Fyctia

Les yeux rivés sur la frontière bleutée miroitant loin devant elle, le premier réflexe de Xia est de se frotter les yeux pour se convaincre que le phénomène n'est pas une invention de son esprit. Ressentant un besoin de rejoindre le mur bleuté, pour le toucher, elle fait quelques pas en sa direction quand soudainement elle entend un craquement derrière elle.

Le bruit provient de l’orée de la forêt, comme si quelqu’un venait de marcher sur une branche. Elle se retourne brusquement, paniquée, et elle remarque une forme imprécise cachée dans le couvert de la forêt. Avec le soleil levant lui faisant face, l’elfe ne peut discerner les traits de l'individu et son souffle se fige dans sa poitrine, réalisant à cet instant la stupidité de son projet.

Elle est seule à environ vingt kilomètres de chez elle et il est clair que quelqu’un l’a suivie jusqu’ici. Cédant à la panique qui s’empare rapidement de son esprit, elle doit se faire violence pour conserver la maîtrise de ses pensées. Portant la main à sa ceinture, elle retire une des lames de lancer et la garde bien cachée dans la paume de sa main.

— Qui est là ? Montrez-vous !

Évidemment, personne ne répond à l'appel. Essayant de mieux discerner l'individu, elle se prépare à lancer la lame, quand le silence est soudainement brisé.

— Princesse, que faites-vous ici !? Votre père m'a chargé de vous surveiller discrètement mais je ne pensais pas que vous sortiriez du domaine…

D'abord soulagée, la jeune elfe fait quelques pas en direction du nouvel arrivant. Un nuage passant devant le soleil à cet instant précis, Xia peut brièvement reconnaître la tenue d'un des membres d'élite de la garde de son père. La réalisation fait naître en Xia une nouvelle panique, certes différente de la première, mais néanmoins très intense. Elle sait bien que le garde ne sera pas facile à convaincre de la raison de sa présence ici et impossible bien sûr de lui dire la vérité…

— Je… je peux vous expliquer… Je suivais un petit animal et je pensais simplement m'éloigner un peu et revenir rapidement…

— Princesse, je ne suis pas ici pour juger de vos actions. Je dois assurer votre sécurité. Puis-je vous demander de revenir avec moi au château ?

— Mais…

Jetant un coup d’œil vers la frontière, Xia se demande comment le garde peut réprimer aussi facilement sa propre curiosité face au phénomène se déroulant devant eux. Les yeux rivés sur les tourbillons, elle se retourne et fait un pas en direction du mur, irrésistiblement attirée par sa splendeur irréelle. Ce dernier s’étant rapproché pour la ramener, il regarde dans la même direction que la princesse, intrigué.

— Princesse Xia, j’insiste : venez avec moi !

— Je veux juste aller voir là-bas un instant…

— Voir quoi ? Laissez aller cet animal, il est déjà loin dans la forêt de l’autre côté de cette clairière…

— Vous… vous ne voyez rien ?

— Rien d’autre que des arbres à perte de vue.

Xia reste sans voix devant la dernière affirmation du garde. Pas une seconde elle ne doute de son honnêteté, sachant bien qu'il a promis la plus parfaite obéissance à toute la famille royale. Pourtant, les tourbillons devant elle ne sont aucunement le fruit de son imagination. Elle doit d'ailleurs utiliser toute sa volonté pour ne pas s'élancer en direction de leur danse qui l'appelle à présent comme la lumière attire les papillons de nuit…

— Princesse, je vous en prie, venez avec moi, nous devons…

Interrompant net sa phrase, le garde tire son épée dans un geste fluide, brisant instantanément la contemplation de Xia qui se retourne vers le son de la lame glissée hors de son fourreau. Se retrouvant avec le soleil dans les yeux une fois de plus, elle peine à discerner ce qui se déroule.

— Qu'y a-t-il ? lance-t-elle de vive voix.

— Restez silencieuse et placez-vous derrière moi. J'ai entendu quelque chose en provenance de ces arbres là-bas.

— Vous voyez quelque chose ?

— Non, mais cessez de parler !

La jeune elfe réalise alors à quel point elle et le garde se trouvent dans une position vulnérable : seuls, debout dans une clairière, sans cheval, avec des individus cachés dans les bois à en croire le garde.

Alors qu’elle s'apprête à poser une nouvelle question, elle entend soudainement plusieurs sons étouffés, comme si plusieurs personnes venaient de souffler avec force la flamme d’une lampe à huile. Voyant la réaction du garde, Xia constate le danger imminent tout juste avant que plusieurs tintements métalliques se fassent entendre. Félicitant sa dextérité, elle remarque rapidement les projectiles tombant aux pieds du garde qui n’hésite pas à se placer devant elle pour la protéger.

Puis vient la seconde série de sons étouffés.

Saisie de panique, la princesse se retourne et débute une course frénétique en direction du mur bleuté.

— Princesse, non !

Voyant la jeune elfe se retourner et courir loin de lui, le garde tente de la suivre tout en essayant de dévier la seconde salve de projectiles. Plusieurs tintements se font à nouveau entendre, mais la volée se conclut par un hoquet de douleur.

Dès qu’elle entend le souffle retenu du garde, Xia se retourne brièvement, sans cesser de courir. Elle le voit alors poser un genou au sol, clairement blessé. Elle n'a toutefois pas le temps de s'inquiéter pour lui, car le sol sous ses pieds prend soudainement la consistance épaisse de la boue. Surprise par la transition de matière, la victime sent son pied s'enfoncer, stoppant net sa course dans une torsion douloureuse de sa cheville. Se trouvant maintenant à quelques mètres de la frontière, elle n'a pourtant pas d’autre choix que de se retourner pour faire face à ses agresseurs.

Un nuage masquant le soleil à cet instant, Xia peut les voir. Ils sont au moins quatre et ils s'approchent rapidement avec ce qui semble être de longs bâtons à la main. Notant qu'ils portent tous le bâton en question à leurs lèvres, l’elfe comprend qu'il s'agit en fait de sarbacanes.

Comble de malheur, elle remarque alors le garde étendu par terre, inerte.

C’est clair, les dards lancés par ces sarbacanes sont empoisonnés.

Consciente d’être une une cible facile sur le terrain ouvert de la clairière, Xia sent la panique monter.

Notant que les hommes se trouvent à présent à moins d'une trentaine de mètres de sa position, Xia ne perd pas une seconde et saisit ses dagues, pendant que ceux-ci portent leurs armes à leurs lèvres.

Prête à défendre chèrement sa vie, l’elfe se place en position de combat et attend avec autant de calme que possible l’attaque à venir. Cette dernière ne tarde pas : quatre souffles puissants qui se concluent par trois tintements métalliques lorsque les dards percutent ses lames étincelantes.

Malheureusement, une douleur fulgurante à sa cuisse indique à Xia que le quatrième dard à bien atteint sa cible…

Sa fugue vient soudainement de prendre des proportions largement inattendues.