Fyctia

Lou a l'impression d'être un sablier cassé dont les grains du temps filent entre ses doigts inutilement serrés. Elle a partagé une ration militaire immonde avec Lily et Mandy comme déjeuner. C'est la seule chose que l'hélico a déposé la veille, avec une palette de bouteilles d'eau. Il lui tarderait presque de retrouver la civilisation pour ne pas avoir à remanger du corned beef et des gâteaux secs immondes !

Les bagages à boucler sont un vrai casse tête. Elle doit trier ce qu'elle peut prendre de ce qui peut attendre sa prochaine visite au Reposoir. Puis faire rentrer l'indispensable dans leurs deux petits sacs à dos. Cela fait plus d'une heure qu'elles sont au grenier. Mandy ne veut rien laisser. Tout lui paraît important à son âge, même un lisseur à cheveux. Cela devient une source de tensions entre elles.

Mandy paraît énervée, ou triste, ou bien sa tristesse se meut en colère à l'approche du départ. Elle ne cesse de râler.

- Je n'ai pas beaucoup de vêtements moi ! Si je laisse des trucs ici, je n'aurai plus rien à me mettre ! Je vais me taper la honte au collège.

Lou essaie de la rassurer.

- Je t'achèterai ce qui te manque. Je te prêterai mon lisseur, je ne m'en sers jamais !

Et puis c'est encore les vacances. On aura le temps de faire les boutiques.

- Si c'est pour acheter des trucs pourris, vu que t'as pas d'argent, c'est pas la peine.

Lou n'arrive plus à se contenir et hausse le ton en posant les mains sur ses hanches.

- J'aimerais que tu ne me manques pas de respect Mandy ! Je fais ce que je peux. Si ton père payait la pension alimentaire, au lieu de t'acheter un téléphone au prix indécent, on aurait moins de problèmes d'argent !

- Arrête de critiquer papa. Il ne roule pas sur l'or lui non plus, et il est trop sympa de m'avoir offert un téléphone !

Lou ronchonne en fermant la fermeture éclair de son propre sac qu'elle vient de bourrer avec les vêtements de sa fille.

- Gnagna... sympa, tu parles ! Totalement déconnecté de la réalité oui ! Heureusement que Mamicha et papi m'aident à boucler les fins de mois difficiles, sinon on serait à la rue ma fille !

Les deux sacs sont enfin remplis à craquer, et Lou se redresse en soupirant.

- Enfin ! J'espère que l'on ne va pas devoir marcher trop longtemps, sinon on risque d'avoir mal au dos.

- Tu ne sais pas combien de temps on va devoir marcher pour rentrer à Genève ?

- Figures toi qu'ils ne nous l'ont pas dit ! Je sais juste qu'un bus nous attendra, dans une zone où la route n'a pas été détruite, pour nous déposer à la gare de Cluses.

- Je le sens mal !

Lou lève les yeux au ciel.- L'optimisme légendaire de l'ado !-

- Ça va bien se passer Mandy. Il te tarde de revoir Mamicha et papi ?

- Oui. Mais je serai bien restée ici jusqu'à la fin des vacances quand même.

- Sans réseau !

Mandy lui jette un regard suspicieux.

- Oui sans réseau ! Je sais où tu veux en venir maman. C'est juste que j'ai trouvé des vrais amis ici, et ils sont vraiment plus sympas que mes copines du collège ou de la danse. Ils ne jugent pas les gens, tu vois, et je trouve ça trop bien.

Lou est attendrie par la confidence de sa fille. Elle aussi a de vrais amis ici, et elle a découvert de très belles personnes comme Joan, et Mimi.

- C'est génial ! Tu vas pouvoir les revoir à chaque fois qu'on reviendra ici !

- Romane et son frère oui. Les autres, non. Ils étaient juste venus passer des vacances ici, sûrement pour la dernière fois, vu ce qui s'est passé. D'ailleurs on a tous décidé de se retrouver pour le goûter chez Mimi. C'est la dernière occasion pour qu'on se voit, vu qu'on part aux aurores demain.

- Huit heure, ce n'est pas si tôt que ça ma chérie. On a fini, tu peux aller les retrouver si tu veux.

- Cool. Merci maman d'avoir pris mes affaires dans ton sac.

Mandy plaque un gros bisou sur la joue de sa mère.

Lou soupire. - Est ce que j'étais bipolaire, moi aussi, quand j'étais ado ?!-

L'annonce de Mandy a fait son petit chemin dans l'esprit de Lou.

-J'ai une fenêtre pour pouvoir dire au revoir à Joan. J'espère qu'il sera chez lui !-

Elles descendent dans la pièce à vivre avec leurs sacs et Lou fait un petit résumé à son amie qui est en train de nettoyer la cuisine. Une véritable fée du logis cette Lily !

- J'ai laissé les affaires qu'on ne peut pas prendre sur un lit là haut. Je ne sais pas quand on pourra les récupérer. Tu me dis si ça te dérange, je les mettrai ailleurs.

- Aucun souci ma poule. Je ne vais recevoir personne pendant un bout de temps. Je dois moi aussi reprendre le boulot dans 5 jours. Je reviendrai sûrement à Pâques. Il y a un jour férié pour faire un pont sympa.

- Ok. J'essaierai de voir avec mes patrons si c'est possible de venir au même moment. Si ils ne me virent pas !

- T'inquiète pas ma chérie. De toute façon si ils ne sont pas compréhensifs et qu'ils te font des histoires. Barre toi. C'est qu'ils ne te méritent pas !

- Ouais, enfin j'aimerais autant éviter de me retrouver sur le marché de l'emploi en ce moment, avec Lily qui grandit à vue d'œil et qui me coûte un bras en bouffe et en fringues !

- C'est vrai qu'elle grandit vachement ces derniers mois. Elle va te dépasser très bientôt !

- C'est sûr, je suis une naine !

Lily éclate de rire.

- N'importe quoi ! Je suis plus petite que toi. Je te signale que je pourrais mal le prendre !

Lou prend son amie dans ses bras pour lui faire un câlin, et en profite pour lui parler à l'oreille.

- Je vais filer discrètement voir si je trouve Joan chez lui pendant que Mandy va chez Mimi. Tu me couvres ?

Lily réfléchit un instant, puis fait mine de ranger une boîte sur une étagère en débitant un gros mensonge à voix haute.

- Lou, Sylvie m'a dit que tu devais passer la voir pour t'inscrire si tu veux partir demain matin. Le nombre de personnes est limité.

Lou se tape sur le front, surjouant la surprise.

- Personne ne me l'a dit ce matin ! Il faut que je me dépêche alors !

Elle enfile son manteau et ses chaussures en se retenant de rire. Elle ne regarde surtout pas Lily et sort sans dire un mot de plus .