Fyctia
6 - Oliver
Le réveil sonne, je l’éteins aussitôt. Malgré mon intense fatigue, j’ai eu beaucoup de mal à trouver le sommeil. J’avais oublié à quel point dormir dans une péniche était si particulier, avec le roulis et le tangage perpétuels.
Au moins, ma migraine a disparu. Je fais couler une pleine cafetière dans l’espoir d’y puiser un peu d’énergie et passe sous une douche brûlante. Rasséréné, cheveux encore mouillés, je sors sur le pont avec ma tasse chaude. Un brouillard épais obstrue ma vue, je devine à peine les grands arbres sur la rive, hautes silhouettes fantomatiques qui se balancent au vent.
Mes pensées remontent le fil de la journée d’hier. La tristesse de ma mère. Les funérailles de mon géniteur qui surviennent au moment où ma vie prend un nouveau tournant. Sa disparition aurait dû clôturer un chapitre, me permettre de tourner la page sur mon passé. Pourtant, il n’en est rien. Des béances sont encore à combler en moi, des interrogations qui ne trouveront sans doute jamais de réponses. Grandir sans père à la maison, c’est devoir se construire seul. J’ai longtemps cherché ma place, tenté de savoir qui j’étais. J’ai contenté ma mère, ma sœur, mon banquier, la société, mais au fond, je crois n’avoir jamais été vraiment moi. Cela fait quelques mois seulement que je me pose les bonnes questions. Du moins, je le pense. Mais il est possible que je sois à côté de la plaque. Était-ce courageux ou totalement stupide de tout quitter ?
Laisser tout le monde en plan pendant plusieurs mois n’était pas un acte prémédité. C’était moi que je fuyais en partant au Mexique, certainement pas mes proches qui m’avaient toujours entouré d’un amour et d’une bienveillance sans faille. J’avais un besoin impérieux de respirer, j’étouffais dans mon boulot, tenu en laisse par mes onéreuses cravates. Je m’étais fourvoyé pendant toutes ces années, et il me fallait un changement radical.
Hier, ces pensées m’ont bouffé le cerveau après m’être pris de plein fouet les critiques d’Ushi. Il ne s’était jamais permis ce genre de remarques jusqu’alors. Ai-je déçu ceux que j’aime le plus ?
C’est à ce moment-là que la soirée a pris une direction inattendue. Il y avait cette fille se trémoussant à quelques mètres de moi, qui n’était pas mon genre. Trop maquillée, trop apprêtée, trop tout, mais sexy, indéniablement. La fameuse cliente de Chris. Malgré l’étau qui me comprimait le cerveau, j’ai vite compris qu’elle avait jeté son dévolu sur moi. Je ne peux pas nier qu’un frisson de désir m’a parcouru à la vue de ses longues jambes et de ses petits seins hauts et fermes, son parfum capiteux s’enroulant autour de moi.
J’étais déterminé à rentrer, et la fille insistait. Soudain, je l’ai vu, malgré la faible luminosité : un grain de beauté posé à la lisière de son décolleté, telle une offrande… Je me suis demandé pourquoi je tergiversais. Cette inconnue m’offrait un moyen d’oublier quelques instants les tourments qui engluaient mon esprit, je n’avais pas de raison de m’en priver.
Je me suis laissé bercer par la sensualité du moment. Nous avons dansé longtemps.
Des flashs crépitent dans mon esprit, pareils à un rêve érotique.
Ses yeux outrageusement maquillés. Sa bouche brillante. Les mèches dorées qui caressaient ses épaules.
Mon cœur s’est emballé. Elle était très douée, et moi, je n’avais eu aucune relation sexuelle depuis des mois, j’étais plus que fébrile. Elle me manipulait comme un pantin, et j’avais besoin de ça, d’être une marionnette entre ses mains. Qu’elle décide de nous conduire dans cette cour me convenait très bien. Nous avons baisé (je ne vois pas d’autre mot) avec sauvagerie.
Et puis je me suis retrouvé tout seul comme un con. Elle a disparu de ma vie aussi vite qu’elle y est entrée.
La réalité a repris ses droits. Je n’étais vraiment pas fier de moi. Sauter une fille dans une courette jonchée de mégots ne fait pas partie de mes moments de gloire. C’était bon, évidemment, mais ça n’a rien résolu. Je n’ai jamais agi comme ça auparavant : mon comportement avec les femmes s’apparente plus à la cour galante d’un autre siècle qu’aux standards d’aujourd’hui. Ushi me traite sans cesse de papi. Comme si c’était dépassé de vouloir parler avant de coucher.
La seule information que j’ai pu obtenir de Chris à propos de la blonde, c’est qu’on la surnomme Mint. Alors, merci, Mint, pour cette heure hors du temps pendant laquelle j’ai oublié jusqu’à mon nom.
Je frissonne soudain ; un caleçon et un tee-shirt ne suffisent pas pour un temps aussi frais. Fini les tropiques, Oli !
Plongé dans mes pensées, je n’ai pas vu que l’heure défilait. Je dois me rendre à mon mystérieux rendez-vous chez VertiG, et même si mon GPS m’indique que c’est tout proche, il faut quand même que je me grouille.
À la recherche de vêtements propres, je retourne mon sac sur le lit. Un fatras indescriptible se déverse sur les draps. Je m’empare d’un chino beige, mais ne trouve pas de haut qui puisse convenir pour un entretien. Je vais devoir remettre la chemise blanche de la cérémonie.
Je secoue le pantalon couvert de sable du Yucatán. Contrairement à ce que pense Ushi, j’ai peu fréquenté les plages, sauf à la fin du séjour. Quant aux fiestas de Cancún, je les ai fuies dès mon atterrissage. J’ai loué une chambre en périphérie de la ville et, armé d’un guide acheté dans une échoppe à touristes, je me suis organisé un périple à travers les différents sites mayas de la région.
Mon aventure a été solitaire, hormis des rencontres ponctuelles à l’occasion de mes randonnées. Je voulais me ressourcer, faire communion avec la Terre, réfléchir. Lors d’une baignade dans un cénote, un puits naturel sacré, j’ai pris conscience que ma vie n’avait pas pris le bon chemin. J’aspirais à plus, à mieux, même si j’ignorais encore à quoi exactement.
La mort de mon père a précipité mon retour, et tout est encore flou. Pourtant, une évidence s’impose, je dois me cantonner à ce que je connais et ce que j’aime : la nature. Travailler dehors, plonger mes mains dans la terre. Sentir que je réalise du concret, que ce que j’entreprends à un sens, une finalité. À la fin de la journée, je veux qu’une saine fatigue envahisse mon corps. Quand je suis en contact avec la nature, je reste humble. Cela m’apaise, car je comprends que bien des choses me dépassent et qu’il faut relativiser certains événements. Avoir conscience d’un environnement à préserver et de la fragilité du monde malgré ses apparences trompeuses de puissance évite de se regarder le nombril en permanence et permet de se tourner vers l’autre et l’ailleurs. Projeter plus loin, plus longtemps.
Je sais pertinemment que l’entretien énigmatique que l’on m’a fixé dans dix minutes ne va pas m’offrir le genre d’opportunité que je recherche, mais je suis plus que curieux de découvrir ce qui se cache derrière la carte mystérieuse remise par la vendeuse. Même si cela n’aboutit à rien, j’aurai au moins une anecdote cocasse à raconter à Ushi. Pour l’instant, il me reste suffisamment d’économies pour ne pas me précipiter sur n’importe quel boulot, mais comme me l’a souvent répété Yves, « reste en mouvement ! ». C’est la devise que je vais m’approprier désormais. Agir, quoi qu’il advienne. Ne plus attendre que la vie défile.
Je veux être acteur du changement. Et aussi m’amuser un peu au passage. Je vais mettre de côté la perte de mon père et les pensées qui tourbillonnent en moi pour me laisser guider par l’instant présent. Les nouvelles expériences et les rencontres sont toujours des moments excitants pour moi, elles réservent souvent de belles surprises. À cet égard, l’entrevue chez VertiG est très prometteuse !
26 commentaires
Laureline Maumelat
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Il y a 6 ans
Inès Kasmi
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Il y a 6 ans
Christal Charvet
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Il y a 6 ans
Sue_Auteure
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Emilie May (Bookofsunshine)
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FeizaBabouche
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Laureline Maumelat
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nanol0tus
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Amelia & Nine
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Laureline Maumelat
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Il y a 6 ans