Laura Denys Une illusion dangereuse Le carnet de cuir

Le carnet de cuir

Nous filons à travers le couloir avant que les soldats ne changent d'avis et ne nous demandent de répondre à leurs questions, d'expliquer le pourquoi du comment et tout le reste. Je n'ai jamais couru aussi vite, et Harry non plus de toute évidence. Il est rouge écarlate. Ses cheveux sont en bataille et on peut lire de l’inquiétude dan son regard. Je ne l'ai jamais vu dans un état pareil, aussi essoufflé, inquiet et surtout aussi rouge. Je le vois me dévisager et rire tant bien que mal à cause du manque de souffle. Je devine que je dois être exactement pareil.


On choisis ne pas aller dans nos chambres, étant donné que ce sont les premiers lieux où l'on viendrait nous chercher en cas de problème ou d'éclaircissement sur la situation qui vient de se dérouler. On continue de courir en direction de la bibliothèque, le seul endroit où on peut se sentir à peu près en sécurité. C'est une très grande salle comportant des milliers d'ouvrage, chacun étant en exemplaire unique. Les murs sont en partie en pierre et d'autres en bois. De belles moulures sont présentes sur les murs en pierre ainsi qu'au plafond qui est par ailleurs très haut. Cette bibliothèque est tout simplement immense. On pourrait s'y perdre avec énormément de facilité. Essoufflés, nous nous arrêtons dans le rayon des bestiaires où sont répertoriés toutes les créatures tant actuelles, de l'animal domestique à l'animal sauvage, que les légendaires. Une fois à l'abri des regards, nous prenons le livre intitulé « Abécédaire des gros prédateurs ». Je sors la dent de ma poche pour la comparer aux dessins présents dans cet ouvrage.


Une fois le livre pris, nous nous installons à une table dans le même rayon. Nous commençons à feuilleter les pages une à une en scrutant et observant le moindre dessin présent. Au fil des pages et de nos avancées dans le livres nous perdons peu à peu espoir de trouver à quoi appartient cette mystérieuse dent. Rien. On refouille dans le livre une deuxième, puis une troisième fois. Toujours rien. Cette dent n'appartient à aucun animal répertorié dans ce livre.


Harry commence à désespérer et fonce prendre un autre livre du même sujet. Les livres s'entassent, n'apportant aucune réponse. Une dizaine de livres sont déjà positionnés un peu partout et n'importe comment sur la table, certains ouverts d'autres fermés ou renversés.


-On a rien ! Que dalle Lucia !! On est en train de s'acharner sur un truc dont personne, et pas même un bouquin, n'a de réponse ! On va finir par péter les plombs.


Le concernant je pense que c'est déjà fait.


-On va y arriver ! Je le sens ! Il faut juste qu'on continue à chercher. Dans la vie il faut persévérer. L'abandon n'a jamais mener à la victoire je te rappelle ! C'est toi qui me l'a toujours dit. À chaque fois que je voulais abandonner tu me disais ça et ça me remonter le moral. J'étais reboostée après, je ne voulais qu'une chose : réussir ! Alors pourquoi pas toi ? Pourquoi tu veux abandonner alors que tu m'as appris la persévérance ? Pourquoi tu veux baisser les bras alors que tu m'as appris que la victoire et la réussite sont à portée de main lorsque l'on s'en donne les moyens ? Pourquoi ?


Harry reste muet devant ma réponse. Sur son visage je lis comme un certain ras-le-bol. Ras-le-bol de chercher en vain une chose que peut-être on ne trouvera jamais mais surtout ras-le-bol de voir que j'ai raison sur ce point. L'abandon n'a jamais mené à rien sinon à la défaite et au sentiment d'échec. Je vois dans son regard qu'il approuve ce que je dis.


Sans ajouter un mot, il ramasse un à un les livres disposés sur la table. Je ne regarde pas ce qu'il fait, je suis beaucoup trop absorbée par mes pensées et réflexions qui me disent : « Et si on ne trouvait jamais ce que l'on cherche ? Si jamais on ne retrouvait le membre du conseil manquant ? ». Tout se bouscule dans ma tête. Tout est si confus et embrouillé entre mes convictions et l'éventuel échec de notre recherche. Je relève la tête et inspire très fort pour me redonner de la contenance.


Harry est en train de ranger les livres. Je le regarde faire, impassible, complètement perdue entre mon envie de continuer à chercher et celle de laisser tomber. Cette dent n'appartient peut-être à aucun animal, peut-être est-ce juste une sorte de sculpture en ivoire comme le faisaient certaines tribus pour impressionner leurs ennemis sur leur technique de chasse ou je ne sais quoi. Après tout cela serait-ce beaucoup plus probable. On retrouve de nos jours beaucoup d'objets ayant appartenu à des tribus indigènes il y a un bon nombre d'années. C'est possible qu'un des membres du conseil en ai possédé un.


Tout à coup, un tout petit livre avec une couverture en cuir glisse de l'étagère et arrive jusqu'aux pieds de Harry. Il s'en saisit et laisse tout de suite tomber ce qu'il est en train de faire. À voir mon air interrogateur, il se précipité à côté de moi et le feuillette. Je ne l'ai jamais vu aussi excité de ma vie. Je regarde sur son épaule. On dirait une sorte de journal où sont répertoriées des dizaines d'espèces inconnues à ce jour. Tels deux enfants dans un magasin de bonbons, on passe les pages une à une tout en lisant soigneusement chacune d'elles. On touche au but !


Un violent bruit nous fait sursauter et nous stoppe dans notre lecture. Les soldats viennent d'enfoncer la porte de la bibliothèque. Ils nous cherchent et continueront tant qu'ils ne nous auront pas trouvé. Prise de panique, je regarde affolée Harry qui lui semble avoir déjà échafaudé un plan. Il m'arrache violemment le livre des mains, l'enfourne dans sa sacoche en cuir, qu'il ne quitte jamais, et me la tend. Ne comprenant pas ce qu'il fait je ne bouge pas et le regarde d'un air surpris.


-Tu vas la prendre cette foutue sacoche Lucia ?!


Son ton est à la fois chuchotant et ferme. Je prends la sacoche et la met autour de mon cou sans trop poser de questions. Il m'attrape par la main, nous fait slalomer entre les rayons de la librairie pour nous faire éviter les gardes. Accroupis, nous avançons sans faire de bruit pendant que les gardes renversent les tables. Ils se rapprochent dangereusement de nous. D'un coup, je me sens comme propulsée sur le côté. Harry vient de me pousser dans une sorte de tunnel secret, caché dans une étagère en bas d'un rayon.


-Harry ! Qu'est ce que tu fais ?!


-Je te sauve la vie Lucia.


-Quoi ? Mais et toi ?! Tu viens avec moi j'espère !


-Non Lucia, je ne viens pas.


-Comment ça ?!


-Inutile de discuter Lucia !!


Il me pousse plus fort afin que je tombe à la renverse et referme la petite trappe par laquelle je suis passée. Je l'entends partir en courant et crier qu'il est là, qu'ils avaient qu'à venir le chercher s'ils en étaient capables. Harry tout craché, toujours dans la provocation mais qui vous protégera toujours quelque soit la situation, même au péril de sa vie.


Dans le tunnel, seule et dans le noir, j'étouffe un sanglot. Il faut que je continue seule.

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