m’en tape. Pour la perfection désirée par le manager, j’y suis déjà.

Mais, parce que depuis ce fameux jour où j’ai touché ses lèvres, elle s’est remise avec Noah le jour suivant et qu’elle semble encore plus joyeuse qu’avant. Et que moi, j’ai l’impression d’étouffer avec mon propre souffle à chaque fois que je les vois ensemble.

Je ne supporte plus. L’image de lui et elle, peau contre peau.

Je ne me supporte plus. D’avoir des idées impures envers une meuf qui est prise par un autre.

Je me saisis d'une forte inspiration et admire l’espace dans lequel je me trouve. Pour penser à autre chose.

Cette salle est exceptionnelle. Elle se situe dans le quartier animé de Manhattan, à Broadway, entre la 74e et la 75e rue. Dans le Upper West Side. Ce dernier accueille le New York Ballet et le Metropolitan Opera. Au cœur du théâtre musical de la ville, elle réputée pour son ambiance intime, chaleureuse et son acoustique hors du commun. Elle est conçue dans un style Art déco, avec des ornements détaillés, des colonnes et des sculptures. L’intérieur est richement décoré, avec des lustres en cristal qui tombent vers le sol en pluie, des fresques murales et des tapisseries.

La scène est magnifique et spacieuse. Le système de son et d’éclairage est à la pointe, avec une touche supplémentaire à la Morgan. Ce mec a le sens de la perfection pour tout, même s’il peut se montrer chiant parfois. Mais, en regardant Roxane, fixant intensément son fiancé et manager, je crois qu’elle s’y est habituée. Ou alors, Morgan s’est un peu atténué, lui laissant le choix de certains détails.

Je sais que ce soir, elle va revêtir fièrement, une tenue réalisée sur mesure par Jean-Paul Gaultier. Ce type est connu pour sa vision audacieuse de la mode en France. Et, elle va porter sa création, en lui rendant honneur. Une robe mettant en valeur ses courbes, ajustée au niveau du buste tout en étant évasée dans l’abdomen pour offrir à ma meilleure amie un ample espace pour son ventre. Des drapés, et des fronces ont été ajoutés pour afficher sa féminité. Avec un détail qui illumine les prunelles de Morgan : un dos nu, un décolleté sexy. Ce mec a vraiment changé. Sa jalousie a presque disparu, ou alors, il se contient, parce qu’il fait confiance en sa future femme.

Il lui laisse de la liberté, respecte les choix de sa fiancée.

Je jette un œil circulaire.

La scène se place au milieu, en demi-cercle. Là où je me trouve, avec Roxane et Morgan. Devant moi, je redécouvre des gradins : trois rangées de fauteuils rouges, espacées par deux couloirs. Je lève les yeux et y observe le second niveau, orné de sièges, suivant un rangement identique à celui du bas. De chaque côté de l'estrade, je peux contempler deux immenses statues de déesses grecques, le sol en marbre.

Je contemple les balcons, les fresques, les moulures dorées et le plafond qui ressemble à celui d’un dôme.

Pour la cinquième fois au moins.

Il y a des œuvres d’art, que nous ne laissons pas d’admirer.

C’est drôle d’avoir traversé le vaste hall d’entrée, avec les murs décorés d’affiches de concerts passés, avec des artistes venus d’ici ou d’ailleurs. Et celui de Roxane, de l’été dernier. Et moi, en arrière-plan avec les autres musiciens.

Je soupire quand je repense à Eden. À ce moment-là, elle était en coulisses avec John et Morgan. À cet instant-là, j’ai su que je n’allais plus être tranquille. Qu’elle et son image allaient persécuter mon cerveau.

Je me souviens du soir, quand nous avons fêté ensemble la réussite de la représentation : j’ai eu le premier contact avec Eden.

Un baiser qui a envahi mes sens et m’a fait effrayé à un point, que je lui ai dit, qu’elle me saoulait. Que je n’avais rien ressenti. Faux. Complètement faux.

Je retiens mon souffle quand j’entends les gars arriver dans un chaos organisé qu’eux seuls savent produire.

Parce que je sais que Eden, - la mascotte du groupe - les suit.