Fyctia
Première Partie [Chapitre 1]
Il y a dix-sept ans.
Thomas Fort.
Avant de rencontrer Anna Pradel, je n'imaginais pas qu'on pouvait se laisser glisser sur un sol gelé, sans avoir l'air d'autre chose que d'un éléphant de mer se traînant sur la banquise. Pas plus que je ne voyais d'intérêt à prendre le risque de me retrouver plié en deux sur la glace, en même temps que mon égo.
Trois moi que je m'assied sur le même banc, pour assister à ses entraînements, et je ne sais toujours pas quoi faire des patins accrochés à mes guiboles.
Elle a assurément la grâce d'une sirène avec des patins, ce n'est pas mon cas. J'ai déjà du mal a enfiler ces trucs, alors, de là à y tenir en équilibre... Merci, mais non merci. Autant sauter du haut d'une falaise, et sans parachute. Même résultat garanti; le suspens en moins.
Alors, comme à chaque fois que je l'accompagne à ses entraînements, je reste le cul scotché au banc et écoute sa coach la reprendre sur chaque figure effectuée.
Il faut une sacrée dose de courage pour passer des heures à trimer comme une dingue par des températures polaire, accepter de se faire crier dessus, glisser, tomber, se relever, recommencer... tout ça, juste pour un rêve.
Enfin... j'imagine que c'est plus facile de suivre ses rêves quand on a une famille blindée aux As.
Anna Pradel.
Je m'applique en reportant presque toute mon attention sur les mouvements de mes patins en parfaite harmonie avec mes hanches, quand je sens son regard porté sur moi. Une vrille... deux vrilles... troi-...
Eh, mince!!
Je devrais être frustrée d'avoir raté cette figure pour la énième fois aujourd'hui, pourtant je n'y arrive pas. Pas quand mon regard croise celui de Thomas et que, l'espace d'un instant, il me donne la sensation d'être la personne la plus importante du monde.
C'est peut-être le cas ? Ou est-ce seulement dans ses yeux que je le deviens? Je n'en demande pas plus. Mes parents ne me regardent jamais comme il le fait.
Personne ne me regarde comme Thomas le fait.
—Hey! j'ai faillis réussir !! je lance tout sourire en direction de Dorothée, ma coach de patinage artistique.
—Failli, oui. Sauf qu'on ne gagne pas "presque" une médaille. Tu crois que le jury donne des points pour l'effort? On réussi. Ou on échoue. Point!
"Fait le, ou ne le fait pas. Il n'y a pas d'essaie." résonne dans ma tête, et je souri de plus bel. "Star Wars"... le film que j'ai regardé hier soir avec Thomas. Une première pour moi. Je ne suis pas vraiment branchée science-fiction et les seules "stars" qui m'intéressent sont celles qui dansent sur la glace, pourtant j'ai passé une super soirée.
Et pas seulement à cause de ce film. Hier c'était nôtre... ma, première fois. Du coup, ce sont d'autres étoiles qui brillent dans ma tête depuis.
—Oui, Maître Yoda! je ricane comme une idiote. C'est juste... incontrôlable.
Je suis heureuse, alors pourquoi me contrôler?
—OK. C'est au tour de l'équipe de Hockey d'occuper la patinoire...annonce-t-elle soudain, avant d'ajouter sur un ton agacé: On en a terminé pour aujourd'hui, même si on a pas avancé d'un iota.
Oups!!
Je passe mes mains sur le dessus de mes cuisses pour éliminer les écailles de glace accrochées à mon legging spécial patinage à cause de mes nombreuses chutes et hale Thomas depuis le centre de la patinoire, quand Dorothée me reprends:
—Et, Anna, arrête d'inviter tes petits copains à assister aux séances, ça perturbe ta concentration. N'oublies-pas: "Le mental c'est quatre-vingt-dix-neuf pourcent du travail. "
Mes petits copains? comme si j'étais le genre de fille à sortir à droite et à gauche. Thomas est le seul. Il a toujours été le seul.
—Justement, je proteste, bien que mollement. Le fait qu'il soit là me pousse à me dépasser, j'affirme du haut de mon autorité avoisinant la température de la glace, à savoir -7.
—C'est sans doute ce que tu crois, marmonne-t-elle en m'offrant une mine contrite. Tu n'as que dix-sept ans, après tout. C'est justement le piège. Tu es dans une période délicate, Anna. Désir, passion, hormones... toutes ces choses, tu devrais t'en servir pour le patinage, et pas les gaspiller avec un pseudo Bad boy.
Bad Boy? Thomas? Il n'a rien à voir avec cette image qui lui colle à la peau, tout comme celle de "fille de" colle à la mienne. C'est vrai que je n'ai jamais manqué de rien grâce à mes Ostéopathes de parents; et je m'estime chanceuse. Aujourd'hui je peux passer tout mon temps libre à me perfectionner pour que mon plus grand rêve devienne réalité, alors que d'autres doivent travailler comme "équipiers" dans des Fastfood pour pouvoir payer leurs études supérieurs et espérer aller dans une Fac l'année prochaine.
Thomas et sa sœur Rosa, n'ont pas eu ma chance. Mon avenir est déjà tout tracé, tandis que leur reste incertain. Alors, oui: Thomas n'est pas le mec le plus souriant du monde. Oui, il peut lui arriver de faire des bêtises et, oui... la vie ne lui a pas donné la chance d'avoir des rêves.
Mais je sais qu'il sera toujours là pour moi, et je serai toujours là pour lui.
Nous, c'est le grand Amour. Le vrai.
Thomas Fort
—Un chocolat chaud? me propose Anna en se faufilant dans le petit espace donnant accès à la glace ou, dans ce cas précis, sur la terre ferme et non-glissante. Ma préférée.
Elle est aussi à l'aise de chaque côté, rayonnante... Divine. Plus encore que lorsqu'elle exécute ses mouvements, surtout parce qu'ils lui demandent tant de concentration que son front se plisse souvent -trop souvent-et qu'elle perds sa spontanéité naturelle.
Les seuls moments durant lesquels j'aime voir son front se plisser, ce sont ceux comme hier soir. Parce que dans ces moments-là, ses yeux me donnent l'impression d'être autre chose qu'un raté.
—Un... chocolat ? t'es sérieuse? je rouspète sans le vouloir.
Mon égo parle. Il parle trop.
Rester assis des heures entières n'est pas mon fort. J'ai besoin de bouger, me défouler, m'activer. Or, je ne vais plus à la salle depuis des mois, faute de temps.
Entre Rosa, ma petite sœur qui me prends pour son chauffeur de taxi personnel, avec ses envies constantes de sortir et le temps que je consacre à Anna, c'est à peine si j'ai du temps pour moi, mon boulot et mon sommeil en pâtissent. Mon humeur avec.
—ALLEZ LES GARS !!! ON SE BOUGE!!!
Des cries retentissent soudain sur la glace et l'ambiance change du tout au tout quand des types vêtus de larges maillots colorés et casqués s'élancent, des bout de bois en mains, tandis que d'autres installent ce qui ressemble à des mini-cage de football, directement sur la glace.
—Thomas? Tu m'écoutes ?
—D-... Désolé, fais-je sans me départir de ce spectacle qui semble m'appeler en vibrant dans mes entrailles. C'est qui, eux?
—L'équipe de Hockey locale, marmonne Anna. C'est à leur tour de s'entraîner...
Du Hockey...
—Enfin... si on peut appeler ça "un entraînement", marmonne-t-elle. Ce sont juste des Gorilles sur patins.
Ouais, bah, ça, ça me parle!
3 commentaires
Dacia
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Il y a 15 jours
Fanny Nohal
-
Il y a 15 jours