Fyctia

Ok, ok… Le temps d’ouvrir ma cannette et je m’installe à mon bureau. Mais avant tout, un petit tour aux toilettes, car la nuit risque d’être longue.

Ça y est, je sors mon bloc. Hé oui, je bosse à l’ancienne (pas au parchemin, mais pas très loin). Dernier check : pack de six bien frais, chips au bacon, quelques heures de sommeil derrière moi (le marmot n’a pas trop braillé la nuit passée), un paquet de clopes presque plein, et douze heures avant de retourner au turbin. On se lance.

Alors, quel est le thème ? Oula ! Je ne m’attendais pas à une telle daube. Une nouvelle fois, les gars ne se sont vraiment pas creusé la soupière. Mais, j’ai un avantage considérable. J’ouvre le tiroir de mon bureau, je sors ma trousse et farfouille à travers les trombones pétés en deux et les bouts de gommes mâchouillés pour y tirer mon objet le plus précieux… un petit coffret en bois verni.

À l’intérieur, une simple plume et une multitude de minuscules cartouches d’encre de couleur différente. Sans hésitation, je sélectionne toutes celles dans les nuances de rose. Chacune comporte une étiquette distinctive. Ensuite, je saisis une fiole et j’y vide d'un geste assuré la totalité de la cartouche nommée « mièvrerie ». Le liquide rose pastel est rapidement mélangé avec le fuchsia d’ « émotion », le corail de « bad-boy viril, mais sensible, au passé troublé », le saumon de « copine fofolle » puis… Pas de chichi, on n’est pas là pour trier des noix. J’attrape toutes les encres roses et balance gaiement l’ensemble dans la fiole.

Taquin, je sélectionne pour terminer une cartouche de noir avec des nuances verte qui va rejoindre l’étrange mixture. On verra bien ce que ça va donner. Vous êtes prêt ? Allons-y !

Vous pensiez suivre l’histoire de Keyla, une jeune, belle et intelligente architecte de vingt-cinq ans qui a vécu mille tourments, mais qui – grâce à sa force de caractère – a su rebondir et faire confiance à ses semblables ?

Erreur ! Je vous présente Paul, la petite vingtaine, un menton parsemé de quelques poils épars, pas plus grand qu’un autre, pas plus petit non plus, épais comme un clou de cercueil et criblé d’une armée de bouton que la fin de l’adolescence n’a pas su éliminer. Mais il a du charme, le Paul. Enfin, c’est sa maman qui le dit.

Oui, je sais, je sais… le mec que je vous décris n’est pas spécialement le héros que vous attendiez. Et moi non plus ! Mais laissons-nous porter par l’histoire, car je sens qu’il risque de nous surprendre.

Paul est plus courageux que ne le fait penser ce gringalet timide. Il vient d’une famille nombreuse et compte sept frères. Il n’est pas l’aîné ni le cadet. C’est le gars du milieu, celui qu’on oublie un peu. Attention, je ne dis pas ça pour le plaindre, car je crois qu’il n’a jamais couru après la lumière. Il aime bien qu’on lui foute la paix, qu’on ne cherche pas trop à savoir ce qu’il fait et que l’on n’analyse pas tout ce qu’il dit.

Paul s’est toujours méfié du « trop ». Le « trop », ce n’est jamais bon. Donc, Paul ne fait jamais rien d’excessif. Il ne boit pas trop, n’étudie pas trop, ne sort pas trop, ne mange pas trop, n’a pas trop d’amis, n’a pas trop d’emmerdes – les deux derniers vont de pairs – ne fume pas trop, ne se drogue pas trop. Je vous vois déjà, derrière votre écran : « la drogue c’est pas bien, même un tout petit peu » ou « je connais un gars, il a pris une fois de l’héro et maintenant il est accro » et blablabla et blablabla… Mais, ne vous faites pas de souci pour Paul, il n’est pas malheureux, mais il n’est pas heureux pour autant. Faute de mieux, disons qu’il est satisfait de son quotidien pénard. Sa bande de potes pas trop casse-couilles, ses bars favoris pas trop loin de chez lui, ses études pas trop exigeantes qui finiront peut-être par déboucher sur un boulot pas trop mal payé. Finalement, ne dit-on que la simplicité et la première marche de l’escalier du bonheur ?