Fyctia

“Nous avons finalement parlé toute la nuit puis au matin nous nous sommes séparés. ”

Bien que son esprit soit maintenant troublé par les nombreuses questions générées par les révélations de sa mère, Liam ne peut s’empêcher de poursuivre la discussion.

— Tu n’as pas dormi ?

— Non, en sa présence je sentais une énergie étrange me parcourir et le lendemain je me suis sentie aussi bien que si j’avais dormi une nuit de dix heures… Et ce n’est pas tout, non seulement il m’a laissé le livre, mais il m’en a même remis un autre, encore plus épais. Cela s’est répété de nombreuses fois : je revenais à la chapelle et je le rencontrais, puis nous discutions toute la nuit. Le jour, je lisais, le soir nous discutions. Les mois ont passé et nos discussions allaient dans tous les sens. Il me parlait des temps anciens, des différents territoires, des races les peuplant, des reliques s’y trouvant. Je buvais ses paroles sans me rendre compte des conséquences de ce que j’apprenais. Un soir, il m’a demandé si j’étais prête à changer le monde. Je n’ai pas compris sur le coup, mais je lui ai répondu oui sans hésiter. En me laissant ce soir-là il m’a dit d’une voix douce : tu auras un fils et il changera un jour le visage de ce monde…

— Un fils… moi ?

— Je n’ai pas d’autre enfant…

— Mais… comment mon père était-il au courant à propos de toutes ces choses qu'il t'a raconté ?

— Tu n’as pas idée de la portée de ta question… Disons simplement qu’il a assisté à ces événements…

— Mais… c'est impossible, tu viens de me dire que les frontières datent de plusieurs millénaires !

— Je sais… mais ton père n’est pas humain…

Cette fois, Mélia voit bien que son fils reçoit l’information comme un coup de massue sur le crâne. Debout à ses côtés, elle peut voir son corps perdre toute rigidité sous l’effet de la surprise.

— Quoi ?

— Ton père n’est pas de notre race… du moins pas complètement.

— Je ne comprends pas…

En l’absence de réponse, Liam regagne une certaine contenance et reprend d’un ton ferme.

— Allez, tu ne peux pas arrêter maintenant !

— Tu as déjà remarqué que tu guéris plus vite que les autres et que tu es plus grand et costaud que la plupart des villageois...

— Oui…

— Liam, nous vivons à l’écart justement pour éviter que tu te questionnes trop sur ces différences. Prends ta guérison : c’est la même « énergie » que celle que ton père me transmettait pour me permettre de vivre mes journées sans dormir…

— Mais il n’est pas ici...

— Cela doit être en toi, car je n’ai aucune idée de l’emplacement où il peut bien être. Je ne l’ai jamais revu depuis cette dernière rencontre où il m’a dit que tu allais changer le monde… À mon tour de te poser une question : tu te rappelles des dragons dans les histoires que je t’ai racontées ?

— Évidemment. Ce sont des êtres féeriques capables de grands exploits et qui représentent un grand danger pour tous les peuples dans ces histoires…

— C’est ainsi qu’ils sont présentés de nos jours, mais ils existent bel et bien et ils ne sont pas tous mauvais, du moins tant qu’ils réussissent à se contrôler.

— Comment peux-tu savoir ce genre de chose ?

— Ton père est un draconien, un homme qui a acquis un artefact faisant de lui un potentiel dragon…

— Comment est-ce possible ? Les dragons sont immenses et…

— Comme je viens de te le dire, un dragon peut conserver une forme humanoïde, on appelle cette race les draconiens. Sous cette forme, certains arrivent à contrôler leur esprit et à ne pas devenir ces monstres destructeurs présentés dans les histoires.

— Mais alors, moi je suis humain ou non ?

— En majeure partie… Tu as hérité de quelques-unes des caractéristiques de ton père comme la faculté de guérison, mais tu vis sur la Terre des Humains et tu es né d’une humaine. Ici la magie n’a presque plus aucun effet depuis la mise en place des frontières.

— Dis-moi, est-il toujours en vie ?

— Probablement, mais il m’a dit qu’il ne pouvait plus venir me voir et que si je devais le revoir un jour, c’est que nous serions en grave danger…

Un cri de douleur met brusquement fin à leur conversation. Près d’eux, sur le lit, l’elfe se tord de douleur, son corps en proie à de violentes convulsions. Paniquée, Mélia se précipite à ses côtés.

— Vite, nous devons l’immobiliser avant qu’elle n’aggrave ses blessures… Il va falloir l’attacher sur le lit pour éviter qu’elle ne tombe… Le poison est en train d’affecter son système nerveux…

Affolé, Liam court chercher des bandes de tissu et immobilise l’elfe sur le lit du mieux qu’il peut pendant que sa mère lui attache les jambes et les bras aux pattes du lit. Ses yeux se posant sur son visage, il remarque que l’elfe a les yeux ouverts et il voit l’affolement et la panique dans son regard. Parmi les cris, il comprend qu’elle essaie de parler, mais il ne discerne aucun des mots qu’elle prononce.

— Je crois qu’elle essaie de nous parler, lance Liam à travers les cris.

— Oui en effet… On verra ça plus tard, je dois finir de l’attacher. Elle est vraiment très forte !

Avec son fils qui la maintient au lit, Mélia termine d’attacher l’elfe en prenant soin de ne pas trop serrer les liens pour ne pas qu’elle se blesse. Après de longues minutes d'ébats furieux, les forces de l’elfe semblent l’abandonner et elle tombe inconsciente une fois de plus, son corps couvert de sueur. Alors qu'elle replace la couverture, Mélia remarque ses tremblements.

— Le poison continue de faire des ravages. Nous n’avons pas ce qu’il faut pour la soigner convenablement et j’ai bien peur qu’il ne lui reste pas beaucoup de temps à vivre…

— Ne dis pas ça ! On doit bien pouvoir faire quelque chose pour elle ?

— Il n’y a qu’au monastère que je pourrais peut-être trouver des livres et des ingrédients pour faire une potion capable de l’aider. Malheureusement, nous n’avons pas le temps nécessaire devant nous...

— Je t’en prie, tu dois bien avoir une autre idée ?

Profondément attristée de voir son fils dans cet état à l’idée d’être impuissant à aider la pauvre elfe, Mélia cherche désespérement une solution, aussi folle soit-elle. Une idée lui frôle alors l’esprit.

— Attends-moi ici, je vais aller chercher quelque chose.

Atterré à l’idée de voir mourir l’elfe, Liam s’installe à genoux près du lit et son esprit part dans tous les sens. Sans trop le réaliser, il prend la main froide de l’elfe et la sert doucement. Après seulement quelques secondes, il sent que les tremblements de l'elfe diminuent. Pensant simplement que le contact la rassure, il maintient sa main dans la sienne tout en continuant d'espérer de toutes ses forces qu'elle ne succombera pas à ses blessures.

Peu à peu, sans en être conscient, il sombre dans un sommeil profond et sa tête se dépose doucement sur le lit, juste à côté de la main de l'elfe qu'il tient toujours. Parcourant son corps endormi, une énergie dont il n’est pas conscient circule à présent dans son bras et dans sa main, rejoignant celle de sa compagne inattendue.