Fyctia

La nuit est noire comme de l'encre et il pleut toujours quand elle s'élance dans la rue, éclairée de son téléphone. Quand elle arrive chez Joan, celui-ci paraît très surpris et gêné, comme si il était en train de faire quelque chose d'intime.

Il l'invite à entrer et elle lui explique dans le couloir la raison de sa venue.

- Sylvie m'a demandé de venir récupérer chez vous des balises GPS de secours.

Joan a le front qui se plisse et ses sourcils se rapprochent, lui donnant un air vraiment inquiétant. Marylou recule d'un pas vers la porte, tandis qu'il s'exclame :

- Ils pourraient me le demander eux mêmes ! Les lâches ! Ils vous envoient alors que vous ne savez rien de notre conflit. Je leur ai dit qu'il ne fallait pas passer par le col de la Colombière. Le chemin de rando à l'ubac, le versant sud, est plein d'éboulis qui sont déjà dangereux en temps normal. Ils pensent que c'est le chemin le plus sûr parce que la route passe dans la même vallée, à l'adret, le versant nord, mais ils ont tout faux ! Avec la pluie qui continue à tomber, ils vont prendre des risques inconsidérés ! Je connais un passage bien plus sûr au nord de la Pointe Percée, mais comme ce n'est pas sur leurs vieilles cartes de rando, ils se refusent à l'emprunter.

Marylou comprend sa frustration et tente de n'apaiser.

- Vous dites vous-même qu'ils sont prudents. Au pire ils feront demi-tour et feront perdre deux jours aux secours. Mais il n'y a pas urgence non ? Il n'y a pas de blessés graves ou de malades au village ?

- Non, effectivement. Vous avez raison. J'aurais simplement aimé qu'ils me fassent confiance. Je suis quand même guide et formé aux secours en haute montagne ! Tout ça parce qu'ils sont plus âgés.

Joan s'apaise un peu et lui sourit tristement.

- Je suis désolé, vous n'y êtes pour rien. Et puis j'aurais l'esprit plus tranquille si ils ont des balises GPS. Tous les alpinistes devraient en avoir ! Je vais vous chercher mes deux balises, mais je vous demande une faveur en échange.

Marylou agrandit les yeux de stupeur. -Que va-t-il me demander ?! Une faveur sexuelle ?-

Il laisse planer le suspens quelques instants et un petit sourire taquin irrésistible nait au coin de sa bouche.

Marylou retient son souffle et prie pour qu'il ne la mette pas plus mal à l'aise que ce qu'elle est déjà.

- Est-ce qu'on peut se tutoyer ?

Marylou soupire un peu fort, et rit doucement, révélant son embarras.

- Oui j'accepte de vous tutoyer, enfin de te tutoyer.

Joan s'en veut de l'avoir mise en stress. Il rit et s'exclame un peu fort pour détendre l'atmosphère.

- Ah ! Voilà une sage décision !

Il semble hésiter un instant puis lui demande :

- Tu veux bien m'attendre dans la véranda pendant que je vais chercher les balises ?

- Oui, j'aime bien cette pièce.

- Ok, j'en ai pour deux minutes, tu ne t'enfuie pas comme tout à l'heure, promis ?

- Mais je ne me suis pas enfuie !

Il rit encore.

- Si, un peu quand même.

Marylou éteint son téléphone car la véranda est éclairée d'un grand nombre de bougies. Joan devait se trouver dans cette pièce quand elle est arrivée.

Les fleurs attachées par des fils au plafond et éclairées par en dessous donnent l'impression de se promener dans une forêt magique suspendue à l'envers. Elle est ravie de s'y promener et à l'impression quelques instants d'être suspendue elle aussi, hors du temps.

Joan revient trop rapidement à son goût et déboule dans la véranda comme si il avait peur de ne plus la trouver là.

Il lui tend un petit sac à dos.

- Tiens. Elles sont dans des housses donc pas de problème si tu prends la pluie.

Il marque une petite pause, inspire un peu fort comme pour se donner du courage, et ajoute :

-Par contre il te faudra protéger ça.

Il se dirige au fond de la véranda vers une petite table très encombrée et revient vers elle en un éclair avec un bouquet de fleurs séchées dans la main gauche.

-Tiens il est gaucher- pense Marylou.

- Il n 'est pas totalement achevé, mais je ne pense pas avoir d'autre occasion d'être seul avec toi pour te l'offrir.

Marylou tend lentement ses mains devant elle, un peu incrédule. D'habitude c'est elle qui tend des fleurs aux gens et non l'inverse. Aucun homme ne lui a jamais offert de fleurs. Elle en est toute retournée.

Le bouquet est tout petit, très délicat et bien composé. Des edelweiss trônent au centre de la composition et des fleurs mauves que Marylou ne connaît pas font comme une couronne vaporeuse tout autour. On dirait un bouquet de mariée lilliputienne se dit elle.

Elle est un peu embarrassée.

- Merci Joan, c'est très beau. Très délicat.

Il s'approche d'elle et lui parle doucement à l'oreille, provoquant dans le corps de Marylou un réchauffement brutal.

- Tu me diras quelle signification tu donnes au fleurs qui le composent ?

Marylou ne sait plus ou se mettre.

-Oh my god des edelweiss ! Fleurs hyper rares et protégées. Le message est trop clair là, il me fait flipper ! Il faut que je sorte de ce piège vite !-

Marylou a du mal à cacher son trouble et elle sent qu'elle est complètement sous le charme. Heureusement qu'il fait sombre et qu'il ne peut pas le voir !

- Oui, mais pas tout de suite, je dois vite porter les balises à Sylvie. On se verra demain ? Merci beaucoup, pour tout.

Joan s'éloigne d'un pas. Il a compris le message. Il n'est pas si lourd que ça.

- De rien, c'est un plaisir pour moi de te faire plaisir.

Il la raccompagne jusqu'à la porte et elle rallume son téléphone.

- On se fait la bise ?

Marylou est prête à accepter n'importe quoi du moment qu'elle peut partir ensuite.

- Oui, si tu veux.

Elle tend sa joue gauche, s'attendant à ce qu'il pose sa joue contre la sienne, mais il se tourne vers elle, plus que la coutume française ne l'autorise, et dépose un tendre baiser un peu trop proche de ses lèvres. Son bisou volé électrise totalement la pauvre Lou, comme un poisson dans les tentacules d'une anémone. Il poursuit sa tentative d'envoûtement en approchant son torse imposant du sien et en susurrant à son oreille.

- Au revoir, Lou.

Elle a brusquement envie de se jeter sur lui pour l'embrasser à pleine bouche, et qu'il l'emporte dans ses bras pour une étreinte sauvage dans sa véranda.

-Je suis perdue ! Comment il fait pour m'émoustiller comme ça !-

La conscience de Marylou lui permet de reprendre le contrôle et elle se recule, commençant déjà à marcher en lui disant :

- Bonne nuit Joan.