Fyctia
4 - Victoria
L’intérieur du jet privé est luxueux. Trop luxueux. Cuir beige, moquette moelleuse, sièges larges et confortables… J’ai beau être habituée aux excentricités d’Henry, il trouve toujours un moyen de me surprendre.
Je m’installe sur l’un des fauteuils près du hublot, enroulant mon écharpe autour du cou, prête à profiter du vol en silence. Je vais bientôt prendre un somnifère pour ne pas subir cette torture, mais je préfère attendre encore un peu. Après tout, je ne sais pas ce qu’Henry nous réserve.
Je suis bien installée lorsqu’il arrive. Nicolas s’affale lourdement sur le siège en face de moi, balançant négligemment sa veste sur l’accoudoir. Je ferme les yeux quelques instants. Sérieusement ? Je vais vraiment me le coltiner en face pendant tout le trajet ? Mais qu’est-ce qui lui prend ?
— Ahhh, pas mal la vie de luxe, hein, Vic ?
Je lui lance un regard noir. Il ne lâchera donc jamais ce surnom. Un jour, je vais vraiment lui faire ravaler ses mots. Je prends une grande inspiration. Hors de question de commencer à m’embrouiller avec lui alors que je vais devoir me calmer.
— Ne m’appelle pas Vic.
Il lève les mains en signe d’innocence, mais son sourire en coin trahit son amusement. Il savoure ma contrariété. Son pull en cachemire gris lui va trop bien. Ses muscles se dessinent sous le tissu. Je me perds un instant à le regarder. Jusqu’ici, je ne l’avais vu qu’en costume-cravate. Séduisant, certes, mais pas de quoi me retourner. Mais là, dans cette tenue, en face de moi… ai-je vraiment le choix ? Il s’installe confortablement, prenant bien soin de jouer de ses muscles. À croire qu’il le fait exprès.
Je détourne le regard, mais l’image s’imprime dans mon esprit. Fait chier.
De l’autre côté de la cabine, Ninon est surexcitée, le nez collé au hublot, commentant tout ce qu’elle voit. Monique s’installe à côté d’elle et elles rient toutes les deux. Rémi, lui, étudie la carte des boissons avec un sérieux qui me fait lever les yeux au ciel. Je devrais peut-être prendre un verre, moi aussi.
Je sens le regard de Nicolas peser sur moi alors que les moteurs du jet s’allument. Mes doigts se crispent sur les accoudoirs, tirant sur les coupures de ma main. Je ne grimace pas. Au contraire, ça me rassure. Je ferme les yeux et tente la méthode du docteur Stanport : compter mes respirations. Une… deux… trois…
Mais mon cœur s’emballe, ma respiration se saccade.
— Tu sais que tout va bien se passer, hein ? me lance Nicolas, comme si mes peurs étaient ridicules.
Je le fusille du regard.
— Et mon poing dans ta gueule, ça passerait bien aussi ?
Il écarquille les yeux, surpris par ma colère, puis s’excuse en comprenant qu’il a dépassé les limites. Il décroche sa ceinture et vient s’accroupir près de moi. Son odeur m’envahit, mais là, je ne pense qu’à une chose : le jet va décoller d’une seconde à l’autre. Il est temps de prendre mon somnifère.
Je sors la plaquette de mon gilet, mais Nicolas me la prend des mains et regarde le nom du médicament.
— Rends-moi ça, putain !
Mes mains tremblent, la panique me submerge. Nicolas se lève et s’éloigne vers le bar. Je n’entends plus rien, mes oreilles se bouchent sous l’effet de la peur. On va mourir. Je le sens. On n’arrivera jamais en Laponie.
Il revient quelques instants plus tard avec un verre d’eau et deux cachets. Il me les tend, capturant mon regard.
— Tu as le choix, Vic. Soit tu prends ton somnifère et tu rates un sacré bon moment dans ce jet, soit tu prends un décontractant et tu restes éveillée.
Je reste sans voix. Il vient de me donner un choix que je ne pensais pas avoir tant la panique m’écrasait.
— Les décontractants… c’est pas suffisant. J’ai déjà essayé et j’ai fini par devenir violente avec les passagers.
— Ça ira. On est tous là.
Il est étonnamment calme et sa main se pose sur mon genou, me distrayant juste ce qu’il faut. Je cède. J’attrape le cachet et l’avale rapidement. Nicolas resserre ma ceinture de sécurité, s’installe en face de moi et je m’accroche à sa respiration, essayant de la calquer sur la mienne.
Pendant ce temps, Henry s’éclaircit la gorge et nous sourit, ravi.
— Bon ! Maintenant que tout le monde est installé… Que le vol de Noël commence !
Et là… ça dérape.
D’un geste théâtral, il appuie sur un bouton sur le côté de son fauteuil et, soudain, une musique de Noël envahit tout l’avion. Mais pas n’importe laquelle.
**Petit Papa Noël.** Version karaoké. Avec les paroles qui défilent sur un écran géant sorti d’un panneau caché dans la paroi du jet.
Monique ne bronche même pas, feuilletant son magazine de mode comme si elle était habituée aux pires excentricités de son mari.
— Je veux chanter ! s’écrie Ninon en attrapant un micro posé sur la table centrale.
— Oh non… pas ça… murmure Nicolas en se cachant le visage dans les mains.
Trop tard. Ninon commence à chanter avec toute l’enthousiasme du monde. Henry l’accompagne aussitôt, massacrant les notes aiguës sans la moindre honte. Rémi éclate de rire et se joint à eux, pendant que je me frotte les tempes, tentant de garder le contrôle malgré ma peur de l’avion.
Nous décollons… au milieu de ce *putain* de karaoké.
Mais le pire arrive quand Monique baisse son magazine et me lance un sourire espiègle.
— Victoria, tu ne chantes pas ?
— Absolument pas.
— Oh, mais Nicolas non plus… remarque-t-elle d’un air faussement innocent.
Je ne l’ai pas quitté des yeux. À cet instant, c’est paradoxalement lui qui m’apaise. Et bien que ça m’agace profondément, je n’ai pas le choix. Chanter ? Dans ces conditions ? Impossible. Mais… le médicament fait effet et ma respiration s’apaise enfin.
— Très bien… nous allons chanter, répond Nicolas à ma place, avec un clin d’œil.
Et c’est ainsi que je me retrouve à chanter un duo très approximatif de Jingle Bell Rock avec Nicolas, coincée à des milliers de mètres du sol, dans un jet privé transformé en cabaret de Noël.
10 commentaires
Krissa Danos
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leysa
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Alconstance
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amashford
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Il y a un mois