Fyctia
Chapitre 17 - Finn
- Il est huit heures trois.
Je ricane intérieurement en voyant les sourcils d'Otillie Marshall se froncer. Elle sait que je mens. Et elle sait que je le sais. Mais ça ne l'empêche pas de jeter un coup d'œil à l'horloge qui surplombe mon bureau pour s'assurer qu'elle n'est pas en retard. L’élève modèle par excellence… Mi-amusé, mi-exaspéré, j'attrape le café qu'elle me tend et en avale une gorgée avec prudence. Il était trop amer lundi, et beaucoup trop sucré mardi. Mercredi, elle avait oublié le couvercle, si bien qu'il était froid lorsqu'elle me l'a apporté, et hier… j'aime autant ne plus jamais y penser. Toutefois, malgré ma réticence plus que légitime, Marshall a le toupet de lever les yeux au ciel. Je m'apprête à lui rappeler les précédentes occurrences, lorsqu'un goût atrocement salé se heurte à mes papilles.
- Qu'est-ce que c'est que cette horreur ? Je crache, en même temps que la boisson qui vient maculer mon bureau de millions de taches brunes.
Marshall écarquille les yeux, visiblement horrifiée, et je vois ses dents se refermer sur sa lèvre inférieure dans un geste qui me fait aussitôt oublier le café. Ça fait presque une semaine que je la côtoie tous les jours, et j'espérais qu'à force, j'en viendrais à oublier l'effet ravageur de sa dissertation, mais au contraire, chaque minute passée en sa compagnie ne fait que l'attiser un peu plus. Il n'y a qu'à voir la réaction de mon hémisphère Sud en cet instant pour comprendre que je suis dans la merde.
Frustré, j’attrape la première chose qui me tombe sous la main - une copie de deuxième année - pour éponger mon bureau.
- Faites-moi une faveur, mademoiselle Marshall, ne m’apportez plus jamais de café.
- Je croyais que c’était ce que vous attendiez de moi, réplique-t-elle en faisant référence à notre entrevue de lundi matin.
Elle lève un doigt professoral devant elle et, avec un certain talent, je dois l’admettre, récite : “Je veux vous voir dans mon bureau chaque matin à huit heures tapantes, et si vous oubliez mon café ce n’est pas la peine de revenir”.
Je me pince les ailes du nez pour contenir mon agacement. Je n’ai pas besoin d’elle pour me souvenir de notre discussion. Après avoir passé la grande majorité de mon week-end à me prendre la tête à son sujet, au lieu d’écrire le manuscrit que Logan continue de me réclamer, j’étais de particulièrement mauvaise humeur lorsqu’elle s’est pointée dans mon bureau. Et je l’ai reçue en conséquence.
- C'était avant que je prenne connaissance de votre incapacité pathologique à vous servir d’une machine à café. Pas étonnant qu'on vous ait renvoyée…
Sa bouche s’entrouvre, mais elle la referme aussi sec, ravalant certainement une insulte à mon endroit. Son absence de protestation est assez inhabituelle pour que je la note, et je ne masque pas mon sourire satisfait. Touché !
- Bien, je reprends. Maintenant que cette question est réglée, passons à la suivante. J’ai une réunion à onze heures trente et je ne vais pas pouvoir assurer le cours des deuxième année donc…
- Vous voulez que je le donne à votre place !
- Je veux que vous vous chargiez de leur envoyer un mail pour le reporter à seize heures.
Son sourire se fane sur ses lèvres, remplacé par une moue boudeuse.
- Vous savez que le travail d’un assistant universitaire ne se résume pas à servir le café et envoyer des mails n’est-ce pas ?
- Vraiment ? Je vous aurais bien proposé de vérifier les freins de ma voiture, mais vu vos résultats avec le café, j’aurais peur de finir dans un fossé.
- Si seulement…
Je peux lire très précisément sur son visage le moment où elle réalise qu’elle a parlé à haute voix. Ses joues, jusque-là légèrement rouges, se vident soudain de toutes leurs couleurs et ses yeux s’écarquillent très légèrement durant une fraction de seconde. Elle se reprend vite cependant et, alors que je m’attends à la voir se décomposer, elle relève au contraire le menton d’un air fier et, ce qui, je dois le reconnaitre, est terriblement sexy. Cette fille aura ma peau.
- Je n’ai pas l’intention de passer l’année à vous servir de domestique.
- Au rythme où vont les choses, vous ne passerez même pas la semaine.
À cet instant précis, je sais qu’elle me déteste. Il n’y a qu’à voir l’incendie qui s’allume dans ses yeux chaque fois qu’elle les pose sur moi. Il est d’ailleurs étonnant qu’elle continue de s’accrocher comme ça à ce travail d’assistante. Du peu que j’en ai vu, je pensais qu’elle aurait jeté l’éponge au bout d’une journée, mais elle tient bon. Il y a peut-être quelque chose à tirer d’elle après tout. Reste à savoir quoi.
- Il n’est pas question que je vous autorise à faire cours à ma place, et ce n’est pas la peine de protester, j’enchaine en la voyant ouvrir la bouche. Peu importe ce qu’Ann Vreeland raconte sur vous, vous êtes pour l’instant loin d’avoir le niveau requis pour enseigner. Dans quelques mois, nous en reparlerons, mais en attendant, si vous le souhaitez, vous pouvez toujours venir assister à certains de mes cours.
Je formule ma proposition comme une faveur, me gardant bien de préciser que cela fait partie de mes obligations en tant que professeur titulaire. Elle n’a aucun besoin de connaitre ses droits en la matière, et tant qu’elle les ignorera, je pourrais continuer de prétendre qu’elle m’en est redevable.
Quand elle a fini de sautiller intérieurement de joie – se croit-elle vraiment discrète ? – je lui tends une pile de feuilles à photocopier pour mon prochain cours, ainsi qu’une copie de mon emploi du temps afin qu’elle puisse le comparer avec le sien et y noter les cours auxquels elle compte assister. Lorsqu’elle me le rend, je constate qu’elle a pris soin d’éviter les TD de son propre niveau ainsi que du niveau supérieur, privilégiant ceux des première et deuxième année.
- Quelle humilité, je ne peux m’empêcher de railler. Et ça, c’est pour…
Je désigne son nom, inscrit au milieu d’une case vide le vendredi après-midi.
- Le TD de ce matin que vous m’avez demandé de déplacer à seize heures.
Évidemment… Je secoue la tête, résigné à l’idée de la voir trois fois par jour et lui donne finalement congé. Nous nous reverrons bien assez tôt. Alors que la porte se referme doucement derrière elle, je pousse un long soupire et me laisse aller contre le dossier de ma chaise, mains croisées derrière la tête. Et c’est seulement là que je prends conscience du détail qui aurait dû m’alerter dès le départ : il n’y a pas de sel dans les machines à café.
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PhœnixRoyal
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Il y a un an
Sauzay
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cedemro
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Magali_Santos_auteur
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Il y a 2 ans