Fyctia

Une semaine plus tard

— Ta mère, ça va ?

Le son de la voix de Eden m’éjecte de mes pensées. Une sorte d’incompréhension conjuguée à un agacement m’emporte. Ce qui touche maman représente une expérience très douloureuse et provoque en moi des émotions complexes. J’ai le droit de ne pas vouloir en parler. C’est une situation assez difficile comme ça. Je trouve que sa question est envahissante, trop intime et perturbatrice. Sans compter que j’ignorai que Eden savait ce qui affecte ma daronne et surtout qu’elle la connaît ! D’ailleurs, comment cela se fait-il ?!

— Pourquoi tu me poses cette question, tu ne l’a connais pas ! lui rétorqué-je.

Je la fixe, tentant de garder le lourd fardeau émotionnel que je porte en silence. Son regard est profond, et inquiet à la fois. Je ne devrais pas réagir avec impulsivité, presque d’une manière agressive. Elle n’y peut rien et souhaite simplement me réconforter, je le devine. Cependant, à l'idée d’évoquer la maladie de ma mère, une tension s’empare de mon corps.

Une légère crispation se laisse tenter sur ma mâchoire, trahissant mon besoin d’autocontrôle. Face à Eden c’est une mission difficile, sans que je n’en connaisse la raison. Pourtant, je gère mes émotions d’habitude, et ma force intérieure est hors norme.

Seulement, cette fille a toujours su me décoder.

Je respire profondément, tandis que la blonde, dont les cheveux longs et soyeux tombent en cascade sur les épaules, me regarde avec une lueur de tristesse dans ses yeux. Ma bouche reste fermée, mes poings se serrent. Je me maîtrise pour ne pas quitter cette pièce. Pendant qu’elle débite ses mots, j'observe son T-shirt qui moule sa poitrine et son short qui me permet de voir ses jambes galbées.

Comment puis-je penser à la détailler alors qu’elle me parle de maman et qu’au fond de moi, je souffre toujours de mon impuissance face à sa maladie ?!

— Maman la connait. Depuis qu’elle habite Paris, elle a repris son poste à la Sorbonne. C’est là qu’elles se sont rencontrées. Ta mère a montré une photo de toi à la mienne et a expliqué toute l’histoire. Le monde est petit… me répond-elle d’une voix suave.

Un rayon de soleil traverse la pièce et l’assomme. Cette meuf m’hypnotise, à un point que j’oublie tout. Son visage est illuminé par un teint doré et ses yeux, putain, sont aussi bleus que l’océan qui borde les plages de New York. Son sourire maintenant éclatant révèle ses dents d’une blancheur immaculée et me captive. Elle attend sûrement une réponse gaie de ma part.

Seulement, elle ne connaît pas toute l’histoire.

— Donc, tu sais.

Mon ton est plus sec que je ne l’aurais voulu. L’été dernier, j’étais plus joyeux. Pourquoi, tout doit changer, en l’espace de quelques semaines ? Peut-être que si je n’avais pas suivi Roxane à New York, rien ne se serait passé. Peut-être que si j’avais veillé sur ma mère, elle se serait rendue chez le médecin avant. Peut-être que si je l’avais appelée plus souvent alors que je séjournais chez Morgan, avec Roxane, et que je jouissais d'un bon temps avec les musiciens et Eden, j’aurais vu plus tôt qu'elle n’allait pas bien.

Maman se porte mieux, elle est sortie d’affaires. Pourquoi je me fige dans le passé, putain !

— Je sais beaucoup de choses, me murmure-t-elle.

Tout sauf une.

— Comme quoi ?

Ma voix note une profonde arrogance. Je me déteste d’être comme ça.

— Comme la maladie de ta mère, et le fait que tu sois malheureux, pour cette raison.

J’étrécis les yeux et mes doigts agrippent ma tasse de café à m’en faire mal.

— Tu ne sais rien sur moi. Juste les deux mois passés ici l’an dernier, à traîner ensemble avec la bande à Lucas, puis aux premiers concerts de Roxane. Tu as appris, ce que j’ai bien voulu te montrer.

Ses pupilles dévient sur ma main et mon corps. Je ne peux empêcher mon cœur de battre plus fort. Je ne peux éviter les frissons qui dévalent ma colonne vertébrale et bousculent le sang dans mes veines.

Pourtant, je ne suis pas prêt à tout lui avouer. Et comme Morgan me l’a si bien conseillé, si je ne parviens pas à tout lui dire… c’est foutu. Voilà pourquoi je suis de mauvaise humeur : je n’arrive pas à lui dire… tout.

Son visage s’assombrit. Ses épaules se courbent légèrement et son sourire radieux s’estompe, révélant une vulnérabilité qui me touche.

Cette fille a toujours porté en elle, une aura de douceur et de compassion, cherchant à consoler ses proches et à soulager la peine de ceux qui croisent son chemin. Son cœur aimant est soucieux de l’autre, j’ai pu le constater, quand elle me parlait de son père, ou de sa mère, avant qu’ils ne divorcent. Et aussi, quand elle s’intéressait à Morgan, qu’elle le réconfortait quand elle ne s’entendait pas avec son daron. Et aux émois de Roxane, alors qu’en pratique, elle ne la connaissait pas depuis longtemps.

— Tu n’es pas obligé d’être si désagréable.

Même ses mots sont atténués, alors qu’elle devrait s’agacer contre l’idiot que je suis. Elle doit se demander pourquoi je suis toujours sur la défensive.

Je m’en veux que maman m’ait vu dans cet état, ce fameux jour à Paris. Elle ne le méritait pas. Elle avait assez de chats à fouetter. Pourquoi cette histoire m’a tant affectée à un point de déconner ?

— Et toi, arrête de te montrer douce avec moi. Je ne suis pas aussi gentil, que tu le crois Eden.

Elle hausse les épaules.

— Je te comprends. Tu préfères garder ce que tu ressens, enfoui au plus profond de toi-même, pour ne pas inquiéter Roxane, tes parents. Pour pouvoir soutenir ta mère dans cette difficulté. Je ferais la même chose à ta place.

Je lève mon regard vers elle et le plonge dans ses iris brillants. J’ignore pourquoi ce qu’elle me dit me touche tellement. Peut-être parce qu’elle a vu juste.

— Personne n’est là pour toi dans ce genre d’épreuves, Eden. Parfois, nous devons savoir les affronter seuls. Certaines choses, sont résistantes, et ne te foutent pas la paix.